Les avocats de l’ANA tirent à boulets rouges sur Khellad

Procès autoroute Est-ouest

Les avocats de l’ANA tirent à boulets rouges sur Khellad

El Watan, 2 mai 2015

Le procès autoroute Est-Ouest a entamé jeudi sa cinquième journée avec l’audition des deux derniers accusés, Radia Ghrieb, la belle-sœur de Salim Hamdane (directeur des nouveaux projets du ministère des Transports), poursuivie pour «blanchiment d’argent» pour avoir reçu 20 000 euros sur son compte, en France, versés par Sid Ahmed Addou.

Elle se défend en affirmant que «la somme transférée par la mère de Sid Ahmed était une dette que ma famille détenait sur elle et qu’elle m’a restituée parce que je devais me faire opérer en France».

Considéré par l’arrêt de renvoi comme étant en fuite, Allab Khier s’est présenté au tribunal après avoir vidé son mandat d’arrêt, mais n’a jamais été entendu. Poursuivi pour des faits criminels au même titre que les détenus, il est jugé tout en étant en liberté. Il a d’abord été entendu seul par le juge, puis durant l’audience.

Allab Khier jure qu’il n’a jamais reçu de convocation que ce soit en Algérie, ou dans ses résidences à l’étranger.
Il commence par se présenter comme homme d’affaires depuis les années 1980, activant à l’étranger et qui ramène des partenaires pour investir en Algérie. Et d’ajouter qu’il a été le premier à introduire la marque sud-coréenne Samsung en Algérie, en 1996, avant qu’elle ne lui soit enlevée. Il nie avoir demandé à l’ancien directeur général de l’Entreprise du métro d’Alger (EMA) de revoir le classement des entreprises soumissionnaires pour un marché.

Il nie aussi tout lien avec Sid Ahmed Addou ; affirmant lui avoir parlé trois ou quatre fois, seulement après le décès de son père, qu’il dit avoir connu assez bien. Allab Khier sera néanmoins confondu par un témoin, l’ancien directeur général de l’EMA, Tayeb Zendaoui. Très serein, imperturbable, ce dernier déclare qu’un jour, Allab Kheir est venu le voir à son bureau, alors qu’il assurait l’intérim du directeur général. «Il m’a dit qu’il venait de la part du ministre des Transports et que ce dernier allait m’installer en tant que directeur général.

Et, en rigolant, il m’a demandé si je pouvais changer l’ordre de classement des sociétés qui avaient soumissionné pour un projet de tramway. J’étais surpris. Je lui ai répondu que c’était impossible. J’ai stoppé la discussion et il est parti», déclare le témoin Zendaoui.

Le juge s’adresse à l’accusé : «Vous avez déclaré l’avoir rencontré à l’hôtel El Aurassi, lors d’un séminaire, et que vous ne lui aviez pas parlé. Vous avez entendu sa réponse…» L’accusé Allab Khier, visiblement contrarié, répond : «C’est lui qui le dit.» Lorsque le procureur général lui demande pourquoi il n’a pas répondu aux convocations, il affirme qu’il était à l’étranger et commence à revenir sur ses déboires en Algérie. «Je suis un homme d’affaires.

C’est moi qui ai ramené la marque Samsung en Algérie, avant qu’elle me soit enlevée», lance-t-il. Le juge lui demande pourquoi. L’accusé : «J’ai eu beaucoup de problèmes, mais c’est une affaire privée.» Le juge réplique : «Rien n’est privé ici !» L’accusé : «Un jour j’étais à l’hôtel. Une femme m’appelle et me dit : « Je veux t’épouser. » J’ai été surpris.

On m’a marié au mois d’avril 2001 pour divorcer en 2003. J’ai passé deux ans de service militaire avec elle.» La salle éclate de rire, suscitant la réaction du juge : «Nous sommes passé d’un procès lugubre à un procès rose !» L’accusé : «Ce sont eux qui ont demandé ma main et m’ont divorcé. Mon ex-femme était la fille du général Smaïl Lamari. Après j’ai eu d’énormes problèmes. En 16 mois, j’ai reçu 150 convocations des services des impôts, des Douanes… et ils m’ont enlevé la marque. Je comprend Chani et Khelladi. Mais c’est le passé. Je leur pardonne, j’ai tourné la page…»

Une audience agitée

Le juge rappelle les représentants du consortium japonais Cojaal et du groupement Citic-CRCC à la barre. Il leur demande dans quel cadre ils ont accepté de prendre en charge la location de bureaux et de logements, l’achat de véhicules et de carburant. Les Chinois déclarent que ces prestations étaient prévues dans la convention contrat-programme, alors que les Japonais persistent à dire qu’elles ont été accomplies en vertu d’un ordre de service (ODS) signé par le DPN, qui doit être exécuté en vertu de l’article 17 de la convention et qu’ils ont tout facturé à l’ANA.

