K. Nezzar: « Si j’ai formé des monstres pareils, alors c’est que je suis un monstre moi aussi ! »

« Algérie : une interview exclusive de l’ex-chef
de l’armée. Le général Nezzar attaque »

 

Propos receuillis par Henri-Christian Giraud, Le Figaro Magazine, 21 avril 2001(reproduit par La Nouvelle République, 21et 22 avril 2001)

Ancien officier de l’Armée française qu’il déserta en avril 1958 pour rejoindre l’Armée de libération nationale (Aln), ancien commandant des Forces terrestres à la tête desquelles il rétablit l’ordre lors des émeutes et de la tentative d’insurrection d’Octobre 1988 qui firent entre 169 (chiffres officiels) et 500 morts, le général Khaled Nezzar est entré dans l’histoire par sa décision, en 1992, d’interrompre le processus électoral qui donnait la victoire au FIS (Front islamique du salut). Chef d’état-major général, ministre de la Défense nationale et membre du Haut comité d’État (instance collégiale chargée de suppléer la vacance du pouvoir présidentiel après la démission de Chadli Bendjedid), le général Nezzar a dirigé la guerre contre les islamistes. Aujourd’hui en retraite, il fut longtemps l’homme fort du régime algérien. Et aux yeux des experts comme de l’opinion publique de son pays, il est encore de ceux qui comptent.

Vous vous apprêtez à publier vos Mémoires en France et à y faire une tournée de conférences dans un climat de mise en accusation du régime algérien…
La publication de mes mémoires en France était prévue depuis longtemps, mais il se trouve, en effet, qu’elle coïncide avec une campagne de diabolisation sans précédent de l’Armée algérienne. Le fort des islamistes, et notamment du FIS, c’est leur propagande. Une propagande qui s’exerce à travers un site internet, le MAOL, le Mouvement algérien des officiers libres, qui prétend regrouper des officiers qui ont fui l’Algérie parce qu’ils y étaient soi-disant persécutés. Seuls de rares anciens officiers de l’ANP en retraite ou dégagés de l’Armée ont rejoint le MAOL. A ma connaissance, un seul cas de désertion a été signalé, celui d’un pilote d’hélicoptère, le lieutenant Messaoud Alili. Par contre, près de 200 éléments ont rejoint les maquis intégristes et ont tous été tués. La plupart des sous-officiers et hommes de troupe, hormis quelques rares cas d’officiers subalternes. Le MAOL bénéficie bien entendu, de l’aide de l’islamisme international.

