Les masques et les gels de protection restent chers
Ces accessoires qui pèsent sur le porte-monnaie des petites bourses
Nabila Amir, El Watan, 17 novembre 2020
L’Algérie fait face depuis le début de ce mois à une flambée de l’épidémie de la Covid-19. Le bilan quotidien des contaminations a bondi, imposant plus que jamais aux Algériens le respect des gestes barrières. L’acquisition des accessoires de protection (masques, gel, etc.) induit forcément des sacrifices aux familles. Le remboursement de ces produits est suggéré par certaines associations des consommateurs…
Une famille moyenne composée de deux adultes et trois enfants devra débourser plus de 10 000 DA par mois afin de se procurer des masques chirurgicaux répondant aux normes, des solutions antiseptiques et les gels. Une dépense conséquente qui grève le budget des smicards, voire des familles aux revenus modestes. L’Algérie fait face depuis le début de ce mois de novembre à une flambée des cas de Covid-19.
Le bilan quotidien des contaminations a quasiment triplé et la barre des 800 cas a été dépassée. Cette situation impose le respect des gestes et mesures barrières indispensables pour limiter la propagation du coronavirus : notamment le port du masque et la désinfection des mains. Mais ces accessoires de protection nécessitent un lourd budget que de nombreux foyers les plus modestes ne peuvent supporter. Pour certains, acheter des masques n’est pas du tout dans leurs moyens, même si le virus tue, ils ont, disent-ils, d’autres priorités. Pour d’autres, la santé n’a pas de prix, donc ils mettent le paquet quitte à s’endetter.
«Je suis un petit smicard qui arrive à peine à joindre les deux bouts. Je n’ai vraiment pas les moyens d’acheter ces accessoires ni pour moi ni pour mes enfants. Je m’en remets à Dieu pour me protéger. Néanmoins, ma femme a confectionné des bavettes pour les enfants juste pour éviter les problèmes à l’école», signale Rabah qui est fonctionnaire. Reda, un journalier ne porte pas de masque, pourtant il travaille dans un chantier de construction.
Ce quinquagénaire estime que c’est au patron de lui fournir cet accessoire : «Je gagne à peine quelques sous. Il ne manquerait plus que je consacre un budget pour ce genre de gadget, au lieu de nourrir mes enfants.
En plus, ces masques sont encombrants et étouffants.» Farida ne badine pas avec la santé de sa famille. Elle a acheté des masques, mais elle estime que leurs prix ne répondent à aucune logique : «J’ai acheté la boîte de 50 masques à plus de 2500 DA chez la pharmacie du quartier à Bab El Oued, alors que chez le grossiste d’à côté le prix affiché avoisine les 3000 DA. Ce n’est pas normal.» Interrogé, le pharmacien se dit outré par la spéculation des grossistes. Dans cette officine, l’on trouve plusieurs modèles de masques à différents prix. Le moins cher est proposé à 35 DA, tandis que le plus cher à 100 DA.
Désengagement de l’état
Farida s’en prend aux pouvoirs publics qui ne lâchent pas du lest. Pour elle, le gouvernement doit rendre accessibles les moyens de protection, tels que les bavettes et les gels et surtout contrôler les prix, actuellement exorbitants.
Cet appel a été déjà lancé par les responsables de l’Association de protection du consommateur El Aman. Son président Hacene Menouar n’a cessé, depuis le début de la pandémie, d’interpeller les pouvoirs publics pour qu’ils fixent les prix de ces produits ou carrément de les distribuer gratuitement. «Depuis la mise en place du protocole de prévention, nous avons demandé à l’Etat algérien d’arrêter les prix de référence des produits de prévention, aussi d’en subventionner une partie, car ces accessoires coûtent cher, mais il n’en fut rien», se plaint Menouar qui estime qu’avec la rentrée scolaire et universitaire la situation devient plus «pesante» pour les parents.
Un petit calcul nous renseigne sur l’ampleur de la saignée : si l’on doit assurer pour chaque enfant, et chaque jour, une bavette et un flacon de gel hydroalcoolique, il faut un budget à la hauteur de ces produits. «Les parents achètent huit bavettes à raison de 50 DA et un flacon de gel à 150 DA par semaine. Ils déboursent donc pour chaque enfant 2200 DA par mois. La taille moyenne de la famille algérienne est de cinq membres. En somme, les parents doivent au total débloquer un budget de 11 000 DA par mois, rien que pour les masques et les gels, et ce, si l’on fait les choses correctement», tranche M. Menouar.
