DU RÉGIME MILITAIRE ALGÉRIEN
LE RÉGIME MILITAIRE ALGÉRIEN AU SCANNER
Nourredine Abdi (Chercheur CNRS), Libre Algérie 55 et 56, 9-22 octobre et 23 octobre au 5 novembre 2000
I. LES FONDEMENTS DU RÉGIME
A) SON ORIGINE
B) L’ARMÉE AU POUVOIR
C) UNE CONSTITUTION PARALLELE
II. LE FONCTIONNEMENT DU RÉGIME
A) LES ÉLECTIONS TRUQUÉES EN TANT QU’INSTITUTION DU RÉGIME
B) LA DÉLÉGATION DE POUVOIR PAR L’ARMÉE AU CHEF DE L’ETAT
C) LE GOUVERNEMENT ET LES AUTRES INSTITUTIONS CIVILES D’ÉTAT
D) DES PARTIS POLITIQUES
III. CONCLUSION: PERSPECTIVES D’UNE CIVILISATION DU RÉGIME PAR UNE RESTAURATION DU POLITIQUE FACE AU MILITAIRE
A) DE L’ETAT DE DROIT EN GÉNÉRAL ET DU DÉROULEMENT NORMAL DES ÉLECTIONS EN PARTICULIER
B) DE LA SOCIÉTÉ CIVILE, DES PARTIS ET DU MOUVEMENT ASSOCIATIF.
Notes
Le général-major Mohamed TOUATI théorisant pour l’armée, tout en affirmant que l' »Etat national républicain » « doit consacrer la primauté du droit dans un Etat constitutionnel », n’épargne pas ceux qu’ils considèrent comme les tenants d’un respect scrupuleux de la légalité, qu’il accuse de faire preuve de « coquetterie anti-militariste »(1). Or il ne suffit pas d’éluder ainsi par une simple boutade le problème lequel reste entier. S’agissant de cette place importante qui, dans le régime algérien, échoit au militaire par rapport au politique civil. La question mérite un examen attentif et méthodique.
I. LES FONDEMENTS DU RÉGIME
A) SON ORIGINE
Ceci d’abord en rappelant l’origine de cette destitution du politique du pouvoir réel, intervenue voilà plus d’une quarantaine d’années, en pleine guerre d’indépendance et qui se perpétue depuis.
a) Bien que fondamental, le Triumvirat constitué l’été 1957 au sein du Comité de Coordination et d’Exécution à la tête de l’organisation algérienne de lutte pour l’indépendance, par Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Ben Tobbal, en leur qualité de colonels de l’Armée de Libération Nationale(A.L.N.), ne sera pas évoqué dans quelque texte que ce soit de cette organisation et ce jusqu’à sa constitution en 1959 en un Comité Interministèriel de Guerre(CIM). Ceci au point de finir par relever d’un état de fait lequel devint coutumier, à savoir que le militaire continuera à détenir la réalité du pouvoir en Algérie sans pour celà apparaître comme tel.
De même la position prépondérante qui échoit à Boussouf l’un de ces trois colonels, en tant que ministre de l’Armement et des Liaisons Générales, le célèbre M.A.L.G. auquel se trouve conférée une puissance particulière du fait de ses compétences en matière de police et d’information. Un système qui constituera lui aussi un précédent en ce qui concerne le rôle central dans la direction du pays, dévolu à ce type de services relevant du militaire et auquel la Sécurité Militaire, dite S.M., lui succédera après l’indépendance, puis l’actuelle Direction Générale de la Prévention et de la Sécurité. En tant que tel, Boussouf était le détenteur de l’essentiel des moyens dont disposait l’ensemble de la direction de l’ALN, à la fois sur le plan financier en ayant la charge de l’approvisionnement et surtout sur celui de la police et de la surveillance aussi bien des Algériens, que des forces et de milieux français. Une pratique qui a pu se généraliser à l’échelle du pays et au-delà à la faveur de l’indépendance en 1962.
