Sur les manipulations de la population en Algérie : un bref survol historique
un bref survol historique
Djillali Bourokba, février 2002
Le but de cet article est de montrer comment l’actualité immédiate en Algérie est inscrite ,hélas, dans une tragédie venue de loin ; il n’est pas possible de comprendre l’enchaînement des évènements sanglants que connaît notre pays et son peuple sans une claire connaissance de son Histoire.
Incontestablement, vers 1500 environ(pour prendre un chiffre rond) , l’Algérie est habitée par des tribus mixtes majoritairement arabophones-berbèrophones sans antagonismes entre-elles Cependant ,à cette même époque ,se produisent des évènements aux conséquences considérables . En effet, l’effondrement des 3 dynasties du Maghreb donne naissance- vu la disparition de toute autorité centrale- en Algérie en particulier, à une multitude de villes-royaumes : royaume de Ténès, royaume d’Alger, royaume de Cherchell, ce qui reste de Tlemcen .Simultanément à ce démembrement , les attaques sur les villes du littoral , menées par les Espagnols , sèment la peur et la désolation chez les populations d’alors qui font appel aux célèbres corsaires Aaroudj et Khair-Eddine pour assurer leur défense. L’année 1500, date structurante, marque manifestement un tournant essentiel dans l’histoire algérienne car, dorénavant, l’initiative politique passe définitivement dans des mains étrangères et ce jusqu’en .1962,soit une durée voisine de 5 siècles et représentant l’équivalent de plus de 15 générations d’hommes.
Les Ottomans s’établissent donc au début du XVIEME siècle sur les ruines des dynasties antérieures et l’Algérie devient une possession lointaine du Sultan d’Istanbul ; disposant de quelques milliers de janissaires (ou hommes de garnison) au maximum de l’occupation et vivant au milieu de 3 millions d’habitants , quel est donc le secret du maintien des Turcs en Algérie durant 3 longs siècles ? L’explication tient au fait suivant : ayant rapidement reconnu que leur infériorité numérique et matérielle ne pouvaient assurer leur domination sur des habitants fiers et guerriers , ils eurent recours systématiquement à la division ,à la haine, à l’intrigue ,la corruption et l’assassinat des habitants comme méthode pour » gouverner » le pays .
A Alger, par exemple, les ottomans distinguaient 2 groupes de personnes : les baldis (gens de la ville) et les berranis( étrangers dans la ville , venant de l’intérieur du pays) ;ces derniers étaient ,ensuite, groupés en corporations étanches et cadenassées
pour mieux les manipuler, les contrôler, les surveiller et les exploiter : gens de Jijel, Biskris ,Kabyles , Laghouatis, Mozabites
Chaque corporation avait son chef particulier ,appelé Amin, nommé par le Bey et devait exercer activité bien précise .A l’intérieur du pays , les populations étaient segmentées en 2 types de tribus distinctes
-tribus rayât c’est – à -dire des sujets donc la majorité des habitants, taillables et corvéables à souhait
-tribus ahl el makhzen (ou gens du » gouvernement « ) qui représentaient une minorité agissant comme des exploiteurs vivant aux dépens des autres , chargées de mener des razzia et de la rentrée des impôts les armes à la main .Ces razzia en terre étaient l’exacte réplique des actes de piraterie en mer .Comme quoi ,la politique extérieure est le miroir de la politique intérieure.
Dans le parler populaire d’alors , cette division se traduisait par le mot de » mangeurs et mangés « .Cette organisation féodale et criminelle, inconnue jusqu’alors dans notre pays , entre exploiteurs (minorité)et exploités ( la majorité écrasante) des populations algériennes représente la seule » structure politique » ,si tant est que cela ait un sens ,de la politique des deys en Algérie ; cette tyrannie , longue de 3 siècles ,a laissé de profondes traces dans la conscience collective et continue d’avoir des effets jusqu’à nos jours .Le personnel d’exécution de cette tyrannie féodale était représenté par le kaïd,le cadi, le bachaga , l’agha ,le spahi, le mekhazni, le janissaire
Toute cette faune de parasites vénéneux achetaient leurs » fonctions » au prix fort et se récupéraient et s’enrichissaient ,ensuite, sur le dos des malheureux habitants par la terreur ,le meurtre et une multitude d’impôts. Les Beys ,c’est- à- dire l’autorité suprême , étaient » élus » ou désignés par les chefs miliciens et beaucoup d’entre eux furent assassinés. Parmi les moyens de cette » gouvernance » figuraient aussi le refoulement ,la dépossession des terres (pratiqués à grande échelle dans la Kabylie , l’Oranie et le Constantinois en particulier) et l’attribution de ces terres à des tribus clientes déplacées ,appelées zemalas et douairs(pluriel de douars)pour former le makhzen et générant ,par la même , la division et la haine entre les habitants du même pays .C’est dans ce but ,par exemple, que furent construits des bordjs (ex Sour -el-Ghozlan, Bordj- menail pour isoler la Kabylie de la plaine des Issers, Bordj-Boghni, Bordj bou- Arreridj
.) ou forteresses servant d’abri aux janissaires chargés de surveiller les tribus récalcitrantes à cette domination et servant aussi comme base de départ de razzias meurtrières exécutées par des makhzen transplantés et manipulés .
