Ouverture d’une enquête pour « apologie de crimes de guerre »

Aussaresses :
ouverture d’une enquête pour « apologie de crimes de guerre »

Franck Johannès, Le Monde, 17 mai 2001

Le parquet de Paris a ordonné, jeudi 17 mai, une enquête préliminaire sur les propos tenus par le général Aussaresses sur la torture en Algérie dans « Le Monde » du 3 mai. Le procureur estime que ces déclarations pourraient constituer une « apologie de crimes de guerre ». Il a en revanche écarté les poursuites pour « crime contre l’humanité ». Pour contourner ce veto, des associations se sont constituées parties civiles.
Ce n’est pas d’une audace inouïe et le parquet a préféré avancer prudemment. Jean-Pierre Dintilhac, le procureur de Paris, saisi de plusieurs plaintes contre le général Paul Aussaresses au sujet de la torture en Algérie, a décidé, jeudi 17 mai, d’ordonner une enquête préliminaire pour « apologie de crimes de guerre ». Il a en revanche écarté les poursuites pour « crimes contre l’humanité » déposées le 7 mai par la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), qui se heurtaient à plusieurs difficultés juridiques. Les associations entendant bien contourner le veto du parquet et se constituer parties civiles ; quatre fronts judiciaires vont ainsi être ouverts au tribunal de Paris.

La plainte simple déposée le 4 mai au parquet par la Ligue des droits de l’homme visait explicitement les propos de Paul Aussaresses publiés dans Le Monde du 3 mai. La Ligue demandait au procureur de poursuivre le général pour « apologie d’atteintes volontaires à la vie, atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, crimes de guerre », des délits de presse applicables depuis le 5 janvier 1951, c’est-à-dire avant les deux lois d’amnistie sur la guerre d’Algérie.

Le parquet a effectivement ordonné jeudi une enquête préliminaire, et chargé la brigade des affaires sanitaires et des libertés publiques (Baslp, les anciens cabinets de délégation judiciaires) d’entendre le général Aussaresses et son éditeur, prélude à l’ouverture d’une information judiciaire. Le parquet estime en revanche que les poursuites pour « crimes contre l’humanité » demandée par la FIDH ne sont pas possibles. « Cette incrimination n’existe dans notre droit que depuis le 1er mars 1994, date de l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, a indiqué le procureur dans un communiqué.
Antérieurement à cette date, seuls les crimes contre l’humanité commis pendant la seconde guerre mondiale ont pu être poursuivi, sur le fondement de la charte du tribunal militaire international de Nuremberg, annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945. Les faits revendiqués par le général Aussaresses et plus généralement commis à l’occasion du conflit algérien ne peuvent donc recevoir qu’une qualification de crime de guerre ou de droit commun. Ils sont alors prescrits et en toute hypothèse couverts par la loi d’amnistie résultant de la loi du 31 juillet 1968. »

« MANQUE D’AUDACE »

Une argumentation classique, et Me Patrick Baudoin, qui avait déposé la plainte pour la FIDH, s’avoue « déçu, sans être surpris et nullemment découragé ». Si le parquet lui a expliqué, jeudi matin, qu’il n’avait pas été vraiment convaincu que les crimes en Algérie relevaient bien « d’un plan concerté, pour des motifs politiques » qui définissent le crime contre l’humanité, l’avocat assure que le parquet est convenu en revanche que la FIDH avait « des arguments » sur ce « no man’s land » de 1945 à 1994 où il n’est pas possible en France de poursuivre ces crimes et qu’il y avait bien une difficulté à faire état d’une amnistie pour des crimes par nature imprescriptibles. « Le parquet a refusé de franchir un pas qu’il faudra franchir demain, a indiqué Me Baudoin. Nous avons raison trop tôt ; malheureusement le parquet ne veut pas prendre l’initiative des poursuites et manque d’audace. Mais l’affaire n’est pas terminée. » La Ligue des droits de l’homme partage la même analyse, « satisfaction que le parquet ait accepté le principe des poursuites, a expliqué Me Michel Tubiana, le président de la Ligue, insatisfaction qu’on ne puisse aller plus loin ».

La FIDH entend désormais porter plainte avec constitution de partie civile pour « crimes contre l’humanité » auprès du doyen des juges d’instruction. C’est précisément ce qu’a fait le 9 mai Me Pierre Mairat pour le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP). Le doyen a rendu mercredi une ordonnance de consignation, le MRAP a un mois pour réunir 10 000 francs qui permettront de désigner un juge, qui décidera s’il convient d’informer. En cas de refus, le MRAP, avant la FIDH, fera appel devant la chambre de l’instruction et le cas échéant près la Cour de cassation. Dans l’espoir que la haute juridiction modifie son unique jurisprudence et s’aligne sur le droit international : la cour a écarté le 1er avril 1993 des poursuites pour crimes contre l’humanité contre Georges Boudarel, accusé de tortures sur les prisonniers français du Viêt-Minh. « Les poursuites sont possible, soutient Me Mairat. Les difficultés juridiques sont surmontables, c’est une question de volonté politique. »

Enfin Me Nicole Dreyfus, l’avocate de Josette Audin, la veuve de l’enseignant disparu à Alger le 21juin 1957, a déposé mercredi 16 mai une dernière plainte avec constitution de partie civile pour « crimes contre l’humanité » et surtout « séquestration ». Un crime continu qui échappe à la prescription mais se heurte à la loi d’amnistie.

 

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