Après la colère des avocats contre les dérives judiciaires: Le syndicat des magistrats dénonce «l’anarchie et les dépassements»

Salima Tlemcani, El Watan, 29 mars 2020

Alors que le pays retient son souffle en raison de la propagation rapide de l’épidémie de coronavirus, les avocats ne cessent de dénoncer de «graves dérives judiciaires» alors que le Syndicat des magistrats exhorte le Président à «mettre un terme à l’état d’anarchie et de dépassements que connaît le secteur de la justice afin de préserver ce qui lui reste de crédibilité».

La justice est de plus en plus décriée en ces temps de confinement sanitaire. Ainsi, après le procès «scandale» de Karim Tabbou et sa condamnation sans débat, en l’absence de ses avocats, c’est au tour du procureur adjoint du tribunal de Tiaret de faire l’objet d’une mise sous mandat de dépôt, après avoir été placé en garde à vue durant 48 heures puis placé sous contrôle judiciaire (au lever du jour), avant d’être convoqué deux jours après et placé en détention pour «remise de documents confidentiels» à Abdou Semmar.

L’information est vite rapportée par des chaînes de télévision privées alors que le mis en cause a entamé une grève de la faim à partir de la prison pour dénoncer ce qu’il estime être «dérive judiciaire».

Solidaire, le Syndicat national des magistrats SNM) n’a pas tardé à réagir. Dans un communiqué, son président, Isaad Mabrouk, fustige la médiatisation de l’incarcération décidée, selon lui, «sur instruction de certaines parties pour détourner l’attention sur ce scandale judiciaire», puis revient sur des faits qui laissent perplexe.

D’abord l’arrestation du procureur adjoint et sa mise en garde à vue durant 48 heures «sur instruction du procureur général de Tiaret en dépit de l’absence de toute preuve sur les faits reprochés, et ce, en violation du code de procédure pénale (notamment ses articles 2 et 3) qui habilite l’officier de police judiciaire de prendre une telle mesure dans le cas où il y a des preuves avérés sur un délit ou crime passible de prison. Dans le cas contraire, l’officier ne peut que prendre les informations auprès du mis en cause avant de le relâcher».

Mais aussi «sa présentation, vers 2h devant le tribunal de Frenda, comme s’il s’agissait d’un dangereux criminel, en foulant au pied sa dignité en tant que personne et en tant que magistrat docteur en droit, auteur de plusieurs publications spécialisées et en violant le principe de la présomption d’innocence avant qu’il soit auditionné par le juge d’instruction près le même tribunal qui l’a inculpé pour deux griefs, placé sous contrôle judiciaire et libéré vers 4h.

Deux jours après, le procureur est convoqué par le magistrat qui requalifie les mêmes faits sans qu’il y ait eu du nouveau dans le dossier, ce qui est contraire à l’article 123 du code de procédure pénale consacrant la mise en détention comme une mesure exceptionnelle».

Pour le SNM, la poursuite engagée contre le procureur adjoint du tribunal de Tiaret «n’est qu’un acte de vengeance contre ses activités syndicales paar lesquelles il s’est illustré et son combat pour les droits des magistrats, profitant des moments exceptionnels que traverse le pays avec la mobilisation de tous pour lutter contre la propagation du Covid-19.

Et c’est la raison pour laquelle le Syndicat a opté pour une lettre à l’Union internationale des magistrats et l’informer des dépassements dont a été victime notre confrère pour ses activités syndicales».

Le SNM annonce également que le procureur «est en grève de la faim depuis sa mise sous mandat dépôt, en réaction contre les graves atteintes à sa liberté et à sa dignité», Il tient pour «responsable le ministère de la Justice de toute conséquence sur la santé du magistrat» et appelle «le président de la République à user de ses prérogatives pour mettre un terme à l’état d’anarchie et de dépassements qui a frappé le secteur de la justice ces derniers jours, pour préserver ce qui lui reste de crédibilité au niveau national et à l’international, tout en jugeant chacun des responsables».

Force est de constater qu’au moment où l’Algérie vit au rythme du confinement sanitaire, les «dérives judiciaires» se multiplient, suscitant des tirs croisés aussi bien des avocats que des magistrats. Y a-t-il un pilote qui pourrait remettre la justice sur les rails ? La question reste posée…