Or sans que toute la réalité de son pouvoir suprême ne soit objectivé, ce même Triumvirat devint en 1959 Comité Interministériel de Guerre(CIM), se maintenant tel quel jusqu’à l’indépendance en été 1962, dans le cadre du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne(GPRA) qui succédait au Comité de Coordination et d’Exécution, avec toujours le même MALG sous le contrôle de Boussouf son fondateur.
On peut dire que si jusqu’à l’été 1959 l’idée qu’un mouvement politique, en l’occurrence le Front de Libération Nationale disposait d’une primauté par rapport à l’Armée de Libération de Libération exerçant un réel contrôle sur elle selon la formule célèbre FLN-ALN, pouvait être soutenue, il n’en fut pas de même depuis. Avec cette montée en puissance du militaire au sommet de l’organisation algérienne de lutte pour l’indépendance et de la position prépondérante acquise à ce niveau par des services de l’armée pour ce qui est de l’information et de la police générales, la formule méritait d’être inversée et c’était plus celle d’ALN-FLN qu’il convenait d’utiliser. Ainsi trois années après le déclenchement de la lutte de libération, c’est sur la base du militaire, à travers l’ALN, que finit par se forger et se structurer un pouvoir algérien, une évolution que confirmera dans l’Algérie indépendante, le coup de force du 19 Juin 1965 et qui parviendra à son achèvement avec l’échec de celui de Décembre 1967.
A partir de là, il résultera l’union indéfectible entre Etat et armée d’une part et entre cette armée-Etat et l’économie pétrolière d’autre part, dont le mariage était alors consommé dés les premières années de l’indépendance. D’où une danse effrénée et perpétuelle entre les deux, renforçant et structurant toujours davantage la subordination du politique à l’avantage d’un militarisme dopé à partir de là par ce secteur des hydrocarbures. Ce qui explique et le court intermède de la présidence de Benbella de 1962 à 1965 et la perpétuation depuis de ce système à la tête de l’Etat. D’abord sous l’égide du colonel Boumediène, ceci avant que l’initiative n’échoit à nouveau à un large parterre de hauts officiers plus ou moins sous l’égide d’un de leur pair désigné par eux en qualité de chef de l’Etat.
En tout état de cause, c’est la subordination définitive du politique au militaire laquelle constituera une constante du régime et de la vie politique du pays. Car quoiqu’on ait dit, jamais le parti du Front de Libération Nationale ne constituera une réalité en soi et surtout ne sera une source de pouvoir. Ce qu’il n’était d’ailleurs plus en état d’être véritablement à partir de l’été 1957, n’apparaissant plus que sous son véritable jour en tant qu’appendice de cette armée-nation devenue armée-Etat pétrolier à l’indépendance et surtout à partir de 1968. La référence officielle à une soit-disant prépondérance du parti du FLN, après l’indépendance comme avant, n’a qu’une valeur symbolique destiné à la légitimation de ce pouvoir à base militaire.
Ainsi le militaire qui a contribué hors des frontières à la libération, a pu construire son Etat contre le politique, banalisant ce dernier par la même occasion. De même que la nationalisation des hydrocarbures lui a assuré l’entière disposition de ce secteur voire a entraîné son identification à ce dernier, favorisant la cristallisation de cette situation et l’autonomisation de l’armée et de son pouvoir par rapport au pays réel lequel se trouvait être sans prise sur ce système pour l’existence duquel la production d’un surplus notamment par le paiement de l’impôt n’était pas d’une nécessité vitale.
Certes durant les décennies soixante-dix et quatre-vingt, il y eut une apparente civilisation du régime, mais ce fut sur un plan formel, ceci même avec l’expérience de démocratisation de la fin des années quatre vingt. Comme nous le remarquions en 1978 pour l’Algérie, à partir de l’observation à la même époque du régime militaire péruvien, un régime militaire «tend à se perpétuer étant donné que… tout processus de démilitarisation engagé jusqu’ici dans ces pays, a eu, du moins à terme, l’effet inverse, celui d’un retour en force de l’armée au pouvoir »(2).