Pour mieux asseoir leur domination ,en particulier sur les habitants de Kabylie , ils fractionnèrent et isolèrent les tribus les unes des autres par la manipulation ,en semant la haine entre elles ,d’une part ,et entre leurs voisines arabophones d’autre part. C’est sur cette organisation » politique » criminelle basée non seulement sur la haine inter et intra-tribale (créations des çofs ou ligues)et la haine arabophone- berbérophone mais aussi la haine de famille à famille et d’individu à individu que la féodalité ottomane a régné durant trois siècles sur nos ancêtres .C’est de cette époque également que date le clivage arabophone -berbérophone délibérément créé dans le but de diviser pour mieux régner. Chaque tribu était ainsi en conflit et en opposition permanente avec ses voisines et un grand nombre d’entre elles ont été décimées , déplacées ou réduites aux dernières extrémités de la pauvreté .
La longue oppression féodale ottomane et à sa suite la française se sont appuyées également sur un autre instrument redoutable représenté par la maraboutisation à outrance de nos ancêtres et qui a entrainé au moins 2 conséquences catastrophiques chez eux et leurs descendants :
– une régression mentale considérable par le développement des superstitions et des préjugés vis-à-vis d’eux-mêmes et de leur voisins (les tribus qui s’ignorent et se haïssent mutuellement)
– l’émiettement à l’infini des populations dans des structures sous-tribales donc infra politiques et retardant énormément l’apparition du sentiment national .
La féodalité coloniale française , digne successeur de son homologue ottomane, a reproduit les mêmes outils et méthodes criminelles- basées sur la division ,la manipulation ,le makhzen – en les rationalisant pour susciter des déchirements continuels entre habitants sur des bases tribales et linguistiques ; et il fallu à notre malheureux peuple qu’il sacrifie des centaines de milliers de ses enfants pour se libérer du servage colonial français . Il est juste de dire aussi que le recul des parlers amazighs en Algérie a été délibérément organisé par les occupants coloniaux français et ottomans en particulier via la maraboutisation, les implantations de zaouïas et de goubbas :en effet ,vers 1840 , il est avéré que la majorité de la population algérienne est berbérophone (voir recensement des tribus d’Algérie dans ‘Tableaux des établissements coloniaux français ‘ publié en 1845).
Si nous portons notre regard , maintenant, sur la période de 1962 jusqu’à nos jours , qu’observons- nous ? une minorité,non choisie par la population ,qui s’est imposée par la force brutale des armes et s’est accaparée de l’ensemble des moyens de fonctionnement de la population. Cette caste dont le noyau central et décisionnel est le sinistre cabinet noir et les clans périphériques- exerce son pouvoir
– par la terreur quotidienne que font régner des services dits de » sécurité « , recrutés au rabais et formés de façon lamentable, agissant dans l’illégalité et l’impunité quasi-totales ;par leur comportements odieux, ces services sont les successeurs directs des sinistres makhzen ottoman et coloniaux français.
– l’emploi de la méthode du diviser pour régner par la désinformation et la manipulation criminelles quotidiennes pour monter les uns contre les autres les habitants du même pays en pillant consciencieusement leur mentalité – en particulier en jouant sur les variétés linguistiques de la population , - travers des média publics et privés (par l’intermédiaire de » journalistes » serviles , opportunistes et infiltrés par la sinistre sécurité militaire ) ;les islamistes , de toutes tendances , participent également à cette sinistre uvre de démolition à travers les mosquées ,les écoles, le bouche à oreille ,les souks, les lieux de convivialité .
– une école basée et orientée vers une formation au rabais favorisant la superstition ,l’inculture, le fanatisme et les comportements irrationnels. Cet outil ,dirigé par le clan islamiste aux ordres du cabinet noir, porte une lourde responsabilité dans la » formation » des milliers de criminels qui ont égorgé ,tué ,violé et pillé de malheureux citoyens.
– par d’autres instruments tout aussi cyniques tels que la bureaucratie ,les pénuries de toutes sortes, le déni de justice ,la corruption , le favoritisme, l’ incompétence et le désordre quotidien dans lequel est noyé chaque citoyen ordinaire .
Ainsi, de la Régence d’Alger (1500) à la République Algérienne (2000) en passant par l’asservissement colonial français, ce sont 5 siècles funestes du même traitement féodal infligé aux populations de notre pays. Ces 3 oppressions s’inscrivent dans une continuité étrange entre-elles traduite par l’expression populaire » h’na ma esstkalinech ,misiria ouahhda » autrement dit » nous sommes toujours colonisés , c’est la même misère « .En effet, posons-nous la question :qu’y a – t-il de fondamentalement de différent entre le Dey (choisi par les miliciens) ,sa cour d’une part et le sinistre cabinet noir (formé d’une poignée de généraux-colonels véritables brutes grossières, incompétents et crapuleux) entouré des différents clans voraces qui lui sont liés ?Qu’y a t-il de différent entre les tortures ,les crimes ,la terreur exercés par les féodaux étrangers et ceux exercés par les services de » sécurité » du cabinet noir ?
On voit ,d’après ce qui vient d’être dit ,qu ‘il y a une ressemblance frappante entre ces kaïds ,aghas , bachaghas ,spahis, mokhazenis agents des féodalités turque et coloniale francaise ,d’une part, et les différents clans (services de » sécurité « , désinformation, carcan bureaucratique, corruption, injustice quotidienne )armés ou non qui ont ruiné notre pays depuis 1962 .