Le président de l’Organisation algérienne de protection et d’orientation du consommateur et son environnement (Apoce), le Dr Mustapha Zebdi «déconseille» aux familles l’utilisation des bavettes chirurgicales en raison de leur coût exagéré. «Il est impossible aux familles de maintenir le rythme des masques jetables. Les smicards ne peuvent pas assumer cette corvée supplémentaire, alors nous recommandons le recours à la bavette lavable dont le prix varie entre 200 DA et 500 DA et qui peut tenir 30 jours», conseille le Dr Zebdi qui pense qu’économiquement parlant, ces masques lavables sont plus rentables.
Le Remboursement des masques s’impose !
Le Dr Zebdi remet néanmoins en cause la «qualité» des bavettes confectionnées à la maison. «Pour la bavette, il faut un tissu avec certaines caractéristiques pouvant faire effet de filtre. Plusieurs opérateurs sérieux fabriquent ces masques qui sont actuellement disponibles dans les officines. Il faut une sensibilisation et une orientation des citoyens», note le président de l’Apoce, qui invite les pouvoirs publics à imposer le remboursement de ces bavettes par la Sécurité sociale.
Aujourd’hui, la crise sanitaire risque de durer encore longtemps et pour palier à l’absence de l’Etat, l’association El Aman dirigée par Menouar a demandé aux parents de confectionner des bavettes pour les enfants mais avec un tissu approprié ou d’acheter des masques lavables. «Il faut au minimum trois masques pour un enfant afin de pouvoir les laver et les sécher au soleil. Les parents peuvent aussi remplacer le gel par du savon liquide pour pouvoir se laver les mains à l’école.
C’est l’unique solution pour alléger le quotidien des familles algériennes», observe Menouar, précisant que cette année beaucoup de parents n’ont pas pu acheter les cartables à leurs enfants, alors que dire des masques. Le drame, selon lui, est qu’aujourd’hui on achève bien les parents ! A la crise sanitaire, s’ajoute l’augmentation des prix de tous les articles scolaires et les frais de scolarisation ! Où est l’Etat ? s’interroge Menouar, qui pense qu’ils sont nombreux les Algériens qui portent la même bavette pendant une semaine pour éviter juste les pénalités.
Faut-il rappeler que les sanctions contre le non-port du masque dans les espaces publics durant cette crise sanitaire sont prévues. Selon le code pénal, les contrevenants s’exposent jusqu’à cinq ans de prison et 500 000 DA d’amende. Seulement porter le même masque pendant une semaine ne protège en rien l’individu, pire, il devient une source de maladie, dès lors qu’il sera chargé de microbes.
Cette association, comme beaucoup de professionnels de la santé, estiment que l’école doit continuer à dispenser le savoir aux enfants conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui avait exhorté les gouvernements à laisser les écoles ouvertes en veillant à l’application rigoureuse des mesures de préventions. «Nous ne demandons pas la gratuité des tests PCR pour tous les Algériens, s’insurge un parent d’élève. Pour l’heure, nous demandons à l’Etat d’équiper les établissements scolaires en gel et de donner des masques aux enseignants et aux élèves.»
Gel hydroalcoolique frelaté !
Pour le Dr Zebdi, il y a une grande anarchie dans le marché de ce produit. «Nous avons vu des masques ‘Ninja’ fabriqués avec un tissu élastique. Nous avons attiré l’attention des pouvoirs publics et des consommateurs quant à la dangerosité de ces masques qui sont, malheureusement, toujours disponibles», déplore le Dr Zebdi. Une autre anomalie relevée par le Dr Zebdi est la qualité de certains gels vendus sur le marché. «La semaine dernière, nous avons découvert sur nos marchés de l’alcool chirurgical frelaté.
Un produit fabriqué par des laboratoires et qui n’est pas conforme aux normes exigées. De l’alcool à moins de 40 degrés. En l’achetant, le consommateur pense qu’il est protégé, alors que ce n’est pas le cas. C’est grave, nous avons dénoncé cette arnaque», déplore le Dr Zebdi. Par ailleurs, le président de l’association El Aman appelle les autorités à mettre un terme à la spéculation constatée dans le commerce du matériel médical et paramédical.
Des chapiteaux doivent être érigés au sein des hôpitaux, selon l’association, pour prendre en charge les malades en difficultés respiratoires et les concentrateurs d’oxygène acquis par les associations de bienfaisance doivent être mis à la disposition du personnel médical et paramédical au sein des structures d’hospitalisation. Seuls, les médecins sont habilités à savoir quel est le malade qui en a le plus besoin…
«Il faudrait mettre à contribution l’armée, la Sûreté nationale, les douanes, la Sonitex, la Sonipec… Ces structures disposent d’ateliers qui peuvent fabriquer des bavettes conformes et en quantité suffisante afin de les donner gracieusement», suggère Menouar.