Le livre * de Habib Souaïdia assimile l’action de l’Armée à des activités criminelles comparables à celles des groupes terroristes.
L’ex-lieutenant Souaïdia est un voyou doublé d’un imposteur : il n’a jamais fait partie des unités spéciales. Non qualifié pour appartenir à une troupe d’élite, il fut affecté au 25e régiment de reconnaissance de la Division blindée où il a passé tout son temps au sein de l’Armée. Quant à son livre, c’est un montage cousu de fil blanc. Son témoignage cite des noms, situe des dates et des lieux, décrit des faits précis. Par sa reconnaissance de l’organisation des unités et de la chaîne du commandement, il donne toutes les apparences de la crédibilité. Précisément, ce ne sont que des apparences.
Un mot de l’auteur d’abord. Habib Souaïdia est un repris de justice qui a été condamné à quatre ans de prison ferme par un tribunal militaire pour avoir volé les véhicules de civils qu’il avait pour mission de protéger. Bien que criant maintenant à l’injustice, il n’a pas fait appel à l’époque. Autre contradiction : à la page 161 de son livre, il écrit que son avocat, Me Chandouki du barreau de Blida, a plaidé que son dossier était « entièrement vide » puis, quatre pages plus loin, qu’il ne pouvait pas compter sur lui pour le défendre. Comprenne qui pourra ! Une chose est sûre : Souaïdia a accompli totalement sa peine. D’ordinaire, les prisonniers n’en effectuent que les deux tiers seulement mais, en l’occurrence, la gravité du délit commis au cours d’une mission qui lui avait été donnée et en période d’état d’urgence ne lui a valu aucune indulgence. Souaïdia dit avoir été victime d’une machination… En 1998, lorsqu’une mission onusienne conduite par l’ancien président portugais Mario Soares s’est rendue en Algérie pour enquêter sur la situation des droits de l’Homme, les autorités lui ont remis une liste d’officiers coupables d’exactions contre la population. Or, le nom de Souaïdia figure sur cette liste alors qu’il était à l’époque un parfait inconnu et qu’il purgeait sa peine dans une prison militaire. Est-ce bien une preuve du motif de sa condamnation ?
Certainement, car la mission onusienne pouvait alors demander à l’entendre. Et si les autorités algériennes avaient eu quelque chose à se reprocher dans son cas, elles prenaient tout simplement le risque d’être confondues. Avec toutes les répercussions internationales que l’on peut imaginer ! Mais il y a une autre preuve qui me paraît tout aussi décisive : si les cadres militaires algériens sont vraiment les tortionnaires que Souaïdia dénonce, on ne comprend pas qu’ils aient laissé en vie un témoin aussi gênant que lui. D’ailleurs, sans doute pour atténuer l’impression que cette « contradiction » peut provoquer chez les lecteurs, Souaïdia écrit ne pas comprendre pourquoi ses tortionnaires ne l’ont pas tué… Or, non seulement ils l’ont laissé en vie, mais ils l’ont libéré. Puis il l’ont laissé engager des démarches pour obtenir un passeport, se débrouiller pour obtenir un visa et quitter le territoire national… A propos de visa, Souaïdia affirme qu’il y a des fonctionnaires corrompus de l’ambassade de France qui font le trafic et que c’est ainsi qu’il a obtenu le sien pour 6 000 F !
Tout cela est pour le moins tiré par les cheveux et l’on s’étonne que ceux qui ont accordé du crédit à ses accusations contre l’Armée ne se soient posé la moindre question sur un personnage qui avait de « bonnes » raisons de vouloir salir une institution dont il avait été exclu ! A ce sujet, Souaïdia prétend avoir demandé sa radiation de l’Armée, mais celle-ci est automatique pour une condamnation de plus de six mois et elle est effective dès le prononcé du jugement. Contrairement à ce qu’il dit, il n’a donc jamais eu à la demander !

Souaïdia est ce qu’il est, mais cela ne veut pas dire que ses accusations ne sont pas vraies. Il accuse l’Armée de commettre des massacres attribués aux islamistes. Si c’était vrai, pensez-vous qu’une armée composée à 80 % de conscrits garderait sa cohésion ?
Ce serait impossible. La troupe se serait depuis longtemps soulevée contre ses chefs. En outre, de telles exactions sont impensables sur le plan éthique : nos officiers ont été formés par des grandes écoles, ils ont un idéal et le respect de certaines règles. Cette armée qui maîtrise toutes les technologies et est prête à manœuvrer avec l’Otan, ne serait donc qu’une bande de barbares ! Souaïdia cite des faits précis comme par exemple, le massacre du douar Zaâtria en mars 1993.
Il n’y a jamais eu à cette époque de massacre au douar Zaâtria. La presse algérienne a fait une enquête et les déclarations de la population ont apporté un démenti catégorique au mensonge de Souaïdia. Deux journalistes français se sont rendus sur place pour enquêter eux aussi sur cette supposée tuerie et leur conclusion a été la même. Des médias étrangers se sont d’ailleurs – et c’est tout à leur honneur – fait l’écho de ces enquêtes.

