«Le Maghreb est un enjeu stratégique et économique»

Noëlle Lenoir analyse les blocages devant le dialogue euroméditerranéen

«Le Maghreb est un enjeu stratégique et économique»

El Watan, 13 octobre 2010

L’Algérie, selon Noëlle Lenoir, ancien ministre française en charge des Affaires européennes, peut jouer la carte de l’intégration maghrébine dans ses rapports avec l’Europe.

«Il est vrai que les intérêts peuvent diverger d’un pays à l’autre du Maghreb, mais il existe une identité maghrébine. Parler ensemble est une manière de renforcer le poids de la région vis-à-vis de l’Europe. Le Maghreb est un enjeu stratégique et économique», a-t-elle déclaré, lundi soir au Centre culturel français (CCF) à Alger, lors d’un débat qui a suivi une conférence sur «La relation franco-allemande et la construction européenne : un précédent pour la coopération euro méditerranéenne». Une commission Europe-Maghreb est, selon elle, possible. La Tunisie, l’Algérie et le Maroc sont liés à l’Union européenne (UE) par des Accords d’association signés à part. Noëlle Lenoir a estimé que l’Union pour la Méditerranée (UPM), qui regroupe 43 pays, présentée comme un projet stratégique, doit «avoir le courage» d’avancer. «Je trouve miraculeux qu’on ait déjà installé un secrétariat à cette union et que la Ligue arabe soit désignée membre observateur. Il y a donc déjà des fondations. Après, il faut transcender les problèmes politiques qui ne peuvent pas être réglés dans le cadre de l’UPM», a-t-elle noté.

Intégration maghrébine

Elle a cité l’exemple de Chypre qui a rejoint l’UE en 2004. «L’UE ne pouvait pas attendre que les Chypriotes grecs et turcs s’entendent entre eux pour accepter l’accession de ce pays à cette union. L’Europe a fait un choix d’aller loin vers le Sud en intégrant Chypre», a-t-elle affirmé. A ses yeux, L’UPM est aujourd’hui un simple espace de dialogue. «Demain, elle deviendra un espace de projets et peut être tout de suite un espace politique. L’Europe commence à peine à devenir un espace politique», a-t-elle appuyé. L’UPM peut, d’après elle, soutenir des projets relatifs à la dépollution et à la désalinisation de l’eau de mer. «L’Algérie, c’est aussi un peuple d’ingénieurs. En France, les jeunes d’origine algérienne réussissent d’une manière extraordinaire. En Algérie, il existe une classe moyenne supérieure qui se développe», a relevé l’intervenante, soulignant au passage la question des fonds pour ces initiatives. Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, a relevé, lors des débats, que le projet de la Banque méditerranéenne avance à grands pas. «Nous sommes arrivés assez vite à des résultats. Mais nous avons réussi à faire venir un Allemand», a-t-il observé. Noëlle Lenoir a reconnu l’existence de malentendus entre Paris et Bonn lors du lancement de l’UPM. «Il y a des discussions actuellement sur l’UPM au sein du processus de coopération franco-allemand, notamment sur l’énergie solaire», a-t-elle relevé, précisant que la France est perçue comme «un pays méditerranéen» par le reste de l’Europe, l’Allemagne en tête. Parlant des relations algéro-françaises, Noëlle Lenoir a estimé que la société civile et les jeunes, «qui sont universels et qui vivent la mondialisation», peuvent jouer un rôle dans le dialogue entre les deux Etats. Elle a évoqué le cas de Maghrébins vivant en France, «autant talentueux que Zineddine Zidane», qui peuvent contribuer à ce dialogue.

«Il y a une forme de volonté politique chez les dirigeants. Cette volonté ne pourra conduire au succès de cette relation Europe-Méditerranée, France-Algérie que si on ne mélange pas la recherche de solution à des problèmes difficiles avec ce dialogue euro- méditerranéen», a-t-elle noté. Elle a reconnu que le débat sur la guerre d’Algérie est encore faible en France. «En France, on vit avec les non-dits. On a mis beaucoup de temps à parler de la France de Vichy. Il a fallu attendre le discours du président Chirac en 1995 pour dire que Vichy, c’était la France. C’était un grand moment pour les familles des déportés. Quand j’ai su que ma mère était juive, j’avais 15 ans. Cela ne se disait pas. C’était interdit», a-t-elle affirmé. Selon elle, il a fallu attendre 1972 pour qu’on dise que les Français n’étaient pas à 99% résistants pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle a rappelé que le film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo était pendant longtemps interdit en France, mais que de grands intellectuels s’étaient engagés aux côtés de l’Algérie. «Les Français digèrent lentement. Dans vingt ou trente ans, on en parlera davantage. Pour l’instant, c’est encore une blessure», a-t-elle observé. Interrogée sur l’interdiction de la burqa sur la voie publique, elle a estimé qu’il existe un consensus national en France pour cette interdiction. Elle s’est dit inquiète par la remontée des populismes en Europe. «Aujourd’hui, les gens ont peur en Europe. Les équilibres mondiaux sont en train de changer. Il y a l’émergence de certains pays, tels que la Chine. Des pays ont de la matière première, d’autres n’en ont pas. L’Europe a le sentiment d’être d’une grande fragilité. Et quand on a ce sentiment, c’est toujours l’autre qui est responsable», a analysé celle qui fut la première femme à siéger au Conseil constitutionnel français. Il faut, selon elle, être impitoyable vis-à-vis des racistes et des xénophobes.
Fayçal Métaoui