La Banque d’Algérie prend de nouvelles mesures : La crise de liquidités en cache une autre

Ali Benyahia, El Watan, 17 septembre 2020

La violence des images montrant durant l’été des scènes hideuses de files d’attente devant des bureaux de poste pour le retrait d’argent, à cause du manque de liquidités, est encore dans tous les esprits.
Quelques semaines après cette crise, voilà que la Banque d’Algérie vient de réagir en prenant l’initiative d’un certain nombre de mesures à l’effet d’injecter quelques liquidités dans le circuit bancaire.

C’est ce qu’a annoncé la Banque centrale, mardi, dans un communiqué repris par l’APS. Le Comité des opérations de politique monétaire de la banque (COPM) a décidé de prendre de nouvelles mesures en vue de procéder au renforcement des ressources bancaires.

Lors d’une réunion du Copm, tenue lundi en session ordinaire, le Comité a décidé de réduire le taux de réserve obligatoire, le portant de 6% à 3%, et l’activation des opérations principales de refinancement à un mois, selon le communiqué. Ces décisions devraient permettre, selon la même source, de «libérer, pour le système bancaire, des montants additionnels de ressources, et mettre ainsi, à la disposition des banques et établissements financiers des moyens supplémentaires en faveur du financement de l’économie nationale et du soutien de l’activité économique».

Le risque de voir réapparaître des scènes cauchemardesques de l’été est-il définitivement évacué pour autant ? La question taraude encore plus d’un. D’autant que d’aucuns s’interrogent sur les vraies raisons de cette crise de liquidités qui intervient de surcroît dans une période où l’économie est en panne à plus d’un titre. D’abord, la crise sanitaire provoquée par la pandémie. Ensuite, la crise de 2014 qui est intervenue suite à l’effondrement des prix du pétrole. Il va sans dire que ces deux facteurs ont mis à rude épreuve les finances publiques du pays. La réponse de la Banque d’Algérie est-elle donc suffisante ?

Selon Abdelrahmi Bessaha, économiste et expert du Fonds monétaire international (FMI), la crise de liquidités, loin d’être un problème seulement technique, est le résultat de «la récession économique» en Algérie. Commentant pour El Watan les nouvelles mesures de cette première institution d’émission monétaire, il déplore que la réaction de la Banque d’Algérie soit arrivée «en retard». «C’est bien qu’elle baisse mais ce n’est pas suffisant. Il s’agit d’une réaction en retard.

Car nous sommes en récession (un recul pendant deux trimestres consécutifs)», a-t-il fait remarquer. Selon lui, le problème de liquidités est en réalité «beaucoup plus grave» qu’il n’y paraît. «La poste, c’est 24 millions de dépôts», a-t-il souligné avant de lâcher : «Les indicateurs monétaires sont éloquents. Il n’y a pas de crédit. D’où viendra le crédit ? Il y a une crise sanitaire, le choc pétrolier et la fermeture des entreprises. C’est une crise profonde qui va perdurer.» L’expert du FMI porte un regard sans complaisance sur la situation économique du pays et invite à effectuer un diagnostic plus avisé sur les risques encourus. Énonçant un certain nombre de chiffres sur les mauvaises performances de l’économie algérienne, il affirme que le déficit budgétaire pour l’année en cours serait de 16,5% (20% en hors pétrole alors que la norme serait de 10) et le déficit de la balance des paiements a atteint les 15%, lorsque le déficit normatif est de 5%.

Bessaha considère que la réaction de la Banque d’Algérie est «insuffisante» même s’il salue «la baisse» du taux de réserve obligatoire des banques. Que faire ? Aux grands maux, les grands remèdes. D’abord la crise sanitaire. Selon lui, la réponse du gouvernement face à la crise induite par la pandémie est en deçà des besoins de l’économie. Critiquant le plan anticrise élaboré en guise de réponse à la crise, il considère qu’il est «nécessaire d’élaborer une loi de finances complémentaire». «Le stimulus fiscal de l’Algérie, a-t-il noté, est d’un montant budgétaire de 70 milliards de dinars, soit l’équivalent de 0,3% du PIB. C’est le montant qu’il a consacré en guise de réponse à la crise sanitaire.»

Ce n’est pas du tout à la hauteur des besoins. Bessaha plaide pour une autre loi de finances complémentaire, dont le budget serait entre 200 et 250 milliards de dinars pour faire face à la crise sanitaire. Et d’avertir que le risque est grand de voir exploser le chômage, étant donné la gravité de la crise du fait de la baisse de l’activité économique. Ceci d’une part, d’autre part il incite à ce que le gouvernement entreprenne de «vraies réformes» qui visent à mettre en place «un nouveau modèle économique». En somme, il s’agit de se départir de fausses solutions habituelles. Comme en politique d’ailleurs.