Le juge passe à un autre témoin, Ziani (ex-directeur de l’ANA) qui déclare que lorsqu’il a été nommé, en 2008, à la tête de l’ANA, il a limité les pouvoirs de signature à Khelladi que lui avait accordés son prédécesseur, parce que, selon lui, il s’occupait de tout, y compris de ce qui ne relevait pas de ses prérogatives. Sur la question des moyens mis à disposition de la DPN par les entreprises chinoise et japonaise, le témoin précise qu’une enveloppe de 250 millions de dinars avait été mise à la disposition de cette direction pour prendre en charge ce chapitre et les entreprises étrangères n’avaient pas à le faire.

D’autant, dit-il, que l’Etat consacre 4% de chaque projet de l’autoroute au fonctionnement et aux moyens de l’ANA. Le juge interroge le témoin sur le mauvais état dans lequel se trouvent les tronçons de l’autoroute. Ziani répond que l’ouvrage ne souffre d’aucune malfaçon ou mauvais état : «Il s’agit juste de mise à niveau de certains tronçons réalisés durant les années 1990 en dehors des normes.» Khelladi réplique : «Ce n’est pas vrai.

Pour chaque tronçon de l’autoroute, il existe 10 avenants et le ministre cache cela en parlant à chaque fois de mise à niveau !» Ziani écarte tout préjudice pour le Trésor public, mais le procureur général finit par le confondre en l’interrogeant sur les conséquences des retards dans le paiement des situations.

Le témoin répond : «C’est le Trésor public qui en pâtit.»

Le juge appelle le témoin Belatrèche, ancien DPN, qui contredit son prédécesseur Khelladi en ce qui concerne les mesures d’accompagnement. Il affirme que ce dernier confond les mesures d’accompagnement et les installations techniques. «Les installations techniques des chantiers sont incluses dans les contrats signés entre l’ANA et les deux groupements. Ces installations et moyens sont à la charge des groupements, mais restitués dès la fin du projet. Ils n’ont rien à voir avec les mesures d’accompagnement qui, elles, concernent la réalisation d’un institut des travaux publics, de formation, etc, qui n’ont jamais été faits. Cojaal veut aller à l’arbitrage parce qu’il a un écrit de Khelladi. Aucune loi ne permet ce paiement même s’il y a un ODS.

Nous ne paierons rien.» Khelladi réagit : «Pourquoi en 2005, vous n’aviez pas dit que la location d’un logement à votre profit, l’affectation d’un 4×4, les bons de carburant de la part des groupements ce n’était pas légal ?» Le témoin (qui a remplacé Bouchama au poste de secrétaire général des Travaux publics) est déstabilisé. «C’est un gars anormal», lance-t-il avant d’accabler l’accusé.

ÉCHANGES TENDUS

Le représentant de Citic-CRCC repasse devant la barre. Le procureur général lui précise : «Hier lors de votre audition, vous aviez nié toute relation avec Pékin, mais dans ce statut déposé chez le notaire, je lis que le conseil d’administration a une adresse à Pékin et une autre à Alger…»

Maître Chelgham, leur avocat, fonce et crie : «Je conteste. Vous êtes en train de susciter la confusion.» Le procureur général répond : «Je suis en train de lire…» Me Chelgham sort de ses gongs et s’attaque au procureur en lui disant : «Si vous n’arrivez pas à comprendre, je ne peux vous le faire comprendre.» Le procureur se met en colère à son tour : «Un peu de respect, sinon je demande un acte pour outrage. Je n’accepte pas ce manque de respect !» L’audience s’enflamme. Le président menace de suspendre l’audience et de mettre les personnes qui perturbent la sérénité des débats dans les geôles. Me Chelgham retrouve son calme ; il présente ses excuses, mais persiste à dire que le procureur général veut créer la confusion.

Le débat sur le lien entre les groupements et leurs sociétés-mères suscite de vives réactions. Le procureur général revient à la charge en lisant le statut qui précise que le président du conseil d’administration de Citic-CRCC est désigné par les sociétés-mères. Me Chelgham conteste. Le président lui fait savoir que c’est son avis et qu’il doit respecter celui des autres. Mais la réponse est donnée par la représentante de Citic-CRCC qui affirme qu’à Pékin, «nous avons un petit bureau qui s’occupe des visas et du paiement des salaires».

Le président met fin à ce casse-tête chinois en appelant les avocats constitués partie civile : deux au nom du Trésor public et quatre au nom de l’ANA, qui tirent à boulets rouges sur Mohamed Khelladi dont «la mauvaise gestion et l’incompétence» sont à l’origine de toute cette affaire. Pour eux, l’ANA n’a été touchée que par les agissements de Khelladi et ceux des deux groupements Citic-CRCC et Cojaal. Tout en louant les qualités de Mohamed Bouchama, ils affirment qu’ils n’ont rien contre Medjdoub Chani. Selon eux, «le principal accusé n’est pas ce dernier mais Mohamed Khelladi».