Une unité commandée par le capitaine Yacine est tombée dans une embuscade et le général Mohamed Lamari, en personne, a interdit à Souaïdia de porter secours à ses camarades. Il n’a eu que le droit, un peu plus tard, de relever les cadavres. Pour lui, ce massacre était voulu par la hiérarchie.
Ce cas fait partie de plusieurs autres allégations où Souaïdia accuse la hiérarchie en mettant en avant le nom de code Bravo 55. Ce nom de code ne peut provenir que de son unité ou de son secteur opérationnel. Il est établi simplement dans un but de coordination lorsqu’il y a intervention des unités spécialisées sur un objectif situé à proximité, afin d’éviter les méprises et de prendre ainsi pour cible, par erreur, des unités stationnées aux alentours. Il ne peut en aucun cas, provenir du sommet de la hiérarchie, sachant que l’organisation des transmissions dans ce genre de situation est strictement hiérarchisée. Il est impossible, dès lors, qu’un chef de section reçoive des ordres par radio directement du chef d’état-major.

Souaïdia dit avoir vu des militaires brûler vif un enfant de quinze ans en 1994.
Selon les déclarations de la famille de ce malheureux, il s’agissait d’un vendeur de cigarettes à la sauvette qui n’a pas tenu compte de l’interdiction lancée par les islamistes contre la consommation de tabac. C’est d’eux qu’il a été victime, pas de l’Armée !
Ce ne sont pas non plus les services de sécurité qui ont commis l’attentat à l’aéroport Houari Boumediene en 1992. Les auteurs de ce crime horrible ont été arrêtés et ils ont publiquement reconnu leur forfait. Je m’emploierai à démonter tous ces mensonges lors de mes conférences en France, car je sais qu’ils ont semé le doute dans la communauté algérienne en France et peut-être aussi chez les Français de bonne foi, majoritaires du reste. Contrairement à ce que l’on raconte à l’étranger, nous avons une armée extraordinaire qui n’a pas eu de répit depuis l’affaire du Sahara occidental et qui – grâce à la restructuration que j’ai entreprise dans les années 80 et qui a apporté du sang neuf -, est commandée par une nouvelle génération d’officiers, jeunes et de qualité.

Tous ces officiers, les Chengriha, les Chibani, dont Souaïdia dénonce le comportement, vous les connaissez ?
Chengrina et Chibani qui se sont succédé à la tête de la division, sont passés par Saint-Cyr, Saumur et l’Ecole de guerre. Ce sont des hommes remarquables. Quand je lis leurs portraits sous la plume de Souaïdia, je me dis : si cela est vrai, si tous ces officiers sont ce qu’il en dit, c’est moi le responsable. Si j’ai formé des monstres pareils, alors c’est que je suis un monstre moi aussi ! Qu’il me désigne donc ! Or, curieusement il m’épargne…

Il vous crédite même du limogeage d’un officier corrompu, un certain colonel Boukhari. Est-ce vrai ?
Sanctionner un officier supérieur ne peut se faire qu’au niveau du ministre, et donc du ministre de la Défense que j’étais. Au cours de ma carrière de ministre, j’ai sanctionné un général et deux colonels parce qu’ils faisaient des affaires à l’extérieur (la loi ne l’interdit pas, mais le règlement militaire l’interdit), mais je n’ai aucun souvenir de cette affaire Boukhari. Sanctionner un colonel, ce n’est pas rien ! Si c’était vrai, il me semble que je m’en souviendrais. [Le colonel Boukhari dont il est question était commandant de l’école de parachutisme à Biskra par la suite, commandant du secteur militaire de Sidi Bel-Abbès, avec le grade de colonel. Il décéda à la tête de ses troupes au cours d’une opération, NDLR.]

Quel est le rôle de la commission d’éthique que vous avez personnellement créée au sein de l’Armée?
La commission d’éthique a concerné une trentaine d’officiers qui se sont rendus coupables de propagande intégriste. Ils constituaient de ce fait, des foyers séditieux. J’ai reçu dans mon bureau certains de ces officiers, dont un a été réintégré dans les rangs des l’Armée par mes soins. Pour ce qui est des officiers appartenant à ce groupe et évoqués dans le livre de Souaïdia comme étant disparus ou ayant été exécutés par l’Armée, je précise pour le cas du capitaine Boualeg – en fait le capitaine Allag Abdelhadi – officier exemplaire selon ses propos, ce dernier a été reconnu coupable d’abus d’autorité contre des civils, jugé et condamné pour cela. Ce cas a été signalé au panel onusien. Pour les capitaines Chouchène, Mahdadi et Azizou, la réalité est que ces trois officiers ont été condamnés à diverses peines de prison et furent libérés entre 1993 et 1995. Ils sont toujours en vie. S’agissant de l’ex-capitaine Chouchène, il vit actuellement à Londres où il entretient d’étroites relations avec les milieux intégristes.

