« Ce n’est pas un effet du hasard »
Entretien avec Djamel Zenati, animateur du MCB-Commissions nationales
« Ce n’est pas un effet du hasard »
Le Matin, 27 avril 2001
Où peut-on situer la génèse de la contestation ?
On peut la circonscrire dans les causes immédiates qui ont généré cette
contestation. L’assassinat ignoble d’un jeune lycéen dans l’enceinte même de
la brigade de la gendarmerie de Béni Douala est un acte d’une extrême
gravité qu’aucune argumentation ne peut expliquer et encore moins justifier
ni qu’aucune conscience ne peut pardonner. Le communiqué du commandement de
la Gendarmerie nationale relatif à ce tragique événement a, de par son
contenu, mis le feu aux poudres.
Mais la provocation ne s’est pas arrêtée là. De jeunes collégiens seront
brutalement interpellés devant leur professeur en plein cours d’éducation
physique pour être malmenés et passés à tabac dans les locaux de la
gendarmerie d’Amizour. Est-ce le fait du hasard ?
Par ailleurs, qui n’a pas en mémoire les récentes interventions musclées qui
ont ciblé d’honnêtes commerçants au moment où la maffia de l’importation et
du grand trabendo agit en toute impunité et à visage découvert ? Et tout
cela s’est produit en pleine mobilisation autour du 21e anniversaire du
Printemps amazigh.
Encore une fois, est-ce le fait du hasard ?
Quelle lecture faites-vous des événements ?
Il est évident que les causes immédiates à elles seules ne peuvent en aucun
cas produire un tel effet. Elles se sont conjuguées à des causes profondes
et à des facteurs extérieurs.
Concernant les premières, il y a lieu de reconnaître que la nature
totalitaire du système a fait que le rapport entre les services de sécurité
et les citoyens est caractérisé par l’arrogance, la hogra, la répression, le
racket et l’atteinte à la dignité.
La violence des services de sécurité n’est en fait que la résultante logique
et inévitable de la violence qui est à la base même du fonctionnement du
système.
Ceux qui parlent de petites dérives accidentelles et isolées se trompent
lourdement.
Et c’est justement l’accumulation des privations et des humiliations qui a
imprimé une telle ampleur à ce mouvement.
Il y a, enfin, les facteurs extérieurs qui, eux, relèvent de la stratégie de
manipulation des masses mise en oeuvre pour des besoins de rééquilibrage des
rapports de force entre les divers clans du pouvoir. C’est dans ce but que
les clientèles de tous bords infiltrent et tentent de canaliser le
mécontentement dans le sens voulu par leurs maîtres.
Et là, j’ai bien peur que l’enjeu se situe au niveau du contrôle des
vecteurs producteurs de la violence et du partage des territoires. Je n’en
dirai pas plus pour l’instant.
Où situez-vous les responsabilités ?
Ce sont tous ceux qui veulent maintenir le système politique actuel à
n’importe quel prix.
Il est temps que les décideurs se rendent à l’évidence de l’impérieuse
nécessité d’un changement radical.
L’idéal de liberté est quelque chose de très ancré dans la mémoire
collective algérienne.
Vouloir continuer à gouverner par le verbe et le bâton relève de
l’irresponsabilité et de la cécité politique.
La situation est d’autant plus inquiétante que l’on sent dans l’air
l’avant-goût d’un nouveau coup de force.
Les provocations et les radicalisations auxquelles nous assistons
aujourd’hui ne sont-elles pas justement un prélude à cela ? En tous les cas,
ça rappelle étrangement la conjoncture de l’été 1998.
Tout d’abord, je tiens à rendre un vibrant hommage à ces jeunes qui,
spontanément, se sont mobilisés pour crier haut et fort leur rejet de
l’arbitraire et de la hogra. C’est une dynamique en faveur de la
citoyenneté, un fondement essentiel de la démocratie.
Certes, il y a eu ici et là quelques dérapages que je déplore fortement.
Mais ce sont justement le fait des clientèles que j’ai citées plus haut.
A cet effet, je lance un appel aux citoyens, plus précisément aux jeunes,
pour leur demander de s’inscrire dans une démarche strictement pacifique.
Nous devons continuer ensemble cette mobilisation en développant une
dynamique constructive, car c’est de cette façon et de cette façon seulement
que l’on pourra jeter les véritables bases d’une démocratie qui ne permettra
plus de hogra ni de Rambo. Il n’est plus question que les assassins et les
brigands continuent à sévir en toute impunité.
Alors agissons fermement, mais pacifiquement dans le respect des devoirs de
vigilance et de lucidité.
Entretien réalisé par Nadir Benseba