Mémoires du général Nezzar
Mémoires du général Nezzar
Le tabou cassé de l’armée française ?
Malek Sohbi, Libre Algérie n°31, 8-21 novembre 1999
La référence, pleine de sous-entendus, aux officiers de l’ANP issus de l’armée française a toujours irrité le général Nezzar. Le clan Betchine n’avait pas manqué de l’utiliser lors du bras de fer de l’été 1998 qui a précédé la démission du président Zeroual et qui l’a opposé à la haute hiérarchie de l’armée. Dans la première partie de ses mémoires, la mieux écrite, Khaled Nezzar raconte comment le fils d’une famille pauvre des Aurès dont le père a été enrôlé de force durant la Première Guerre mondiale peut devenir enfant de troupe et faire une carrière de militaire sous le drapeau français. Après l’école du village à Seriana, il fallait poursuivre ses études au collège de Batna : « Mon père était trop pauvre pour m’acheter l’indispensable trousseau et encore moins m’assurer les frais de dépenses et autres […]. Je ne pouvais donc aller à Batna. » C’est son enseignante, Mlle Calvière, qui propose alors au père Nezzar d’envoyer son fils à Miliana où se trouve encore l’école des enfants de troupe avant son transfert vers Koléa. Le père avait tout fait pour quitter l’armée où il avait été rappelé régulièrement jusqu’en 1939 (Maroc-Syrie), mais il accepta un contrat de 5 ans pour son fils. Il n’était pas moins patriotique que les autres membres de sa famille tombés nombreux au champ d’honneur durant la guerre de libération nationale. Le général Nezzar veut montrer que l’on ne devient pas sous-officier de l’armée française par vocation ou par opportunisme social. Dans le contexte du début des années 50, les circonstances font loi. Il s’attache par la suite à se décrire sans illusion sur le mythe de l’armée républicaine de la France : « A Koléa, tout était fait pour que nous ne dépassions jamais le grade de sous- officier. » Avec l’avènement de la guerre de libération nationale et grâce aux mesures de rattrapage de la promotion Lacoste qui vise à ouvrir l’accès aux responsabilités aux « Français musulmans », Nezzar bénéficie d’une formation d’officier à Saint-Maixant, en France. Il est ensuite affecté au 13e Régiment de tirailleurs à Landau, en Allemagne. Nous sommes en 1957 et le malaise est lourd parmi les Algériens de l’armée française. La fédération de France du FLN s’infiltre à Landau et prépare les évasions. C’est l’époque de la « lettre des 56 » rédigée par le lieutenant Rahmani et signée par 56 officiers algériens. Adressée au président de la République française, elle demande qu’il « soit épargné aux officiers algériens de tirer sur leurs frères ». Lorsque Khaled Nezzar décide, avec notamment Abdelmalek Guenaïzia, de faire le grand saut et de rejoindre l’ALN, il est obligé d’attendre 8 mois. Il avait remis des photos à l’organisation et était inquiet d’être découvert. Il finit par déserter le 27 avril 1958 et rejoindre Tunis vis Rome.
