Liberté, opposition et résistance… de Sihem Bensedrine à Boualem Sansal

France : Régression professionnelle des médias et faillite morale des élites politiques

Liberté, opposition et résistance… de Sihem Bensedrine à Boualem Sansal

Hocine Dziri – Algeria-Watch, 23 décembre 2024

On n’a pu y échapper ces derniers temps, les médias français ne parlent en effet que de Boualem Sansal, présenté comme une figure particulièrement marquante de l’opposition au régime d’Alger. Pourtant, une simple recherche dans sa biographie révèle qu’il a longtemps bénéficié des privilèges du système algérien, ayant occupé des postes de haute responsabilité pendant au moins deux décennies, nommé à ces fonctions par décrets présidentiels. Ces nominations lui ont permis de faire une belle carrière et de jouir d’une retraite très confortable grâce au FSR (Fond spécial de retraite) régime spécifique réservé aux cadres supérieurs de la nation.

En France, un comité de soutien a été constitué pour faire pression sur la présidence française afin d’intervenir en faveur du poulain de la très réactionnaire écurie Gallimard, invoquant, selon sa déclaration initiale, tous les moyens nécessaires pour obtenir sa libération. Ce comité regroupe des figures de la droite et de l’extrême droite favorables à Israël, des grands rabbins ainsi que des personnalités politiques telles que François Hollande, Nicolas Sarkozy, des anciens Premiers ministres, des députés, des ministres, des universitaires et d’autres acteurs politiques. Parmi les noms algériens associés à ce comité, on retrouve Saïd Sadi, Ferhat Mehenni, Hamid Arab, directeur de publication du journal Le Matin, et quelques autres.

Les médias français, notamment ceux à droite de l’échiquier médiatique, dépeignent l’Algérie comme une dictature qui persécute l’icône de la liberté incarnée par Boualem Sansal. Selon eux, l’Algérie serait devenue une prison à ciel ouvert. Or, ces mêmes médias gardaient un silence total lorsqu’il s’agissait des plus de 200 prisonniers du Hirak, un mouvement populaire qui a effrayé à la fois le régime algérien et la république laïque de France. On se souvient que pour contrer ce mouvement, des personnages publics comme Kamel Daoud et Boualem Sansal ont été utilisées comme porte-voix, dénonçant le Hirak tantôt sous prétexte de l’islamisme, tantôt en affirmant qu’il ne représentait que les grandes villes ou qu’il était enraciné uniquement en Kabylie.

Ces campagnes médiatiques, orchestrées en France contre le Hirak, visaient à justifier ou détourner l’attention de la répression des libertés et des prisonniers d’opinion en Algérie, et à manipuler l’opinion publique française et internationale sur la réalité de la situation. Cette orientation et ses méthodes illustrent la régression morale et intellectuelle des élites françaises officielles, quelle que soit leur orientation politique.

Ce type de désinformation ne se limite pas à l’Algérie. Il se vérifie pour d’autres dossiers impliquant les intérêts des réseaux et des lobbies en France, souvent justifiés au nom de la raison d’État. En réalité, des concepts comme liberté, opposition et résistance deviennent des notions très flexibles, utilisées dans toutes les directions qui servent les intérêts des groupes d’intérêts qui contrôlent l’Etat français.

Sihem Bensedrine : Une détenue accusée à tort dans le silence complice de la France et de l’Occident

Non loin de l’Algérie, à sa frontière Est, la Tunisie, qui a subi le colonialisme français et une forme de tutelle française après son indépendance, est aujourd’hui dans une situation similaire à celle de son voisin de l’Ouest. Alors que les médias français célèbrent les libertés et les droits des femmes dans ce pays, ils gardent un silence complet sur le sort actuel d’une femme célèbre pour son courage et son engagement démocratique. Cette figure illustre de la lutte pacifique du peuple tunisien a fêté ses 74 ans le 28 octobre dernier en détention préventive, accusée à tort, et sans bénéficier des droits les plus élémentaires en tant que justiciable.

Cette personnalité n’est autre que Sihem Bensedrine, une militante de premier plan qui a lié la lutte féministe à la justice sociale et aux droits civiques et politiques. Elle a connu la prison à plusieurs reprises, notamment en 1987 sous le régime de Habib Bourguiba et en 2001 sous celui du général Zine El Abidine Ben Ali.

A la suite de la chute du dictateur, Sihem Bensedrine a été nommée à la tête de l’Instance Vérité et Dignité, une commission nationale dotée d’un cadre juridique important lui garantissant une indépendance totale pour enquêter sur les violations des droits humains et de la dignité depuis la fin du protectorat français jusqu’à 2011. Cette expérience inédite a ouvert des dossiers sensibles dans l’histoire tunisienne, provoquant des tensions entre les cercles de pouvoir en France et en Tunisie.

Avant même son arrestation, une campagne médiatique haineuse avait été lancée, visant à discréditer son travail à la tête de la commission. Certains plateaux télévisés l’accusaient de corruption, d’autoritarisme dans sa gestion de l’instance, voire attaquaient sa vie privée. Cette campagne a été intensifiée après la rencontre en 2015 entre Rached Ghannouchi, actuellement détenu, et le président Béji Caïd Essebsi à Paris. Cette rencontre avait été exploitée pour promouvoir un projet controversé de « réconciliation économique », visant à blanchir des responsables corrompus liés au régime Ben Ali.

Le rejet par Madame Bensedrine de ce processus d’impunité a intensifié les pressions, la campagne médiatique contre elle s’étant transformée en poursuites judiciaires. Selon son avocat, les accusations portées contre elle sont complètement infondées et son dossier judiciaire est vide. Officiellement, elle est accusée d’avoir accepté des pots-de-vin pour « falsifier » le rapport final de l’Instance Vérité et Dignité, accusations qui révèlent la nature politique de son arrestation dans un contexte marqué par la résurgence de la répression en Tunisie.

Sihem Bensedrine, qui ne mérite d’être défendue au moment où Boualem Sansal est érigé en symbole contre l’Algérie et la Palestine

Le comité de soutien à Boualem Sansal comprend des personnalités féminines comme, par exemple, la mannequin-chanteuse Carla Bruni, elle-même poursuivie dans l’affaire du financement libyen présumé de la campagne de l’ex-président Nicolas Sarkozy, son mari. Carla Bruni est bien le symbole féminin d’une élite qui ignore superbement le combat de femmes comme Sihem Bensedrine. A l’instar des autres participantes à ce très huppé comité de soutien à Boualem Sansal, elle incarne la France officielle qui brandit son féminisme comme un étendard pour stigmatiser ceux qui refusent leur primauté mais pour laquelle les militantes pour la démocratie au Maghreb sont des adversaires qui ne méritent aucun soutien et qu’il y a lieu d’ignorer obstinément.
Ce sont ces mêmes cercles de pouvoir qui portent à bout de bras Israël, qualifiant sa politique coloniale sanguinaire de « légitime défense », tout en diabolisant les résistances palestinienne et algérienne. Au point d’ériger une vérité d’Etat en doxa inviolable comme le montre le délit d’apologie du terrorisme utilisé comme arme de censure. Ce silence de plomb d’un côté et ses cris d’orfraie de l’autre illustrent à quel point les médias français et leurs élites politiques sont entrés dans une spirale de partialité et d’incohérence morale, optant ici pour l’éloge acritique de figures comme Boualem Sansal, pour mieux ignorer le combat, ô combien respectable, de personnalités éminentes comme Sihem Bensedrine.