SOS Disparus et Somoud: « L’Etat veut acheter notre silence»
SOS DISPARUS ET SOMOUD S’INDIGNENT
« L’Etat veut acheter notre silence»
L’Expression, 08 septembre 2004
«C’est une honte!», s’est-on écrié en choeur.
« Si le président de la République a l’intention de régler le problème des disparus, il n’a pas à travailler avec une commission ad hoc pour gagner du temps».
C’est en ces termes que M.Merabet, président de l’association Somoud (organisation regroupant les familles des victimes enlevées par les GIA), a interpellé le chef de l’Etat, non sans lui reprocher «de faire peu pour élucider le dossier des victimes de la décennie rouge».
Entouré de Mme Yous, présidente de l’association SOS disparus, et les quelque familles de disparus qui ont tenu à se signaler dans l’exigu local de l’association que dirige Mme Yous et où s’est déroulé le point de presse, Merabet a imputé le statu quo qui perdure depuis des années aux instance suprêmes de l’Etat qui «s’agitent désespérément à acheter notre silence».
Le porte-parole de Somoud ne se fait aucune illusion quant au sort de tous ceux qui ont été enlevés par les groupes armés. «Nous savons qu’ils sont morts», a-t-il déclaré.
Ce qu’il revendique, en revanche, c’est l’ouverture de tous les charniers – où moisissent 1000 victimes selon le chiffre qu’il a avancé – l’identification des ossements et l’ouverture d’enquêtes approfondies en vue d’identifier les coupables.
N’en étant point là, l’orateur n’a qu’une seule explicationau bout des lèvres: «L’Etat veut nous amener à marchander le sang des nôtres», en sous-entendant les indemnisations proposées aux familles des disparus. Dès que cet aspect fut abordé toute la salle se mit en effervescence.
Et c’est Yous qui a donné un prolongement au cri désapprobateur de Merabet tout en écorchant au passage M.Marouane, l’un des animateurs du collectif des familles des disparus, qui aurait exigé un milliard de centimes pour «se taire à jamais sur le cas de son frère». «C’est une honte!», s’est-on écriés en choeur. Les présents ont convié la presse à constater d’elle-même la «répugnance des familles à troquer le sang des leurs contre de honteux centimes».
M.Ferhati, l’un des animateurs de SOS disparus, a rajouté dans ses accusations: «L’Etat veut nous faire accepter des indemnités sous le couvert d’aide sociale.» Exhibant le document à remplir, Ferhati s’est indigné qu’il n’y ait nul chapitre indiquant qu’il s’agit d’une aide sociale. Un rassemblement est prévu aujourd’hui pour accentuer la pression sur les autorités habilitées à agir. Pour ce qui est des rapports qui lient ces deux associations à la commission de Ksentini, celles-ci affichent clairement leur lassitude à suivre «un Ksentini incapable d’agir de son propre chef».
Elles ont même décidé de nepas lui remettre la liste de l’ensemble des disparus prétextant qu’elle sera utilisée «comme décor lors du prochain rapport qu’il présentera au mois d’octobre». Du point de vue de Merabet, Ksentini a toute latitude de prendre connaissance de tous les cas de disparition au niveau du ministère de l’Intérieur. Le vrai problème, a t-il ajouté, «c’est d’en avoir la volonté».
D’autre part, il a estimé que Somoud a «assez éclairé les autorités par le biais de témoignages qu’elle avait pu obtenir de certains repentis». Il y a aussi à préciser que la tâche de Ksentini est beaucoup moins corsée avec Somoud qu’avec SOS disparus. Si la première n’exige que des réparations matérielles et morales, la seconde insiste à ce que tous les disparus «soient relâchés sains et saufs». Avec la guerre des mots qui s’attise entre les partiesen conflit, le dossier risquede connaître des rebondissements fort peu favorables à son dénouement.
Samir SADOUN
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Les familles des disparus s’en prennent de nouveau à Ksentini
“ Ouvrons d’abord les charniers !”
Par Malika Ben , Liberté, 8 septembre 2004
Pour les associations Soumoud et SOS Disparus, la réconciliation passe par l’ouverture des charniers, l’identification des ossements et la désignation des coupables.
Véritable écheveau inextricable, le dossier des disparus n’est pas près de connaître une solution définitive. Les familles refusent de faire leur deuil sans avoir fait toute la lumière sur la disparition de leurs proches. Plus exactement, sans avoir eu quelques petits ossements qu’elles enfonceraient sous terre de leurs propres mains.
Car pour la grande majorité de ces familles, la vérité est celle qu’elles ont toujours criée haut et fort, à savoir l’implication des autorités dans la disparition de leurs proches. Pour eux, la vérité est connue, reste à trouver un os et une tombe en vue d’y enterrer leur chagrin. C’est, semble-t-il, la seule façon qui les aiderait à tourner la page et à faire leur deuil définitivement. Pour cela, deux associations de Disparus ont réclamé, hier, lors d’une conférence de presse, l’ouverture de tous les charniers. « Nous demandons à l’État d’ouvrir les charniers pour des raisons humanitaires et non pour des raisons politiques », lance d’emblée le président de l’association Soumoud.