Pourquoi l’armée, qui se trouvait dans les parages, est-elle restée l’arme au pied lors du massacre de Bentelha ?
En Algérie, chaque hameau, chaque village son devenus des points sensibles et un point sensible ne peut être bien défendu que lorsque des troupes y sont implantées. L’étendue du territoire et le faible volume de forces à l’époque, ne permettaient pas la mise en place d’une défense opérationnelle du territoire, constituées en éléments de surface en éléments d’intervention.
S’agissant du cas de Bentelha , une partie des complices des terroristes était implantée dans le tissu urbain. L’extinction de la lumière pendant que les assaillants en grand nombre accomplissaient forfait, créait une confusion telle qu’une intervention venant de l’extérieur ne pouvait que rendre plus dangereuse la situation du moment. Le petit nombre de patriotes ainsi que le détachement de la garde communale sur place furent fixés par une partie des terroristes pendant que la grande partie s’adonnait aux massacres de la population et au saccage de ses biens. Dans ce cas précis, une seule attitude est possible pour des éléments intervenant de l’extérieur :
faire acte de présence par le feu et tenter de prendre les assaillants à revers sur le ou les chemins du retour. Souaïdia précise bien dans son livre qu’il n’y avait qu’une trentaine d’hommes dans la caserne e soir-là. C’est effectivement me moment que choisissent les terroristes pour accomplir leurs forfaits. Ils sont renseignés par leurs complices chaque fois que la troupe se déplace en opération. Souvenons-nous du massacre de quinze Serbes à mille mètres de la Kfor par les Kosovars sans que cette dernière ait pu intervenir.
Aucune armée n’est pure et sans tache surtout dans une sale guerre !
Pour une sale guerre c’est une sale guerre en effet que celle qui voit des hommes – je devrais dire des bêtes – fracasser la tête des bébés contre les murs et tuer des collégiens à coups de hache ! Imaginez le traumatisme des jeunes soldats quand ils découvrent de telles scènes d’horreur ! Qu’il y ait des dérapages, c’est inévitable dans un tel climat de sauvagerie, mais ils sont sanctionnés. Je peux vous assurez qu’aucun innocent n’a été touché.

Souaïdia accuse l’armée d’être une machine à fabriquer des terroristes.
La machine à fabriquer des terroristes, ce n’est pas l’armée, ce sont nos “conciliateurs” politiques : le FLN, le FFS, le parti de Louisa Hanoun, tous ceux qui ont participé à la conférence de San’Egidio. En un mot, selon moi, tous ceux qui s’emploient d’une manière ou d’une autre à légitimer le terrorisme. Ce sont eux qui ont rempli les maquis d’opportunistes qui pensaient ainsi être dans le camp des gagnants.
Souaïdia accuse des généraux d’avoir ordonné l’assassinat du président Boudiaf… En tant que chef d’état-major général j’ai été le principal artisan du retour de Boudiaf en Algérie. Pour quelle raison alors, mes collègues et moi l’aurions-nous fait disparaître ? Pour prendre le pouvoir ? Mais ce pouvoir nous l’avions et nous avons précisément fait venir Boudiaf pour le lui donner et pour qu’il l’exercice avec l’autorité qui le caractérisait. D’ailleurs, j’ai démissionné du Haut comité d’Etat. Pour cacher quelque chose ? Mais caher quoi ? Je connais le refrain : les généraux algériens sont des pourris, ils ont des comptes partout. J’ai même entendu Anne Sinclair dire qu’“ils se partagent la rente pétrolière”… C’est ahurissant de dénoncer ainsi sans preuve toute une corporation ! Vous savez combien gagne un général ? 5 440 000 dinars, c’est-à-dire l’équivalent de 5 400 F. Avec les primes, il double sa solde. Pour en revenir à Boudiaf, nous l’avons fait venir pur sauver l’Algérie du chaos et nous aurions pris délibérément le risque d’augmenter le chaos, car sa mort fut un cataclysme – en l’éliminant ! C’est absurde.

