Triomphe du droit d’ingérence

Triomphe du droit d’ingérence

Abdou B. (Alger), Courrier International, 1 mars 2001

L’internationalisation de la crise algérienne est devenue une réalité. L’intervention d’intellectuels de renom a rendu inévitable l’ouverture d’un débat sur le “qui tue qui ?”.

Longtemps accusé de vouloir porter une guerre interne vers l’extérieur, le Front des forces socialistes [FFS, parti d’opposition, à majorité berbère] n’est plus désormais seul à exposer le régime, la situation intérieure, aux regards du monde. Pour contrer les thèses de Hocine Aït Ahmed et de son parti, on a voulu lui porter la contradiction. Non pas à travers un débat permanent, transparent et serein en Algérie, mais à l’étranger. On peut donc, sans risque de se tromper, constater que l’un des hommes de Novembre [soulèvement de novembre 1954, qui marque le début de la guerre d’Algérie], qui a tant fait pour que la lutte armée soit débattue aux Nations unies, est arrivé à l’objectif assigné. En 2001, tout le monde se rue vers les enceintes internationales, les médias étrangers, les maisons d’édition, les organisations non gouvernementales, pour dire son point de vue sur le drame national. Toujours redoutée, longtemps retardée, l’internationalisation est arrivée à maturité. Des intellectuels de Paris sans véritable ancrage dans l’intelligentsia, le monde universitaire et associatif, coupés des puissants réseaux partisans, ont été balayés. Bernard-Henri Lévy, André Glucksmann et l’hebdomadaire « Marianne » ne pèsent plus devant « Le Monde diplomatique », « Libération », « Le Monde » et d’anciens partisans de l’indépendance algérienne. Sans parler d’intellectuels et de politiques nationaux, d’autant plus écoutés qu’ils sont “lynchés” ici. Et c’est bien entendu le fruit aussi d’une gestion médiatique médiévale, bricolée de “coups” et de mauvais choix à répétition.

Cette internationalisation prévisible est bel et bien en marche. “La main des ennemis de l’Algérie”, celle des “revanchards” et toutes les explications “psychosomatiques” devant une débandade d’envergure ne règlent pas une série de problèmes politiques intérieurs qu’on a voulu gérer en dehors de la pratique politique. Les intellectuels français, pour ne prendre qu’un pays important pour l’Algérie, ont des traditions sur le plan de l’engagement politique qui ont fait leur crédibilité, leur popularité et leur influence. Les injures parties d’ici et autres raccourcis pitoyables n’y font rien, car on sait que les Algériens pianotent comme des malades pour passer d’une chaîne française à El Djazira [chaîne du Qatar, réputée pour sa liberté de ton] et de celle-ci à CNN, etc. Et, lorsqu’on a eu besoin de certains intellectuels français, on n’a pas réfléchi une seconde. Les résultats actuels témoignent de l’entêtement, du mépris envers une opinion publique qu’on ne veut pas écouter et qui se défoule par procuration aux échos d’un livre antipouvoir [La Sale Guerre, La Découverte] ou d’une pétition [d’intellectuels français] dans laquelle se retrouvent des gens de qualité, au-delà des opinions de chacun d’eux. Prise sous n’importe quel angle, la crise politique va durer avec son cortège de malheurs, en aggravant la méfiance internationale, les accusations et les ingérences dont les Algériens ne veulent pas. Les incantations et les exorcismes de quelques journalistes nationaux ne changeront point le cours des choses tel qu’il se déroule.

 

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