Cette démilitarisation-remilitarisation intervenant à deux niveaux:
1) D’abord par une concentration de la direction militaire des forces armées et de sécurité au profit d’une personne ou d’un groupe restreint et homogène placés à la tête de l’armée, généralement avec le consentement du politique. Ainsi comme ce fut le cas durant la guerre d’indépendance, avec la constitution à la tête de la direction du FLN-ALN, du triumvirat des colonels, puis de celle, vis à vis de celui-ci et du GPRA, d’un Etat-Major-Général. De même durant les premières années de l’indépendance avec la détention du portefeuille de la Défense par une autre personne que le chef de l’Etat en l’occurrence Benbella, scénario qui se répètera juste avant la fin des présidences de Chadli et de Zeroual.
2) Ensuite par l’entrée en conflit de la toute nouvelle autorité militaire avec le pouvoir politique auquel, forte de la détention de la puissance armée, elle tendra à se substituer.
Cependant durant ces décennies soixante-dix, quatre-vingt, ce processus a fini par être maîtrisé grâce à l’initiative décisive de la Sécurité Militaire devenue maître du jeu politique à partir de 1978. Ceci au point de contribuer grandement à faire le plus haut magistrat du pays en faisant appel au plus ancien si ce n’est aussi au plus gradé et à le défaire comme ce fut le cas du président Chadli, puis du président Zeroual et au besoin par l’assassinat comme pour le président Boudiaf.
Ce qui explique tout en en résultant en définitive, une situation qui ne cesse de se perpétuer et que l’on peut saisir ainsi à deux niveaux, celui de la détention de la réalité du pouvoir et celui de son exercice. En fait comme aurait dit après la prise du pouvoir le 19 Juin 1965 par Boumediène, Chérif BELKACEM un de ses proches et qui savait ainsi de quoi il parlait: « Ici, l’armée est la source du pouvoir, mais elle ne gère pas » (3). En effet l’armée s’impose en tant que pouvoir par sa confiscation de l’Etat qu’elle a promu. Et, comme nous le mettrons en évidence plus loin en étudiant le fonctionnement de ce régime, la cléricature civile n’accède au gouvernement du pays que par délégation de l’armée dont elle constitue le faire-valoir.
B) L’ARMÉE AU POUVOIR
L’armée détient sans partage la réalité nous sommes tenté de dire l’essence même du pouvoir en Algérie. Il s’agit du fait qu’elle est non seulement lieu de pouvoir mais surtout celui de la réalité du pouvoir et le seul. Le système ne remplissant que de façon tout à fait formelle les conditions d’un fonctionnement démocratique, se distinguant par l’absence tout à la fois d’une prééminence du politique sur le militaire, d’une répartition de l’essentiel du pouvoir entre diverses institutions et de sa légitimation par un véritable suffrage assurant l’expression populaire notamment par la possibilité d’une alternance du pouvoir(4).
Reste à déterminer concrètement ce lieu de pouvoir au sein de l’armée en Algérie, ce qui n’est pas chose aisée. Or sa nomination et par conséquent sa visualisation nous paraît essentielle. Il s’agirait de le sortir ainsi de la pénombre dans laquelle il parvient à se maintenir depuis l’été 1957 soit plus d’une quarantaine d’années. En fait même s’il y a eu quelque progrès particulièrement à l’occasion des élections présidentielles du 15 Avril 1999 dans la perception de la détention réelle et de l’exercice du pouvoir au point où l’on s’est écrié que le « roi est nu », il ne l’a pas été assez, voire même il s’est quelque peu éclipsé à nouveau derrière le président Bouteflika dés le moment où celui-ci une fois élu, s’est trouvé mis en scène.
Une question reste donc posée, à savoir comment peut-on désigner les instances de l’armée qui se trouvent être ainsi à la tête de l’Etat. A savoir d’une part le collège des généraux et d’autre part le noyau constitué par leurs représentants qui sous l’égide l’ex-Sécurité Militaire et de la Direction Générale de la Prévention et de la Sécurité qui en tient lieu aujourd’hui, dégagent et coordonnent leur volonté et veillent à son exécution.
