Livre de Thomas Deltombe : L’Afrique d’abord !

L’éditeur et chercheur indépendant,  Thomas Deltombe, auteur de nombreux ouvrages ayant trait à l’Afrique et à l’Islam publie un livre tout à fait passionnant et très instructif sur l’histoire des relations de François Mitterrand avec les colonies africaines de la République française. L’auteur avec grande rigueur s’est attaché à éclairer la part méconnue, particulièrement sombre, de l’action colonialiste au cours des années cinquante du siècle dernier d’un maitre indiscutable de l’imposture politique. Thomas Deltombe révèle en effet un Mitterrand soucieux avant tout de préserver l’hégémonie sur ce qu’il considérait comme une arrière-cour française et une des conditions indispensables à la « grandeur’ de la France dans son rôle global. Cette propension à défendre un empire fondé sur le pillage et la dépossession est en permanence justifié par le souci de contrer les convoitises des puissances concurrentes. Ce leitmotiv invoqué au lendemain de la seconde guerre mondiale servira jusque dans les années 1990 à couvrir le génocide au Rwanda, La sale guerre contre les civils en Algérie…

Loin de l’image de l’humaniste et de l’homme d’ouverture construit par la propagande médiatique, Mitterrand au fil des pages apparait dans sa cynique réalité impérialiste. Nationaliste étriqué, convaincu du droit de la France à perpétuer sa domination spoliatrice sur les colonies, au Maghreb comme au sud du Sahara, François Mitterrand, ministre des colonies et ministre de l’intérieur de la quatrième République, a entériné sans état d’âme la mise à mort de militants algériens et a été l’exécutant retors et impitoyable de la pire des politiques coloniales. Les indépendantistes algériens au premier chef mais aussi les militants anticolonialistes français en ont  gardé une mémoire intacte…

Le livre de Thomas Deltombe issu notamment de l’examen de nombreuses archives inédites est une lecture nécessaire pour tous ceux qui souhaitent comprendre les soubresauts d’une décolonisation sanglante (en Algérie et au Cameroun notamment) menée par un personnel dont les mœurs politiques, comme les conduites individuelles, sont caractérisées par le double langage et  la fourberie. La Françafrique, étudiée par l’auteur dans un ouvrage antérieur et dont François Mitterrand à été l’un des fondateurs a constitué ses réseaux d’hommes liges et de régimes supplétifs comme l’atteste le propos méprisant et paternaliste de l’ancien chef de l’Etat. Cet acteur a personnifié tous les travers de la social-démocratie en prolongeant l’immoralité politique de la SFIO et sa culture suprématiste et néocoloniale masquée par un discours pseudo-progressiste.

Au plan interne, le « socialisme » français prétend défendre les classes laborieuses en servant très concrètement les intérêts des nantis. Au delà même de sa servilité vis à vis des Etats-Unis, sa politique étrangère, de la non-condamnation des auteurs du génocide à Gaza jusqu’à la négation de l’indépendance de la Nouvelle Calédonie en passant par le refus de reconnaitre le droit à l’autodétermination du peuple Sahraoui, atteste sans ambages de la continuité néocoloniale de la République. Cette duplicité structurelle qui a largement façonné les strates successives de l’encadrement du parti socialiste est aujourd’hui très perceptible dans les milieux qui procèdent, à divers degrés, du legs du mitterrandisme. François Mitterrand est mort mais le consensus idéologique qu’il a incarné est toujours au pouvoir.

Écrit dans un style clair et élégant, cet ouvrage est une lecture indispensable pour ceux qui veulent connaitre les ressorts d’une période souvent tue et trop souvent délibérément obscurcie. Enfin, Thomas Deltombe dédie également L’Afrique d’abord! à notre frère, ami et camarade François Gèze dont Algeria-Watch commémore avec émotion et respect le premier anniversaire de la disparition le 28 août  2023.