Pourquoi l’a-t-on tué ?
Dans son livre, Souaïdia reconnaît lui-même que Boudiaf avait une priorité : la lutte contre l’islamisme. D’ailleurs, le FIS l’a aussitôt accusé urbi et orbi d’être “un agent de la franc-maçonnerie internationale”. On sait également que – contrairement à certains de ses prédécesseurs qui n’avaient pas hésité à flirter avec le FIS – Boudiaf était résolument opposé à tout partage du pouvoir.
“Je n’ai pas de pouvoir à partager”, martelait-il. Enfin, par son charisme, Boudiaf déclenchait notamment chez les jeunes – une dynamique nouvelle qui balayait les partisans d’un régime théocratique totalitaire. Qui avait donc intérêt à le tuer, sinon les islamistes ? Son assassin, le sous-lieutenant Boumaârafi, un homme renfermé selon tous ses collègues, s’est muré dans son mutisme lors de son procès devant une juridiction civile et la justice a conclu à un acte isolé. Depuis, il fait l’objet d’une protection constante. J’étais présent dans le bureau du général Lamari, chef d’état-major de l’armée, lorsqu’il a transmis l’ordre de tout faire pour garder vivant Boumaârafi lors de la mutinerie des prisonniers islamistes à Serkadji. Les militaires ont protégé Boumaârafi au péril de leur vie alors que celui-ci était parmi les mutins. Personnellement, je suis persuadés qu’il finira par avouer un jour ses convictions islamistes. Alors la vérité éclatera aux yeux de tous.

Selon vous, qui est à l’origine de ce livre ?
Souaïdia dit qu’il parage le combat du MOAL. Selon moi, ce sont donc les islamistes qui ont participé à l’élaboration de ce livre qui eut une supercherie du même genre que celle de Timisoara, mais en bien pire ! Car accusez une armée nationale et issue du peuple de tuer ses compatriotes, est une abomination. Même nos intellectuels – qui comme tous les intellectuels sont plutôt antimilitaristes – se sont levés comme un seul homme pour dénoncer ce mensonge.

Selon le MOAL, 47 officiers, sympathisants islamistes, détenus dans la prison de Boghari – et qui allaient être libérés à la fin de leur peine – ont été froidement assassinés par le DRS (sécurité militaire).
Boghari n’est pas une prison, mais un centre d’instruction. N’importe quel militaire d’un certain rang le sait, ce qui semble bien prouver qu’il y a peu de vrais miliaires dans le MOAL. Ceux qui se cachent derrière cette association qui dit n’importe quoi tentent de faire croire maintenant que, comme il y a des “officiers livres” à l’étranger, il y a aussi des “officiers libres” sur le territoire algérien et, bien entendu, qu’ils sont persécutés. Pour confirmer encore une fois que le MOAL n’est rien de plus qu’un site Internet, je voudrais rapporter un extrait d’un éditorial de ce mouvement en réponse à un article d’un ancien chef de région à la retraite : “Lors d’une réunion en 1992, présidée par Gaïd Salah et à laquelle ont assisté plus de 450 officiers, vous avez suggéré à ce dernier qui avait froidement annoncé aux officiers présents qu’en cas de refus d’obéissance, le commandement militaire était prêt à louer les services d’une armée étrangère pour venir à bout de tous les insurgés… Vous l’avez quand même fait, ou faut-il vous rappeler les mercenaires ? Les Sud-Africains, les Français, les Yougoslaves et autres.” Ma réponse est que de telles allégations ne peuvent provenir de militaires soi-disant libres, donc censés connaître l’ANP. La réunion tenue à Aïn Naâdja (QG des forces terrestres), comprenait les chefs des régions militaires, les chefs de divisions de combat et le chef d’état-major. Elle n’a jamais réuni plus de 25 personnes. Elle était présidée par moi-même, en ma qualité de ministre de la Défense nationale à l’époque, Gaïd Salah n’était que chef de région.