Salima Tlemçani


Le ministre a répondu par écrit

Les déclarations de Amar Ghoul font sourire

El Watan, 2 mai 2015

La lecture des réponses écrites de l’ex-ministre des Travaux publics, Amar Ghoul, aux lourdes questions du juge d’instruction relatives aux présumés faits de corruption que l’ancien directeur des nouveaux projets, Mohamed Khelladi, a révélés, suscite le sourire des uns et l’étonnement des autres en raison de la légèreté avec laquelle le premier responsable du secteur répond.

Ainsi, Amar Ghoul rejette toutes les accusations de corruption dans son secteur, les qualifiant de «mensonges et médisance». D’emblée, il déclare n’avoir jamais connu Pierre Falcone et Sacha, et nie qu’ils aient pris part à un Conseil ministériel restreint consacré au projet de l’autoroute, comme révélé par Khelladi.

A propos de Tadj Eddine Addou, il explique qu’il l’a rencontré dans une fête alors qu’il était en compagnie de feu Mahfoud Nahnah, mais nie l’avoir dépêché à Paris pour exiger des responsables d’Egis le paiement de sa commission qu’il aurait perçue par la suite, toujours selon Khelladi, par l’entremise de l’accusé Tayeb Kouidri (actuellement en fuite). Le ministre déclare n’avoir pas été informé des mesures d’accompagnement relatives à la location de villas, appartements, bureaux et achat de voitures pour la DPN dirigée alors par Khelladi.

Tout comme il nie avoir reçu un écrit de celui-ci faisant état d’anomalies et de malversations. Le ministre qualifie chacune des accusations de Khelladi de «mensonge et médisance». Il loue «les qualités professionnelles et l’intégrité» du secrétaire général Mohamed Bouchama et tire à boulets rouges sur Mohamed Khelladi, accusé «de graves défaillances ayant porté préjudice à l’ANA».

«GHOUL N’A JAMAIS FAIT D’ÉTUDES EN ALLEMAGNE»

Du fond du box des accusés, Khelladi répond à cette audition écrite de 16 pages. Il commence par dire : «Amar Ghoul, qui se présente comme docteur, n’a jamais fait d’études en Allemagne. Le seul Amar Ghoul qui ait fait ses études dans ce pays est Tunisien.» Le procureur général réplique : «Parlez avec respect.» Khelladi poursuit : «Je dis des vérités. J’ai rencontré Phillipe Chêne à Pékin et il m’a affirmé que les 20% de commission versés dans le cadre de l’autoroute ont été partagés : Chani a pris 4%, Ghoul en a pris 25% et donné 1,5% à Tayeb Kouidri.

J’ai informé le ministre de la présence d’une personne malveillante, en l’occurrence Chani, qui rôdait autour des Chinois, mais il n’a rien fait. J’ai même saisi les deux dirigeants chinois de l’époque sur cette personne qui prétendait régler les problèmes de Citic en leur disant que les problèmes se règlent dans un cadre contractuel.» Khelladi affirme que le ministre a refusé d’ouvrir des enquêtes sur les entreprises sous-traitantes, mais aussi sur les 400 camions que la rumeur présentait comme étant les siens.

Contrairement à ce qu’a dit le ministre, Mohamed Khelladi explique que le coût de l’autoroute est le plus élevé : «Un kilomètre dans les normes européennes coûte, clés en main, avec les échangeurs, les ouvrages d’art, les aires de repos, etc, 2,5 millions de dollars, alors que le kilomètre a coûté à l’Algérie 6 millions de dollars uniquement pour la plateforme.

Le ministre a oublié que c’est lui qui m’a donné le chiffre de 6 millions de dollars pour aller le défendre en Conseil interministériel, en tant que DPN chargé de la réalisation de l’autoroute. Ils me disent que la location des bureaux et des logements des cadres de l’ANA n’entrent pas dans le cadre des mesures complémentaires, alors que Citic a pris en charge toute la délégation et l’installation du stand de l’Algérie au Salon des travaux publics de Shanghai pour un million de dollars. Le ministre lui-même a fait appel aux Chinois pour des travaux de réfection dans sa villa, à Club des Pins, pour un montant de 2 millions de dinars.

Les Chinois ont même pris des photos avant et après les travaux. Cojaal a pris également en charge la participation de l’Algérie au Salon international des travaux publics qui s’est tenu à Paris, où un stand a été aménagé pour Amar Ghoul afin de recevoir ses invités. Dans quel chapitre va-t-il mettre ces prestations ? Il dit ne pas être au courant que le siège de la DPN était loué par les Chinois, alors qu’il est venu trois fois nous rendre visite et nous a même félicités pour notre travail…»
Salima Tlemçani