Le G20, une affaire non classée pour l’Afrique
Assemblées annuelles du FMI et de la BM à Istanbul
Le G20, une affaire non classée pour l’Afrique
El Watan, 5 octobre 2009
Même si l’idée de réformer le FMI (Fonds monétaire international) et la Banque mondiale a été quelque peu occultée lors du dernier sommet du G20 à Pittsburgh (USA), les Africains se rebiffent à nouveau en Turquie afin d’émettre le vœu d’être représentés au sein du G20 pour participer aux discussions sur l’aide à leur continent.
S’il paraît donc acquise que la refonte du FMI fera son petit chemin à travers, d’abord, la décision de transférer, avant l’année 2011, d’au moins 5% des quotes-parts du FMI aux pays émergents et en développement dynamique et d’« au moins 3% » supplémentaires des droits de vote, les pays africains entendent mettre à profit cette lueur d’espoir afin que leur continent puisse en bénéficier. « Il faut qu’il y ait au moins une place pour presque un milliard d’Africains qui ont besoin d’être entendus », a expliqué le ministre camerounais des Finances, Lazare Essimi Menye, lors d’une conférence de presse en marge des assemblées annuelles du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.
Pour ainsi dire, les Africains misent sur leurs partenaires économiques pour faire entendre leur voix au sein du G20 qui vient s’ériger en un « Forum de coopération économique internationale », finalisant un deal minutieusement calculé entre les grandes puissances et les pays émergents. « Nos partenaires devraient accepter que nous sommes les mieux placés pour leur expliquer ce qui pourrait être le mieux pour l’Afrique », déclare le grand argentier du Cameroun. Il faut dire que les Africains ne disposent pas de cartes maîtresses capables de peser sur le levier de l’économie mondiale. Lors de la première réunion du G20 consacrée à la crise, ayant eu lieu à Washington, le seul pays africain qui a été convié est l’Afrique du Sud. Il est vrai que l’Afrique du Sud ne représente pas grand-chose sur l’échiquier économique mondial, mais l’invitation du George W. Bush, désormais ex-président des USA, répondait à d’autres considérations que celles d’ordre économique. L’Arabie Saoudite, le seul pays arabe convié à l’entrevue de Washington était, elle, invitée grâce à son poids financier car la crise était beaucoup plus une crise financière et la nécessité de mobiliser les fonds se posait avec acuité.
Les Africains ont décidé de revenir à la charge à l’occasion des assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale, organisées à Istanbul (Turquie). C’est le ministre camerounais des Finances qui s’est chargé de faire entendre la voix de Africains. Pour lui, le sous-développement de l’Afrique est lié quelque peu au fait que « les décisions soient prises trop loin ». « Lorsque notre destin est discuté, il nous paraît important que nos opinions puissent être prises en compte », a appuyé le ministre nigérien des Finances, Ali Mahaman Lamine Zeine. « Le G20 ne peut pas continuer à ignorer plusieurs centaines de millions d’Africains », a également considéré le ministère sénégalais des Finances, Abdoulaye Diop. L’intervention des ministres africains des Finances sonnait comme une mise au point adressée aux deux institutions de Bretton Woods. Au lendemain de la réunion du G20, l’Union africaine (UA), elle, a estimé que le continent africain « ne doit pas être marginalisé » et doit « être considéré comme un partenaire ». A signaler aussi que l’Afrique demeure le seul continent qui n’est pas représenté d’une façon permanente au sein du Conseil de sécurité des Nations unies.
Par Ali Titouche
Jean-Louis Perrault. Maître de conférences en économie, université de Rennes 1 (France)
« Le G20 s’est préoccupé de redonner une légitimité aux puissants »
– Lors de la dernière réunion des pays membres du G20, qui s’est tenue récemment à Pittsburgh (USA), l’on a vu l’émergence du G20 en tant que « forum de coopération économique internationale ». Pensez-vous que cette nouvelle organisation est synonyme d’un nouveau deal conclu seulement entre pays industrialisés et pays émergents ?
– A proprement parler, le G20 ne constitue pas une nouvelle organisation. Elle n’est pas nouvelle, car la première réunion date de la rencontre de Berlin, en 1999. Il s’agit initialement des ministres des Finances et des gouverneurs de banques centrales des pays concernés. Le G20 a été créé en réponse aux grandes crises financières des années 1990. En revanche, ce n’est pas une organisation, mais juste un espace de discussion et de concertation, fondamentalement concerné par la finance mondiale. De cette structure, l’on peut dire que, dans la tradition du G7 ou du G8, elle n’a jamais renouvelé ses diagnostics des grandes crises. Elle fonctionne toujours avec des formes d’analyse élémentaire, héritées de l’avant-guerre : relance de la consommation, diminution de l’épargne, ouverture au libre-échange, libre circulation du capital, etc. D’ailleurs, sa mise en place n’empêche pas les crises financières du début du XXIe siècle, particulièrement celle dans laquelle nous sommes entrés en 2006. En outre, elle se tient bien loin des démocraties, dans les métropoles et dans des espaces difficilement accessibles et/ou facilement contrôlables. Le « directoire officieux de l’économie mondiale » se méfie des peuples et se méfie des citoyens : c’est emblématique. En revanche, l’année 2009 se caractérise par une nouvelle légitimité du G20. Légitimité qui lui a été offerte par la Maison-Blanche et le président Obama, qui l’a intronisé comme Premier Global Economic Forum. Ce point est extrêmement positif. Mais il est vrai qu’il était difficile de demander aux pays disposant d’importants fonds souverains d’agir sur leur taux de change ou sur leur conjoncture, pour résoudre les problèmes du G8, alors qu’ils ne faisaient pas partie de ce dernier. Enfin, il ne faut pas oublier que 90% des activités financières mondiales sont concentrées dans les établissements bancaires du G8, où la crise est née.