Ou on est le terrorisme aujourd’hui ?
Il est mois fort qu’hier, mais plus agressif. Et comme il est résiduel, il est, par définition, plus difficile à réduire d’autant qu’il s’attaque généralement à des populations isolées dans des régions difficiles d’accès pour les fores de l’ordre. Mais l’enjeu est gagné.

L’enjeu est gagné ?
Oui. Le terrorisme a encore une capacité de nuisance, mais il ne peut plus renverser le régime. Un scénario afghan est désormais impossible. L’Algérie a été la cible du terrorisme islamique international en raison de sa position stratégique : faire tomber l’Algérie, c’était déstabiliser tout une série de pays, voire de régions. Et les choix s’est porté sur elle à un moment où elle était particulièrement faible. Ma conviction est que si le terrorisme doit mourir, c’est ici, en Algérie qu’il mourra parce que ses partisans ont compris que le terrorisme ne mène à rien.

Regrettez-vous d’avoir dû arrêter le processus électoral en 1992 ?
En aucun cas. Ce serait à refaire, je le referais. Nous étions prêts à accepter que le FIS participe à l’Assemblée à hauteur de 30% des sièges. Mais 70% des sièges, obtenus dès le premier tour et en ballottage favorable au second tour grâce à une fraude généralisée et une loi électorale scélérate, c’eut été le règne des talibans en Algérie ! Au niveau des effectifs, que représentent les terroristes ? La mouvance terroriste compte une demi-douzaine de groupes (GIA, FIDA, GSPC, etc) qui ont, chacun, sa spécificité.
Pour ce qui est des effectifs, tout dépend des régions. Dans la région d’Alger, Antar Zouabri (GIA) n’a pas plus d’une centaine de personnes. Il a succédé à la tête de son groupe à ses deux frères qui ont été tués. C’est aussi le cas pour Hassan Hattab, chef du GSCP en Kabylie. On pourrait presque parler de dynasties… Ce terrorisme se caractérise par une sauvagerie ahurissant et une sauvagerie à répétition, dans l’espace et le temps, qu en fait à mes yeux un phénomène inédit.

Quel est l’émir le plus puissant actuellement ?
C’est Hassan Hattab III avec ces GSPC parce que lui s’attaque prioritairement aux forces de l’ordre et pas à la population, donc il vit davantage comme un poisson dans l’eau. Surtout dans les fortes concentrations maraboutiques suite à une interdiction d’armer les populations ordonnée par le FFS.

Y a-t-il des pays qui soutiennent le terrorisme ?
Plusieurs pays ont soutenu les terroristes, notamment l’Iran qui par sa propagande, ses écrits et ses proclamations, a sciemment mis de l’huile sur le feu. Aussi, au début des années quatre-vingt dix, ai-je personnellement décidé le renvoi de l’ambassadeur et la fermeture de l’ambassade. Parallèlement, nous avons suspendu les relations avec le Soudan.

