Le secteur du bâtiment vit une crise inédite : 80% des entreprises à l’arrêt

Nabila Amir, El Watan, 20 mai 2020

Rien ne va plus dans le secteur du bâtiment en Algérie. Frappé de plein fouet par la crise économique et la crise sanitaire, ce secteur qui emploie le plus grand nombre de travailleurs agonise. Ils sont plus d’un million et demi de professionnels à exercer dans le bâtiment, travaux publics et hydraulique (BTPH). Aujourd’hui, plus de 4000 entreprises sont à l’arrêt et plus de 300 000 travailleurs au chômage technique. «Avec la crise et le confinement sanitaire, ces chiffres, selon M. Boudaoud, président du Collège national des experts architectes, ont doublé».

Quand le bâtiment va, tout va», dit la citation. En Algérie, rien ne va dans le secteur du bâtiment. Frappé de plein fouet par la crise économique et la crise sanitaire, ce secteur qui emploie le plus grand nombre de travailleurs agonise.

Ils sont plus d’un million et demi de professionnels à exercer dans le bâtiment, travaux publics et hydraulique (BTPH). Aujourd’hui, plus de 4000 entreprises sont à l’arrêt et plus de 300 000 travailleurs se trouvent au chômage technique.

Avec la crise et le confinement sanitaire, ces chiffres, selon M. Boudaoud, président du Collège national des experts architectes, ont doublé : «Tout le monde est à l’arrêt. Toutes les entreprises sont bloquées et 80% d’entre elles ont mis la clé sous la porte. Même celles en activité fonctionnent avec un service minimum.»

Une situation qui n’est pas restée sans conséquence sur les bureaux d’études (BET) qui ont malheureusement, dit-il, baissé rideau. «Je parle en connaissance de cause, tous les bureaux d’études, y compris le mien, ont mis la clé sous le paillasson en raison plus particulièrement de la pandémie du coronavirus. Personnellement, j’ai été obligé de fermer mes chantiers et libérer les travailleurs dont le nombre avoisine les deux cents depuis le début mars», s’alarme-t-il.

M. Boudaouad insiste sur le fait que la plupart des travailleurs et ouvriers n’ont pas été mis au chômage technique mais «libérés», c’est-à-dire «licenciés» parce que les entreprises n’ont aucune rentrée d’argent et beaucoup d’entreprises du BTP ont mis leurs ouvriers en congé sans solde. «Je n’ai pas de quoi payer les travailleurs, que ce soit les permanents ou les journaliers.

Je leur ai donné le choix de partir ou de rester, mais à leurs risques et périls. Ils ont préféré partir. Ils sont partis les mains vides, donc on ne peut pas dire qu’ils sont au chômage technique, c’est faux. C’est le paradoxe», estime M. Boudaoud. Ce dernier dénonce certaines entreprises privées travaillant au noir et qui ont licencié tous les travailleurs, masquant cela comme étant du «chômage technique».

Pour lui, cette triste situation risque de durer dans le temps car en Algérie on n’a jamais pris en considération les imprévus dès lors que les entreprises opèrent au jour le jour. «L’Etat a délaissé le secteur du bâtiment alors que l’économie d’un pays est basée sur le bâtiment. En Algérie, nous sommes arrivés à cette situation car nous avons toujours travaillé avec le mensonge», fulmine M. Boudaoud. Le secteur du bâtiment passe par une crise inédite, de l’avis même de l’Association générale des entrepreneurs algériens (AGEA).

Son porte-parole, Moussa Aidh, estime que ce secteur a connu des perturbations depuis la crise économique de 2015 et qui s’est davantage aggravée avec l’instabilité politique qu’a connue le pays ces deux dernières années et la pandémie du coronavirus qui l’a complétement achevé, engendrant par la même la pandémie du chômage. Beaucoup d’entreprises, explique-t-il, ont cessé leurs activités alors que d’autres ont déjà déposé leur bilan et ont été contraintes de déclarer faillite.

La pandémie du coronavirus a achevé les entreprises !

Les fabricants de matériaux de construction ont connu eux aussi une baisse importante de leur activité et certains sont complétement à l’arrêt. «Beaucoup d’entreprises souffrent depuis fin 2014 du gel de l’ensemble des projets en raison de la crise économique. En 2018, il y a eu un dégel mais uniquement pour les projets inscrits avant l’année 2014. Outre cela, la pandémie du coronavirus a contraint les entreprises à libérer les travailleurs.

Elles tournent donc au ralenti, d’où cette situation catastrophique», constate M. Aidh, confirmant ainsi l’arrêt de toutes les entreprises, même celles qui sont actives et rentables car leur capacité de production a baissé en raison de la crise sanitaire.

«Le confinement est à l’origine de cette situation. Toutes les carrières sont à l’arrêt, d’où le problème de fourniture de matériaux de construction. Beaucoup d’ouvriers souffrant de maladies chroniques ont été libérés. Il n’y a pas de transporteurs de marchandises la nuit…

Ce sont autant de facteurs qui ont contribué au ralentissement de l’activité de ces entités», résume-il. Notre interlocuteur incrimine également les banques qui «n’accompagnent» pas ces entreprises du bâtiment. «Sous d’autres cieux, les banques accompagnent les entreprises, notamment celles qui sont en bonne santé et réalisent des exploits, chez nous ce n’est pas le cas.

Les banques ne sont que des boîtes aux lettres», accuse M. Aidh. Les entreprises en Algérie, souligne M. Aidh, souffrent de plusieurs problèmes, en premier des créances impayées aux montants très importants.

De plus, les très petites entreprises du BTPH qui gravitent autour des grandes entreprises sont celles qui souffrent le plus de cette crise, nombre d’entre elles ont déjà déclaré faillite avec pour conséquences directe des milliers de personnes au chômage.

Les salariés des PME-PMI sont les plus touchés, notamment celles liées par des contrats de sous-traitance avec les grandes entreprises. Pour sauver et relancer ces entreprises, l’AGEA, selon son porte-parole, a soumis une série de recommandations de sortie de crise au gouvernement.

Les entreprises du bâtiment plaident pour une amnistie fiscale pour 2019. L’année 2019, selon M. Aidh, a constitué une année blanche pour ces entreprises et de ce fait l’Etat doit faire un effort en faveur des entreprises de réalisation.

Elle a suggéré également d’annuler la short-list des entreprises accédant aux projets via le gré à gré et de revenir au code des marchés publics avec la préférence de 25% des entreprises nationales, qu’elles soient publiques ou privées. «Actuellement, sans commande publique, nos entreprises ne travaillent pas. Cela impacte également les fabricants qui ne peuvent pas commercialiser leur production. Toutes ces questions seront normalement traitées lors de la prochaine tripartie», révèle M. Aidh.