Khaled Nezzar insiste sur tous les sacrifices qu’ont connus les déserteurs de l’armée française. Plusieurs sont tombés au champ d’honneur. A l’école des cadres de Kef, ils devaient convaincre les moudjahidine qui avaient connu l’épreuve du feu qu’ils avaient encore à apprendre. « Nous leur donnions tout ce que nous avions appris dans les écoles françaises. » Pourtant, au lendemain de leur arrivée, le commandant Idir, un autre ancien de l’armée française, fit à Nezzar et à ses trois compagnons de désertion cette réflexion que le général n’a pas oubliée : « Vous êtes arrivés en retard. »
Nezzar au secours du général Lamari
Le général Nezzar a profité de la rédaction de ses Mémoires pour venir à la rescousse de ses successeurs à la tête de l’ANP au sujet de l’accusation de non-assistance à populations en danger qui s’est insinué contre eux dans l’opinion nationale et internationale suite aux massacres de l’année 1997. Khaled Nezzar a pris prétexte d’une citation de Michel Rocard, l’ancien Premier ministre socialiste français, qu’il apprécie manifestement autant que ses pairs de l’Internationale socialiste, pour expliquer pourquoi les massacres ont été possibles sans que les unités de l’ANP stationnées, pourtant près des sites de la mort, aient pu intervenir. Il commence bien sûr par s’en prendre à tous ceux qui ont fait le reproche à l’Etat algérien de ne pas protéger sa population. Ce qui l’exaspère, c’est que l’on insinue que l’Etat algérien « a fait sciemment preuve de carence dans son devoir de protection vis-à-vis de sa population « . Il s’évertue alors de montrer que si carence il a pu y avoir, il est difficile de soutenir le contraire, elle n’est sûrement pas volontaire, et plaide ainsi les circonstances atténuantes : « Il est vrai que les tueries successives et rapprochées dans le temps survenues à Bentalha, Raïs, Béni Messous et dans la région de Relizane, à l’ouest du pays, ont sérieusement entamé chez l’opinion la crédibilité des forces de sécurité dans leur mission de protection de la population ; les délais prolongés des exactions, la présence de forces de sécurité quadrillant les secteurs et l’évanouissement dans la nature des terroristes une fois leurs forfaits accomplis ont contribué à alimenter le doute sur la capacité des forces de sécurité à remplir leur mission convenablement. »
C’est le moins que l’on puisse concéder aux faits. Le lecteur s’attend alors à apprendre les raisons pour lesquelles les unités de l’armée ne sont pas intervenues. Les explications de « ce qui, à première vue, semble inexplicable » vont dans une autre direction. Nezzar en cite cinq : la présence au sein de la population de complices actifs, la présence de groupes terroristes implantés dans un tissu urbain à l’intérieur d’infrastructures aménagés (?), l’urbanisation sauvage et très dense rendant encore plus difficile et lente (! !) l’intervention des secours, la fetwa rendant licite les assassinats des civils, l’obscurité provoquée à dessein dans laquelle étaient plongés les lieux pendant les attaques. Les terroristes devant sans doute savoir que l’ANP n’intervient qu’à la grande clarté du jour ou sous les projecteurs. « Dans ces conditions, quand bien même une unité se trouverait à proximité, l’intervention devient très contraignante. »
Le général Nezzar est le premier à ne pas être satisfait de ses explications. Il s’insinue ici un embarrassant silence sur les actions à conduire pour des forces de sécurité en pareilles circonstances ; des aspects sur lesquels a été prolixe Khaled Nezzar tout au long de ses Mémoires lorsqu’il s’agit d’autres circonstances de guerre. Alors, il ajoute : « Une attitude pour le chef de l’ordre dans ce cas consiste à se manifester par la présence et par les feux afin de limiter les pertes sans risque pour les civils et tenter de neutraliser les terroristes en leur coupant le chemin de repli. » Les Algériens se disaient bien qu’il y avait un petit quelque-chose à faire pour sauver les suppliciés de Bentalha. Nezzar a-t-il finalement bien rendu service à son ami Mohamed Lamari ?
L’armée avait son plan anti-FIS dès 1990
L’armée avait son « plan d’action global » contre le risque d’une » majorité théocratique » dès la fin de 1990. C’est la grande révélation des Mémoires du général Nezzar : « Déjà en décembre 1990, je désignais le général Mohamed Touati conseiller auprès du ministre de la Défense avec le général Lamari et le général Taghrirt Abdelmadjid afin de proposer une démarche politique de type état-major, compte tenu des dérives répétées du FIS et de l’apathie des autorités publiques annonciatrices de graves dérives. » Il y a peu de fioritures dans le document que livre Khaled Nezzar pile-poil sur le délai de prescription de dix ans. Il est, à la base, reproché au pouvoir politique, une fois n’est pas coutume, « un excès de scrupules démocratiques ». Six mois après les élections locales de juin 1990, « l’équipe restreinte de haut niveau » au ministère de la Défense nationale décrète : « Le pari sur l’apprentissage de la démocratie de la part des partis religieux , et notamment le FIS, est un échec. Le second pari sur la perte d’influence du FIS à l’épreuve de la gestion des affaires s’avère être un leurre du fait de la passivité des autorités. »
L’avènement d’un régime théocratique (Comment ? Par la majorité parlementaire du FIS ? ) est « manifestement inadmissible car historiquement contraire à l’idéal de Novembre, juridiquement anticonstitutionnel et moralement antinational ». C’est la glorieuse édification de la digue républicaine. L’analyse qui conduit à ces lourdes résolutions est sommaire. De type état-major. Pour la haute hiérarchie de l’ANP, les élections législatives vont être gagnées immanquablement par le FIS (pas pour les raisons qui feront qu’il gagnera effectivement) et le gouvernement théocratique qui en sortira engagera « rapidement (…) des transformations profondes sur le système judiciaire, administratif, éducatif, financier, bancaire et commercial ». L’ANP et les services de sécurité seront remplacés par des milices. Les symboles de la Révolution seront dénigrés, la société divisée, la sécurité des biens et des personnes aléatoire, les pays voisins inquiétés et tentés d’intervenir chez nous pour protéger leur sécurité intérieure. « Voilà un scénario bien alarmiste », est obligé de concéder le candide général pour ajouter qu’il n’est nullement inimaginable. Pour preuve, « le succès même du FIS aux élections de juin 1990 a été inimaginable alors ». Foudroyante argumentation.