– A défaut d’une refonte globale du FMI et de la Banque mondiale, il a été décidé de transférer, avant l’année 2011, au moins 5% des quotes-parts du FMI aux pays émergents et en développement dynamique et « au moins 3% » supplémentaires des droits de vote. Selon vous, cette décision est-elle capable de baliser le terrain à une réforme globale des deux institutions de Bretton Woods ?
– Les jeux d’influence au sein du FMI ne datent pas d’hier, puisque le Fonds monétaire international était fondé, dès 1945, pour l’organisation de la domination du dollar. De telle sorte que les Etats-Unis disposaient, avec le Royaume-Uni et quelques pays européens, de plus de 50% des voix. En outre, il est prévu statutairement que pour adhérer à la Banque mondiale, il faut avoir adhéré auparavant au FMI. En d’autres termes, il s’agit en effet d’un appareil de domination. Alors, bien entendu, la modification des droits de vote en faveur de 135 des 186 pays adhérents au FMI est une bonne nouvelle. Toutefois, il faut savoir que ce n’est pas le G20 qui a décidé cela. En effet, en 2006, le FMI a lancé un programme de deux ans pour réformer son système de vote et de quotas. En mars 2008, l’accord prévoyait l’augmentation de 5,4% des droits de vote de pays moins développés. En d’autres termes, le G20 de Pittsburgh ne fait qu’annoncer officiellement cette réforme interne du FMI. Il est vrai, comme je l’ai dit plus haut, que le G20 se compose fondamentalement des grands argentiers. On le voit, le G20 s’est surtout préoccupé de redonner une légitimité aux puissants. Déjà, au G20 de Londres en mars 2009, l’essentiel des mesures portait sur l’assainissement de l’appareil financier. On pourrait le dire différemment : il s’agissait de piloter de façon plus raisonnable la privatisation de la création monétaire, car, fondamentalement, le problème est là. La création monétaire est totalement entre les mains des banques commerciales et le financement de l’activité entre celles de fonds à vocation plus ou moins spéculative. Cela signifie simplement que la monnaie est créée abondamment et placée dans des activités sans risque, massivement rentières (énergie, immobilier, service d’autoroute, eau, etc.). Or, comme le constate Paul Collier de l’université d’Oxford dans son ouvrage Le Milliard le plus pauvre, les pays à faible revenu font face à des problèmes différents ; ils manquent désespérément de capitaux.
– Concernant la réforme du système financier international, pensez-vous que la limitation des bonus bancaires et la guerre livrée aux paradis fiscaux sont suffisants pour venir à bout du dérèglement financier ?
– Votre question illustre bien les contradictions fondamentales que le G20 est incapable de surmonter. En ce qui concerne la limitation des bonus bancaires, il s’agit d’essayer de dissimuler aux populations les quasi-prébendes que le haut management s’autorise à prélever. Notamment parce que dans le cas des bonus bancaires, on voit directement la relation avec les fonds que le contribuable et le citoyen ont laissé les gouvernants injecter dans le système. Cependant, les bonus bancaires ne sont pas seuls en cause. La fuite en avant des rémunérations managériales abusives est l’une des conditions permissives des licenciements massifs. En tout état de cause, le contrôle des bonus bancaires n’est qu’un os offert à ronger aux peuples du monde. De toute façon, le G20, le FMI, les banques centrales, les Trésors publics, les banques commerciales voient naviguer à leur tête les mêmes personnages, entre lesquels les accointances sont considérables. La plupart des hommes qui pilotent les instances financières sont à la source des problèmes que nous rencontrons aujourd’hui. Il en va naturellement de même pour les paradis fiscaux, dont la plupart ont été créés par les grandes places financières : Jersey par la Grande-Bretagne, les Bahamas par les Etats-Unis, etc. Comme toujours, lorsqu’il existe une régulation, la haute finance a besoin des moyens de la contourner. On peut fermer les paradis fiscaux, on n’empêchera pas toutes sortes de jeux électroniques, comme ceux qu’un groupe comme Clearstream – courant pur –, chambre de compensation internationale située dans un paradis fiscal, le Luxembourg, est susceptible de mettre en place. Aucune des mesures de cet ordre prises par le G20 n’est susceptible de résoudre durablement les problèmes qu’une finance débridée pose au monde.
Par Ali Titouche