Encore un effort pour bien construire
par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 4 juillet 2011
«Il cherche le pouvoir». «Il veut partager le pouvoir». Ces expressions, qu’il faut prononcer sur un ton scandalisé, sont les formules chéries de ceux qui détiennent le pouvoir. Elles correspondent à des pratiques de limitation de territoire qui ont été d’une redoutable efficacité sur l’encadrement national, dont une partie est malheureusement exilée et irrémédiablement perdue pour la nation.
La politique, c’est le terrain où il ne faut pas s’aventurer. Le «bon cadre» doit rester lisse pour ne pas être évacué du vivier des compétences techniques. Il ne doit jamais avoir d’ambition politique, il ne doit avoir que des ambitions de carrière. Dans le système algérien, où le pouvoir n’est jamais négociable, la règle s’applique même à ceux qui sont dans les appareils politiques. Avoir une ambition politique pour soi-même et son pays est normal ailleurs, cela est un sacrilège dans le système algérien. Et même sous les apparences du multipartisme, la règle reste de mise. Avoir une ambition politique serait honteux, dangereux et hérétique.
C’est sans doute cela qui pousse des Algériens intelligents, comme ceux qui ont lancé l’initiative Nabni, à affirmer, contre l’évidence, qu’ils ne font pas de politique. Et sur le fond, ils n’y croyaient pas eux-mêmes ! L’affirmation passerait, au mieux, comme une volonté de se protéger en envoyant un message à «qui de droit» pour expliquer qu’on ne cherche pas à prendre leurs places.
D’autres ont une explication plus prosaïque de cette affirmation de «virginité politique» : l’initiative correspond à la volonté du pouvoir ou d’une partie de celui-ci à circonscrire la question des réformes à des aspects techniques. On sait, en effet, qu’en Algérie on peut changer des lois et la Constitution sans que l’on change de politique et de pratiques.
Mais si les initiateurs de Nabni y ont cru contre l’évidence, ils ont découvert, au fil de propositions et des réactions de lecteurs et de citoyens, que non seulement il ne faut pas avoir honte de faire de la politique, mais qu’il est absolument nécessaire d’en faire. Les 99 mesures préconisées par Nabni dont certaines sont fort discutables au demeurant peuvent en effet être formellement endossées par le gouvernement sans que cela change grand-chose à la situation.
D’autres Algériens à la compétence avérée et reconnue peuvent aussi faire des propositions d’un grand intérêt. Mais toutes les mesures préconisées resteront sans effet et ne mettront pas le pays dans un cercle vertueux si l’on persiste à évacuer le préalable de la réforme politique. Et de l’impératif d’un débat national ouvert sur une sortie concertée et pacifique d’un système atteint d’impotence.
Nabni dit avoir découvert auprès des citoyens la conviction que sans une réforme de l’Etat, de la gouvernance, sans la transparence et sans contre-pouvoirs, les propositions les plus intéressantes resteront vaines. Ces «prérequis», c’est de la politique et du débat nécessaire pour déterminer les moyens de changer de système et ce qu’il faut changer dans la pratique politique. Saluons donc comme un «progrès» le fait d’admettre que la réforme n’est pas une affaire de technicité juridique.
Il reste cependant encore des efforts à faire pour en finir avec cette phobie, entretenue par le système, à l’égard de la politique. Il faut faire de la politique. Il faut réhabiliter la politique. Cela aussi fait partie du changement nécessaire.
Nabni a décidé dans sa 100e annonce de rester sous la forme d’un Observatoire des politiques publiques. Souhaitons-lui de faire plus d’efforts politiques pour bien construire.