Le mot d’ordre est donc clair. Pas de majorité théocratique. Alors, quel est le plan global d’action pour y parvenir ?
Le plan A consiste à réaliser les conditions pour un succès électoral de forces démocratiques avec participation (au vote) des formations extrémistes. Le plan B consiste, lui, à neutraliser par les moyens légaux (?) les formations extrémistes avant l’échéance électorale.
Tout le monde aura compris que le plan d’action global de « haut niveau » de l’ANP, entré en application depuis le départ, en juin 1991, du gouvernement qui avait trop de « scrupules démocratiques », a opté pour l’option A en laissant le FIS participer aux élections législatives de décembre 1991, puis a basculé vers l’option B entre les deux tours du scrutin. Sans commentaire.
Les préalables de cette « nouvelle stratégie » se traduisent par « 1 – un meilleur choix, sur la base de conviction, d’engagement et de détermination connus, affichés et avérés des dirigeants appelés à mettre en ouvre et conduire dans leur domaine respectif les actions qui leur sont imparties (…) 5 – la suspension de toute mesure d’ordre judiciaire ou administratif visant une hypothétique conciliation avec la formation extrémiste ». Les lecteurs des Mémoires du général Nezzar lui sauront gré de les éclairer aussi audacieusement sur l’origine stratégique de deux des traits majeurs de la décennie 90 : cooptation du personnel politique, à commencer par le président de la République, et refus de rétablir la légalité du FIS quoiqu’il advienne. C’était écrit dans « l’étude » de « l’équipe restreinte ».
Les mesures du plan A, qui vise à faire gagner les élections aux « forces démocratiques », sont nombreuses. Elles ont comme support la réhabilitation du FLN, mais comme le FLN de l’époque est entre les mains d’un courant peu amical (Mehri-Hamrouche), il y a aussi les « formations démocratiques ». La citation de tous les points de ce plan serait fastidieuse. Il faut juste noter qu’il a probablement était mal exécuté puisque cela n’a pas empêché la victoire du FIS en décembre 1991.
En gros, le plan d’action global « type état-major » considère qu’il ne peut y avoir d’élections que si elles sont remportées par autres que « les forces extrémistes ». « Afin de garantir le processus démocratique, le caractère républicain de l’Etat, la souveraineté et l’indépendance nationales, ainsi que l’unité du pays, il est vital pour la nation d’éviter l’accès au pouvoir d’un régime théocratique totalitaire », annonce le document des généraux. D’ailleurs, quatre volets « spécifiques » sont prévus pour mater l’extrémisme. Le premier vise à casser le FIS de l’intérieur et de différentes autres manières qui sont passées en revue. De bonne guerre. Le second cible le mouvement social donné sans doute a priori pour favorable aux islamistes : le second point de ce volet est ainsi rédigé : « La dénonciation des grèves impopulaires et des grèves illégales et l’identification publique des fomentateurs. » Rien que cela.