Selon M. Merabet, les autorités ouvrent des charniers pour des raisons politiques mais aucune suite n’est donnée. « Point d’enquête”. Les deux associations Soumoud et SOS-disparus exigent la présence des familles de disparus, le recours à des tests d’identification ADN et la poursuite des coupables. “Nous pourrons comprendre s’il y a eu malentendu, mais s’il s’agit de dépassements des forces de l’ordre, il faut qu’elles soient punies”, martèle M. Merabet. Et d’ajouter : “Il n’y a aucune volonté de la part des autorités de régler la question des disparus. Le comité ad hoc n’est que du bricolage”. Pour le président de Soumoud, le silence et la démission de l’État les ont poussés à mener leurs propres enquêtes en se tournant vers les révélations de terroristes et autres repentis. “Qui aurait cru que l’association irait jusqu’à accueillir des terroristes dans son propre siège ?”, lance M. Merabet avant de révéler que le comité de M. Ksentini a refusé de prendre en considération des révélations de repentis. “Les autorités nous réclament la liste des disparus pour garnir le rapport du comité”, poursuit-il. Abordant le volet des indemnités proposées dernièrement par le comité, les associations affirment que la plupart des familles ont refusé ce “marchandage”. “Le SG du comité trompe les familles en leur faisant signer un document sur l’indemnisation alors que verbalement il leur dit qu’il s’agit d’une simple aide sociale de l’État qui ne signifie aucunement qu’elles renoncent à leur revendication et combat”. Selon Mme Ferhati, le SG du comité ad hoc refuse de leur délivrer une copie du document.
Abondant dans le même sens, Mme Akel, SG de l’association SOS-disparus dira que les familles ne sont pas prêtes de renoncer à leur combat “même si l’État tente d’étouffer le dossier des disparus”.
Poursuivant donc leurs actions, les deux associations comptent organiser une marche le 5 octobre prochain. “Nous partirons de la présidence vers le siège des Nations unies à Hydra”, déclare Mme Ferhati avant de défier : “Nous marcherons avec ou sans autorisation des autorités. Personne ne nous a demandé l’autorisation avant de prendre nos enfants”.
Pour clore la conférence, le président de Soumoud a tenu à souligner que la réconciliation nationale prônée par l’État ne peut être effective sans la satisfaction des revendications des familles de disparus.
M. B.
Ksentini dans l’embarras
Par Hassan Moali Lu (114 fois)
Les familles des disparus “normaux” et celles des personnes enlevées par les terroristes font cause commune contre Ksentini.
Et de deux pour Ksentini ! Après la réponse sèche des associations des familles de disparus, il y a seulement quelques jours, de rejeter la proposition “indécente” du mécanisme ad hoc de Farouk Ksentini, de leur accorder des indemnités et faire définitivement leur deuil, voilà que les familles des autres disparus — enlevés par les terroristes ceux-là —, dénoncent ce “marché”.
Dans une conférence de presse animée, hier, les membres de l’association Soumoud (résistance) et SOS Disparus s’élèvent contre la solution préconisée par la commission d’enquête présidée par M. Ksentini et réclament, tout comme leurs collègues pilotés par Me Ali Yahia Abdenour, la lumière, toute la lumière sur leurs proches enlevés durant la décennie rouge. Voilà donc deux catégories de familles de disparus qui, théoriquement, ne partagent pas le même souci, qui s’unissent dans une terrible tragédie pour pousser un véritable cri du cœur afin qu’elles puissent avoir les nouvelles des leurs, morts ou vivants. Par une alchimie politique, dont seul Ksentini a le secret, les victimes des deux camps font maintenant cause commune contre la démarche du pouvoir qui pèche par son incohérence et sa transparence. Et pour cause, à trop vouloir enterrer rapidement cet encombrant dossier des disparus pour l’expurger de l’exploitation politicienne par certains cercles, les autorités en général et le mécanisme Ksentini en particulier ont fini par s’emmêler les pinceaux au point de se retrouver pratiquement à la case départ. À son installation, il y a une année, cette commission s’était engagée, on s’en souvient, à dire la vérité aux familles conformément aux orientations du président de la République qui avait fait de la clôture de ce dossier une priorité absolue.
Les familles qui étaient un peu sceptiques au début ont fini par prendre acte d’un tel engagement présidentiel en laissant le mécanisme faire son enquête sur le terrain. Une année après, alors qu’elles attendaient les premières conclusions, ces familles se voient conviées à signer des documents attestant qu’elles acceptent la réparation du dommage par l’argent.
La “solution” pécuniaire est assumée publiquement par le président de la commission qui fait implicitement un bilan négatif de son enquête. Ce qui, fatalement, a fait sortir les associations des familles de disparus de leur mutisme en rejetant catégoriquement cette formule facile, renvoyant par là même Ksentini à ses recherches. Celles de Soumoud et SOS Disparus réclament encore plus : l’ouverture des charniers et la reconnaissance scientifique des victimes via l’analyse des ossements. En un mot, c’est tout le dossier des disparus à l’état cru qui est maintenant renvoyé à la face des autorités. Farouk Ksentini qui a eu l’impertinence d’évoquer l’existence d’autres charniers, qui seraient ouverts prochainement, donne ainsi du grain à moudre à ces familles, minées par la douleur, qui tiennent déjà pour responsables les autorités qui ont très mal géré le dossier. Ksentini a réussi la prouesse de se mettre tout le monde à dos, au moment où les observateurs pensaient que l’état allait assumer son devoir de dire la vérité, aussi blessante soit-elle. Désormais, il devra faire face à deux fronts qui vont s’unir dans la douleur pour défendre la mémoire des leurs.
La marche prévue le 5 octobre prochain par Soumoud pour crier sa colère participe de ces dommages politiques que ne manqueraient pas de subir les autorités pas encore remises du “qui tue qui ?”. Aussi, le fait que son président M. Merabet rejette toute idée de réconciliation nationale, avant que le dossier de disparus ne soit élucidé, met d’ores et déjà le pouvoir dans de sales draps, d’autant plus que ce thème continue à bénéficier de relais solides dans certains milieux étrangers qui épient l’occasion de rebondir sur leur terrain politicien de prédilection : l’Algérie.