Bouteflika – ANP : Manoeuvres au sommet

Bouteflika – ANP

Manœuvres au sommet

Ghania Khelifi, Liberté, 24 avril 2001

Il serait peut-être salutaire pour l’Algérie d’ouvrir un vrai débat sur le rôle de l’ANP et de la présidence.

Il est rare qu’un journal fasse état du départ supposé d’un général qui plus est de Mediène dit Toufik, le patron des services de renseignements (DRS).

Notre confrère El Watan, qui fait cette annonce, croit savoir que le retrait du général serait la résultante de son soutien – et choix ? – à l’intronisation de Bouteflika.

Si cette information se confirmait, elle avaliserait de nombreuses hypothèses et rumeurs sur le malaise profond dans le cercle restreint des décideurs, dont le président Bouteflika.

Néanmoins, le général Toufik n’est pas le premier de ces « hommes de l’ombre », à qui l’on prête des pouvoirs énormes, à alimenter les commentaires de quotidiens. Ces derniers jours, le général à la retraite Khaled Nezzar révélait à un journal étranger que le général Smaïn Lamari, patron de la DSE (contre-espionnage), est en réalité le véritable initiateur de la politique de la concorde civile. Betchine et plus tard Bouteflika n’auront été donc que les exécutants d’une partition conçue par les responsables de l’ANP.

Si cette version est avérée, ce serait à l’institution militaire d’assumer les conséquences positives ou négatives de la concorde civile.

On se demande alors à quel niveau se situe le malaise entre l’ANP et Bouteflika puisque le dossier de la concorde civile n’est pas en cause. Plusieurs éléments laissent penser que le problème réside dans la gestion politique du pays.

Les téléscopages entre décideurs auraient irrité les uns et les autres. On se rappelle, dans ce contexte, l’affaire Omar Chikhi, le « repenti » qui avait publiquement regretté de ne pas avoir tué davantage de journalistes. La gestion de ce personnage a visiblement dérapé et elle aurait suscité, selon des sources crédibles, la mise à l’écart de l’officier en charge de cette affaire. Y a-t-il eu confusion des rôles ou des ordres ? Nos sources ne le précisent pas. Autre couac, La sale guerre de Souaïdia.

Là également, le cafouillage semble avoir été à l’origine du problème. Les attachés militaires en poste à l’étranger auraient été aussi sermonnés par leurs supérieurs qui leur ont reproché de ne pas avoir préparé une riposte adéquate avant la parution du livre incriminé. Les réactions à cet ouvrage ont d’ailleurs été assez curieuses. Les relais médiatiques et diplomatiques ayant été inefficaces, le chef de l’état-major, lui même, en l’occurrence le général Mohamed Lamari, a dû s’exprimer publiquement dans « l’ordre du jour » d’El Djeïch pour défendre son institution et tenter de discréditer le livre de Souaïdia. Le président Bouteflika n’a réagi que bien plus tard et de l’étranger.

On est loin du front uni du pouvoir face aux attaques extérieures, attaques qui auraient été d’ailleurs déjouées avant qu’elles ne soient finalisées. Il semble que le relâchement de la cohésion du pouvoir soit dû à la démarche toute personnelle de Bouteflika.

Les prérogatives octroyées à sa famille et à ses proches et sa propension à s’arroger la décision déstabilisent et agacent un pouvoir accoutumé à gérer solidairement et dans l’opacité les affaires du pays. Deux officiers supérieurs ont déjà claqué la porte de la présidence, outrés par le comportement du frère du Président. Il a été dit , il y a quelques semaines, que le général Toufik avait été relevé de ses fonctions par Bouteflika sans consultation de l’état-major.

Le communiqué adressé à la télévision aurait été intercepté in extremis par Larbi Belkheir. Tous ces bruits, même s’ils ne sont pas fondés, ne présagent rien de bon pour la stabilité au sommet de l’État. Dans le même temps, il serait peut-être salutaire pour l’Algérie d’ouvrir un vrai débat sur le rôle de ces institutions, notamment l’ANP et la présidence. L’ANP, qui ne cesse de revendiquer son « apolitisme », devrait à l’avenir assumer en toute clarté sa place dans la gestion politique du pays. Car enfin, n’a-t-elle pas cautionné, voire choisi, des présidents de la République dont Bouteflika ? Les non-dits ne servent qu’à alimenter les critiques et discréditer les autres institutions de la République, présentées ici et ailleurs comme des instruments entre les mains des militaires. Le départ du général Toufik, s’il survenait, confirmerait justement la responsabilité de l’ANP dans la désignation des responsables politiques. Pis ou mieux, c’est selon, Bouteflika aura gagné une première manche dans sa bataille pour conquérir le pouvoir, tout le pouvoir. Quel effet sur l’Algérie ? La réponse est dans les récentes décisions du gouvernement et de ses projets de loi. En réalité, ce n’est pas le départ d’un général dont le pays a besoin mais d’une profonde réorientation de la démarche politique du pouvoir.

Quant aux algériens, ils doivent à présent se corriger de leur fâcheuse tendance à croire que les règlements de compte entre clans du pouvoir peuvent résoudre leurs propres problèmes.

 

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