Le troisième volet est intitulé « Programme d’action psychologique » et le quatrième concerne la sécurité publique et tente d’établir la responsabilité du FIS dans toutes sortes de trafics (drogue, armes, contrebande…), d’enrichissement illicite ainsi que dans le détournement de stocks de produits de première nécessité.
En tout état de cause, le plan B était là en cas de nécessité : « Il vise la neutralisation pendant la phase préélectorale de formations extrémistes sur la base des lois et règlements en vigueur dans le cas où il apparaît qu’elles se livrent manifestement à des actions subversives ou/et à la préparation de troubles à caractère insurrectionnel. »
Khaled Nezzar, alors ministre de la Défense, a proposé le plan de son « équipe de haut niveau » au chef du gouvernement Mouloud Hamrouche et au secrétaire général du FLN Abdelhamid Mehri. Ils l’ont refusé et le président Chadli ne l’a pas soutenu non plus. Les événements de mai-juin 1991 sont alors arrivés qui ont permis l’entrée en action de l’ANP et de son « plan d’action global ». A la date d’aujourd’hui, ce plan a été totalement exécuté. A quelques dizaines de milliers de morts près, c’est un succès certain.
Misère de la politique sur carte d’état-major
Le général Khaled Nezzar est sans doute un bon militaire. Tout l’atteste : sa carrière, ses cycles de formation sous le drapeau français puis à Moscou et à l’école de guerre de Paris, ses états de services durant la guerre de libération nationale, durant la guerre de harcèlement le long du canal de Suez et sur le front du Sahara occidental, ses multiples missions délicates, ses postes de commandement à la tête des régions militaires, des forces terrestres de l’ANP puis de son état-major. Partout, il agit d’abord en professionnel de l’armé, qu’il s’agisse de faire passer au péril de sa vie les lignes Challes et Morice à des unités de l’ALN, qu’il s’agisse de faire passer à ses bataillons de l’armée des frontières les lignes des maquisards de l’intérieur près de Sidi Aïssa en 1962 au prix d’une bataille « d’une intensité sans égale » ou qu’il s’agisse de faire face au pilonnage de l’artillerie israélienne sur les bords du canal de Suez au lendemain de la guerre des Six-Jours. A chaque fois, ce sont des références académiques, finalement solides, qui dessinent les réponses pratiques sur le terrain. Horreur de l’improvisation. Même en octobre 1988, lorsqu’il avoue sa totale impréparation face à l’embrasement de la rue, il déploie ses blindés méthodiquement pour mater Alger. Face à lui, Tahar Zbiri, qui a tenté un coup d’Etat en 1967 en faisant partir une colonne de blindés de Chlef vers Alger, incarne exactement le contre-portrait du militaire rigoureux et précis. Seulement voilà, la lecture jamais ennuyante des Mémoires de Khaled Nezzar remonte le cours d’une carrière qui a un tort. Un tort « si discret » qu’il est volontiers pardonné par tant de leaders d’opinions, celui de se dérouler dans un pays où l’armée exerce le pouvoir politique. Politique ? C’est bien de cela qu’il s’agit ? Malheureusement oui. Dès que le général Nezzar traite de la politique dans ses Mémoires, qui jusque-là retiennent plus l’attention par la diversité des situations qu’ils racontent que par l’ingéniosité des exposés de stratégie militaire qui les émaillent, tombent, tous neurones répandus, dans le vide interstellaire. Tout aura donc fonctionné sur un repère orienté du haut vers le bas lorsqu’il s’est agi de la formation politique des grands chefs de l’armée algérienne. Boumediene n’avait milité dans aucun parti politique certes, mais il avait eu le temps de côtoyer Boussouf à l’Ouest, Krim Belkacem et le GPRA à Tunis, le CNRA puis le comité central du FLN en 1964. Celui où l’on faisait encore de la politique. Chadli n’a pas connu le même compagnonnage, mais il était tout près dans les loges pour en capter un petit quelque-chose. Avec Khaled Nezzar, c’est le premier militaire pur produit qui arrive à la tête de l’ANP alors que celle-ci est toujours à l’ouvrage dans la confection du pouvoir politique en Algérie. Il agit alors en politique, comme il sait