Que pensez-vous de la “concorde civile” mise en œuvre par Bouteflika et qui offre aux terroristes l’occasion de se repentir et de réintégrer la société ?
J’y suis favorable, car il s’agit d’une guerre entre Algériens et que l’on doit finir par s’entendre. J’y suis d’autant favorable d’ailleurs que ce sont des militaires, notamment le général Smaïn Lamari qui l’ont engagée. Les résultats de cette politique sont dans un sens positifs puisque plus de 7 000 terroristes se sont rendus. Ce sont autant de bourreaux en moins. Reste le problème que posent ces repentis qui ne sont pas passés par la justice et qui sont là maintenant, au milieu de la population, dans une situation qui n’est pas aisée pour eux pas plus qu’elle ne l’est d’ailleurs pour leurs victimes.
Certains disent que la concorde civile a connu du succès auprès des gens qu’elle ne concernait pas – les terroristes de l’AIS, l’armée du FIS – et un échec auprès de ceux qu’elle concernait : les terroriste du GIA.
C’est faux. En 1997, lorsque l’AIS a accepté de cesser le combat, elle ne comptait que 600 combattants. Or, il a eu plus de 7 000 ralliés.

Quelle politique faut-il adopter envers les terroristes qui refusent la concorde civile ?
A mon sens, il n’y en a qu’une : l’éradication. Ce n’était pas mon choix d’origine puisque j’étais favorable au pardon, mais aujourd’hui devant ces gens qui se conduisent plus sauvagement que des bêtes sauvages, je dis que la seule solution c’est de les éradiquer.

C’est-à-dire les exterminer ?
C’est-à-dire les combattre jusqu’au bout et y mettre le prix qu’il faut.
La publication des livres de Nesroulah Yous *** et de Souaïdia a été suivie d’une pétition d’intellectuels français réclament la création d’une commission d’enquête internationale sur les faits et gestes de l’armée. Que pensez-vous de cette demande d’internationalisation de la crise algérienne ?
A mon sens, l’arrière-pensée est toujours la même : il s’agit de réhabiliter le FIS. Et cela passe par la déstabilisation de l’armée, principal acteur du combat contre les intégristes. On accuse l’état-major d’entretenir la stratégie de la tension pour éliminer toute opposition.

Le président gouverne avec une coalition. Que représentent les autres partis à côté de cette coalition ?
A ma connaissance, pas grand chose. S’ils avaient quelque chose à dire on les entendrait. A lire la presse algérienne, on n’a pas, il me semble, l’impression que les Algériens sont muselés !
Dénonçant l’aide financière et la livraison d’armes sophistiquées à l’Algérie, certains milieux intellectuels accusent aussi la politique algérienne de la France d’une “véritable complicité de crime contre l’humanité”. En impliquant la France dans cette affaire, il s’agit encore, d’une manière ou d’une autre, de favoriser l’internationalisation d’un problème strictement algéro-algérienne. Nous nous sommes battus pour notre indépendance et nous l’avons payée suffisamment cher pour n’accepter aucune ingérence étrangère. Parce que nous acceptions certaines aides de l’URSS, on a dit autrefois que nus avions livré Mers El-Kébir aux Russes ! C’était totalement faux. Je vais vous faire une confidence : Moscou est revenu à la charge plusieurs fois pour utiliser un aéroport en Algérie. Un aéroport qui aurait servi aux avions soviétiques à atteindre l’Europe. Nous avons refusé. Et Moscou en a été pour ses frais. Comment accepter maintenant qu’on vienne ici nous donner les leçons et nous dicter notre conduire !

Après avoir lancé la “concorde civile”, le président Bouteflika, vient de parler de “concorde nationale”. Quel est le sens de ce projet ?
Certains l’ont aussitôt suspecté de vouloir tendre la main au FIS. Qu’en pensez-vous ?
Personnellement. Je m’en tiens à la concorde civile. Je ne sais pas ce signifie concrètement la concorde nationale, car pour l’instant cela n’existe pas. Les militaires sont sur le terrain et continuent de remplir leur mission.

Il y a dix huit mois, Bouteflika promettait le retour de la paix. A-t-il réussi ou échoué ?
Je ne parlerais pas d’échec, car nous savions qu’ils ne pourrait pas faire de miracle. Le président a un mandat de cinq ans. Il a encore le temps de réussir.

* “Echec à une régression programmée”, Publisud.
** “La sale guerre” La Découverte
*** “Qui a tué à Bentalha, Algérie, chronique d’un massacre annoncé”, La Découverte.

 

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