Evénements de novembre 1986 à Constantine: La grande répétition avant Octobre 1988
Liberté, 5 octobre 2020
Dans ce contexte attisé par la faillite du modèle économique qui accouche précisément en 1986 d’une crise sans précédent induite par une chute brutale des cours du pétrole, il ne fallait pas plus qu’une étincelle pour mettre le feu aux poudres.
Occultés du tableau des éphémérides phare des luttes pour la liberté, la justice sociale et la démocratie, les événements sanglants de novembre 1986 à Constantine n’étaient pas moins annonciateurs d’un soulèvement populaire d’une plus grande magnitude puisque le 5 octobre 1988 — deux années plus tard — allait donner un sens réel à l’aspiration citoyenne de reconquête de son indépendance confisquée.
Les mêmes ingrédients qui ont prévalu dès le début des années 1980, marquées par l’islamisation de la société et des institutions qui prend des allures d’une nouvelle orientation idéologique cautionnée par le système qui se porte garant de son incarnation par la tendance “barbeflène” au sein de l’ex-parti unique, allaient provoquer une scission au sein des élites universitaires entre partisans d’un projet progressiste aux aspirations démocratiques et des “Frères musulmans” prêchant l’instauration d’un État théocratique.
Dans ce contexte attisé par la faillite du modèle économique qui accouche précisément en 1986 d’une crise sans précédent induite par une chute brutale des cours du pétrole et un discours politique toujours aussi sclérosé que lénifiant, il ne fallait pas plus qu’une étincelle pour mettre le feu aux poudres.
D’autant plus qu’un passage sournois vers le libéralisme économique s’opérait au dam des couches sociales défavorisées ou moyennes et que des signes de richesse ostentatoires marquaient l’apparition d’une nouvelle génération de privilégiés.
Comme partout dans le pays, Constantine, la ville universitaire par excellence, vivait à cette époque-là au rythme des pénuries, des chaînes interminables devant les portes fermées des galeries, des souks el-fellah ou d’autres administrations de services publics.
Une propagande officieuse charriant chaque jour son lot de rumeurs accroissait davantage les inquiétudes des familles, des jeunes surtout, tant le chômage ne s’était jamais autant fait sentir depuis l’indépendance. Chadli Bendjedid, abreuvé d’injures, est devenu la mascotte de la dérision populaire.
Deux figures de proue de l’islamisme moyen-oriental présidaient à la même époque aux prédications retransmises par la télévision publique : El-Ghazali comme El-Karadaoui invités par l’État algérien pour diriger et mettre en place le modèle d’enseignement à l’université islamique Émir-Abdelkader, qui venait d’ouvrir ses portes aux étudiants.
La montée de l’islamisme qui avait atteint son apogée prenant le contrôle quasi total du campus où seuls les militants de gauche clandestinement structurés constituaient les dernières poches de résistance et tentaient des ripostes “diplomatiques” aux incivilités moyenâgeuses des barbus. Au même moment, la rue constantinoise connaissait une effervescence inhabituelle en raison de la grogne des lycéens.
L’arabisation ayant déjà fait son chemin, Zhor Ounissi, qui était à la tête du département de l’Éducation nationale, décidait d’introduire deux nouvelles matières à l’enseignement et aux épreuves du baccalauréat, à savoir l’éducation politique et l’éducation religieuse.
Perspective que les lycéens rejetèrent d’emblée, menaçant de paralyser leurs établissements, voire d’investir la rue si les nouvelles dispositions ne sont pas retirées.
Dans ce climat tendu, survient la nuit du 7 novembre où tout a basculé. C’est depuis la cité universitaire Zouaghi-Slimane que des résidents, scandalisés par la qualité des repas servis, décident de bloquer la route de l’aéroport d’Aïn El-Bey, devenu plus tard Mohamed-Boudiaf. Des heurts sanglants s’ensuivent et gagnent le centre-ville.
Tout Constantine assiste au matraquage de ses élites. Les lycéens des quatre coins de la cité décident à leur tour de se solidariser avec les étudiants. Ils sont rejoints par les jeunes et moins jeunes qui s’en prendront à tous les symboles de l’État sur leur passage. Pas une seule bâtisse d’un organisme ou institution étatique n’est épargnée. Des galeries, souks el-fellah, magasins de la défunte Sonipec… sont saccagés et pillés.
C’est de là d’ailleurs qu’est né pour la première fois le slogan de la “Révolution Stan Smith” en référence aux baskets en vogue à l’époque fabriquées et commercialisées par la Sonipec.
Un casse grandeur nature qui fera découvrir aux Constantinois, au matin du 10 novembre, une cité au bord du chaos. Les agents de la sécurité militaire procèdent à une vague d’arrestations.
Elle touchera des universitaires de gauche notamment, dont un avocat connu sur la place de Constantine qui avait accepté au lendemain des événements de défendre des jeunes arrêtés et traduits devant la justice. Il sera torturé et interrogé quant au contenu de ses plaidoiries sur les événements de Constantine.
En compagnie d’autres détenus, il sera assigné à résidence à Bordj-Omar-Driss dans la wilaya d’Illizi. Ils ne seront libérés qu’en mars 1987, alors que les personnes arrêtées et condamnées pendant les événements de Constantine, de Sétif ou d’Annaba où était né un mouvement de solidarité avec les victimes des répressions policières, seront, eux, amnistiés en mai de la même année.
Kamel GHIMOUZE