le faire. En militaire. Propulsé au gouvernement de Mouloud Hamrouche par la volonté de l’époque de normaliser la fonction de ministre de la Défense à l’ère de l’ouverture, il est affolé par ce qui arrive, ne comprend pas « l’excès de scrupules démocratiques des autorités » et concède un recul intolérable de l’influence des militaires dans la décision politique en dépit du fait que Chadli Bendjedid, que désormais il déteste, assure toujours à la magistrature suprême la pérennité du 19 juin 1965. La pensée binaire du parfait militaire entre alors en action : Khaled Nezzar identifie les deux catégories d’acteurs en amis et ennemis, demande à ses conseillers un « plan global d’action type état-major », cerne les objectifs et les moyens de les atteindre, prévoit des zones de repli tactique et entame son exécution en balayant tout ce qui résiste à son succès. Il y a à lire les Mémoires de Khaled Nezzar des occasions d’avoir froid dans le dos lorsque, au détour de quelques formules à l’emporte-pièce, l’on réalise brutalement que c’est ce concentré de subtilité politique qui, à la tête d’une « équipe restreinte de haut niveau », a dessiné sur une carte d’état-major la ligne de vie de l’Algérie durant les dix années qui viennent de s’écouler. Mais le frisson est peut-être encore plus fort si l’on se souvient que des pans entiers des élites nationales étaient prêts, si on le leur demandait, à faire de Khaled Nezzar le porte-flambeau de la défense de la République.
Le général ne s’est pas bonifié en dix ans d’exercice politique. Il parle toujours de ses choix dans ce domaine sans l’ombre d’une nuance. Comme s’il distribuait des ordres. Les grandes explications sur ce qui a conduit le pouvoir à l’explosion d’octobre 1988 ? Il était trop occupé au front du Sahara occidental pour voir venir tout cela. Mais, jure-t-il, l’armée était pour sa majorité contre l’accession de Chadli à la présidence. C’est la faute donc de Merbah qui l’a aidé. La montée de l’islamisme ? Parlons plutôt des moyens d’empêcher un « régime théocratique » illégitime en Algérie et attentatoire aux valeurs de Novembre. Le pluralisme démocratique ? A condition que les démocrates gagnent les élections. D’ailleurs, il y a « une équipe restreinte de haut niveau » qui y travaille.
Le général est tout étonné que des non-islamistes, dangereux extrémistes porteurs de régime théocratique, s’opposent à l’interruption du processus électoral. L’opposition de Abdelhamid Mehri est presque due à « son caractère irascible », la tactique du gouvernement Hamrouche à l’égard du FIS est en réalité une complicité avec l’islamisme. La position de Aït Ahmed est inexplicable.
Le général Nezzar est persuadé d’avoir sauvé l’Algérie d’une aventure fatale. C’est même probablement ce qui l’autorise, de son point de vue, à nous asséner ses Mémoires. Cela a coûté quelques dizaines de milliers de morts. Mais le danger d’un régime théocratique s’évalue sans doute avec une grande marge d’erreur. Tolérable. L’ampleur de la riposte de la mouvance islamiste poussée dans la clandestinité par la « nouvelle stratégie politique de type état-major » des amis de Nezzar n’a pas été prévue dans le document qu’exhibe triomphalement aujourd’hui l’ancien homme fort de l’ANP. Les Mémoires du général n’en soufflent pas un mot. Pourquoi d’ailleurs le feraient-ils ? Ce serait faire de la politique que d’évoquer des paramètres socio-historiques complexes qui rendent la lecture de la feuille de route plus ardue pour les soldats que nous devons tous être face à l’extrémisme religieux. L’essentiel n’est-il pas que nous ayons gagné, nous chuchote le général dans sa touchante conclusion.
Attention, Khaled Nezzar n’est pourtant pas le niveau zéro de la politique. Il y a eu après de lui aux sommets Zeroual, Betchine et Lamari. Selon quoi l’élevage de la pensée politique n’est pas l’activité de prédilection sur les hauteurs des Tagarins. Tant qu’il y aura du personnel pour l’exécution des « plans globaux d’action » pour nous faire croire le contraire, d’autres généraux Nezzar feront encore de leurs Mémoires de grands succès de librairie.