Le « plan arabe » pour Gaza : une nouvelle annonce de violations graves du droit international
Rafaëlle Maison* – Algeria-Watch, 27 février 2025
Réagissant aux déclarations menaçantes du nouveau président américain annonçant un plan pour Gaza, un certain nombre d’États arabes se sont réunis à Riyad le 21 février 2025 pour formuler une contre-proposition. Cette contre-proposition vise d’abord à les libérer de l’injonction étatsunienne à accueillir sur leur territoire les Palestiniens de Gaza : « they will do it » indiquait Donald Trump en dépit des refus exprimés par l’Egypte et la Jordanie. On sait que, pour Donald Trump, les Palestiniens de Gaza devraient être déplacés afin de permettre la construction d’une « riviera » pour les « gens du monde », une riviera financée par des « pays riches ».
La proposition du président américain a légitimement suscité une large réprobation. Mais elle a finalement conduit ces États arabes à dédaigner le droit international, dont le contenu a été rappelé par la Cour internationale de justice (CIJ) dans son avis historique du 19 juillet 2024 (ci-après « Avis »), accueilli par une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies votée à une très large majorité le 18 septembre 2024 (A/RES/ES-10/24).
En l’état des informations dont nous disposons, telles que rapportées par Le Monde le 22 février 2025 (Hélène Sallon, correspondante à Beyrouth), ce « plan arabe », qui pourrait être accepté lors du prochain sommet de la Ligue arabe le 4 mars 2025, est loin d’être conforme à ce qu’exige la CIJ, organe judiciaire principal des Nations Unies.
Dans son avis du 19 juillet 2024, la CIJ insiste sur le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même. Ce droit, rappelle-t-elle, est une « norme impérative » du droit international (Avis, § 233), ce qui signifie qu’un traité qui y contreviendrait pourrait être considéré comme nul. Or le plan envisagé est bien contraire à plusieurs aspects de ce droit à l’autodétermination.
Il est encore décidé sans les Palestiniens
Tout d’abord, le sort du peuple palestinien de Gaza est décidé par d’autres, sur la base de principes tenus pour acceptables par Israël. Nous sommes loin de l’autodétermination politique. Or, pour la CIJ : « l’existence du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ne saurait être soumise à conditions par la puissance occupante, étant donné qu’il s’agit d’un droit inaliénable » (Avis, § 257). Et, comme l’a rappelé la Cour, Israël doit désormais se retirer, sans condition, du territoire palestinien occupé, comprenant Gaza : cette obligation ne dépend pas d’une négociation.
Tous les États sont tenus, a également affirmé la Cour, de prendre des mesures pour imposer à Israël ce retrait, « dans les plus brefs délais » (Avis, § 267). Ils disposent à cet effet d’importants leviers, notamment économiques et militaire (embargo, fin du soutien militaire à Israël). Les Etats membres du « Groupe de La Haye » constitué il y a peu, se sont fermement engagés à mettre en œuvre ces obligations. Les Etats arabes devraient faire de même, afin d’imposer à Israël de respecter enfin le droit du peuple palestinien à disposer de lui-même. C’est d’autant plus urgent que sa violation prend désormais la forme d’un génocide.
Un démembrement territorial et un comité technocratique
Dans le plan arabe, le sort spécialement réservé à la bande de Gaza et à sa population vient mettre en péril le droit à l’intégrité territoriale, « corollaire du droit à l’autodétermination » (CIJ, Avis § 237) et le droit à l’ « intégrité du peuple palestinien » (Avis, § 239). Sans prise en compte de l’ensemble du Territoire palestinien occupé, le plan séparé pour Gaza amorce un démembrement territorial condamné par le droit international. L’avenir de Gaza ne devrait pas être dissocié de celui du reste du territoire occupé (Cisjordanie, Jérusalem-Est).
De plus, les États arabes semblent envisager un « gouvernement » pour Gaza qui ne serait ni celui du Hamas (insupportable à Israël et au monde occidental), ni celui de l’Autorité palestinienne (qui semble largement discréditée). Pour être accepté par la puissance occupante et ses alliés, la solution est donc celle d’un comité palestinien technocratique. Quant à la sécurité, elle serait assurée par une force de police sélectionnée et formée par l’Égypte ; une nouvelle sorte d’occupation donc. Enfin, les choix de reconstruction relèveraient d’une agence « indépendante » de supervision, sur laquelle le comité n’aurait pas de prise. S’étirant sur cinq ans, ce dispositif sécuritaire et financier mettrait également en péril le droit à l’autodétermination qui comprend à la fois le « droit de déterminer librement (son) statut politique, et d’assurer librement (son) développement économique, social et culturel » (Avis, § 241) et « d’exercer la souveraineté permanente sur les ressources naturelles » de son territoire terrestre et maritime (Avis, § 240).
Les États arabes, plutôt que de se plier aux exigences israéliennes, devraient favoriser l’émergence d’un gouvernement d’union nationale, sur le modèle des propositions faites, pendant le génocide de Gaza, par la Russie et par la Chine.
La disparition de l’obligation de réparation
Évidemment, il est surtout question, dans le plan arabe, de financer la reconstruction de Gaza. Ce financement, par l’Union européenne, les pays du Golfe mais aussi les Nations Unies, imposera indûment les choix de développement à Gaza. Mais un autre point essentiel est encore omis. En droit international, il est un principe certain : la commission d’actes illicites impose à l’Etat qui en est l’auteur de réparer les dommages causés. La CIJ a clairement posé cette obligation de réparation s’agissant des dommages causés par l’occupation israélienne illicite (Avis, §§ 269-271). Or, il n’est jamais question, dans le plan arabe, de cette obligation alors que Gaza est détruite et que plus de 60 000 Palestiniens ont été tués. L’oubli de l’obligation de réparer est grave car c’est aussi un message d’impunité.
Le plan des Etats arabes est donc très inquiétant. Il conforte plutôt qu’il ne combat la proposition des Etats-Unis. Certes, dans le plan arabe, les Palestiniens ne sont pas déportés, mais ils sont cantonnés dans des espaces restreints et contrôlés par une force égyptienne. Surtout, ils deviennent les témoins impuissants d’une reconstruction de leur propre territoire sur laquelle ils n’auront pas de prise. Une reconstruction qui n’imposera aucune obligation financière à Israël, en dépit de la destruction de Gaza et du génocide de sa population. Les Palestiniens seront, encore une fois, maintenus dans l’attente d’un « processus politique en vue de la solution à deux États » relancé dans la dernière phase du plan arabe de cinq ans. Cette annonce, après l’avis de la CIJ de l’été 2024 exigeant le retrait israélien dans les plus brefs délais, ressemble à une sinistre plaisanterie.
* Agrégée des facultés de droit, Rafaëlle Maison est professeur de droit public à l’université Paris Sud.