1) L’ensemble des généraux au nombre de 150, peut-être plus(5), constituent la junte actuelle sous forme d’un collège réuni périodiquement en conclave. Les autres officiers en seraient exclus même si les colonels entendraient y être associés. Une revendication qui ne paraît pas aller bien loin dans la mesure ou généralement la promotion au grade de général ne saurait tardée pour eux. C’est plus les grades en dessous qui pourraient poser problème, surtout depuis la fin des années quatre-vingt, le développement de la contestation au sein de la société atteignant aussi ces rangs de l’armée dans leur rapport avec la haute hiérarchie(6).
2) Reste le noyau restreint qui concentre et représente ce pouvoir suprême de la hiérarchie militaire. «Ce noyau non écrit, non avoué, (qui) agit dans l’opacité, sans contrôle, par réseaux et cadres clandestins interposés», pour reprendre les termes employer par Aït-Ahmed(7). On peut penser qu’un des deux conseils institués en rapport avec le militaire par les constitutions et plus particulièrement le Conseil de Défense puisse lui servir de support.
Il y a le Haut Conseil de Sécurité prévu par celles de 1989 et de 1996 et dont la composition n’est précisée dans aucune de ces constitutions, lesquelles renvoient la fixation de ses « modalités d’organisation et de fonctionnement » à la seule initiative du chef de l’Etat. Il serait constitué sous la présidence du chef de l’Etat, par une majorité de responsables civils dont des présidents des institutions parlementaires et membres du gouvernement auxquels s’adjoignent le ministre de la Défense et le chef d’Etat-Major(8). Il « est chargé de donner… des avis sur toutes les questions relatives à la sécurité nationale ». Il joua un rôle de premier plan durant la période de crise du régime de 1992 à 1994, pour lui préserver un semblant de légalité.
L’autre conseil est celui de la Défense lequel comprendrait le ministre de la Défense, le chef d’Etat-Major, les trois commandants des forces terrestres, maritimes et aériennes, les deux principaux responsables du Département de la Sécurité et du Renseignement, le commandant de la Gendarmerie. Or sans doute de façon plus effective, ce serait ce Conseil de la Défense qui aurait désigné tous les présidents de l’Algérie jusqu’ici(9). En tout état de cause il est constitué uniquement par des militaires et est ainsi plus représentatif du pouvoir, celui de l’armée, que ne le serait le Haut Conseil de Sécurité plutôt ouvert aux civils.
Enfin, certains généraux il est vrai, bien que ne faisant pas partie en principe de ces instances suprêmes et même se trouvant à la retraite, du fait de leur personnalité et du rôle qu’il leur revient en tant notamment que parrains au sommet de la hiérarchie militaire, peuvent participer à ces grandes décisions soit en en faisant la suggestion soit même par leur seule opposition. Ce qui démontre la difficulté de saisir ce lieu de prise des initiatives si ce n’est des décisions. Les participants varieraient en tant qu’ils sont soit davantage les représentants qualifiés de la hiérarchie militaire, soit même ceux d’une certaine oligarchie militaire plus ou moins occulte.
Il s’agit donc d’un noyau restreint avec généralement l’actuelle Direction Générale de la Prévention et de la Sécurité ayant succédé à l’ex-Sécurité Militaire, en tant que cheville ouvrière, noyau qui sous cette égide, dégagerait et coordonnerait la volonté de ce collège et veillerait à son exécution, c’est à dire qui représenterait ce pouvoir suprême qui échoit au militaire et de plus en plus à son oligarchie. Pour désigner ce centre du pouvoir, on pourrait utiliser le terme « polyvirat » par référence à ce triumvirat formé durant la guerre d’indépendance, de 1957 à 1962, par les trois principaux colonels de l’Armée de Libération Nationale à la tête de celle-ci; un triumvirat qui avait ainsi constitué un précédent préfigurant cette structure du régime ayant échu à l’Algérie depuis l’indépendance. Ceci de préférence à une expression telle celle de « Cabinet Noir » suggérée par M. YAZID, face aux truquages de ces élections présidentielles du 15 Avril 1999, qu’il entendait stigmatiser ainsi.
Nous utiliserons aussi l’expression polyvirat militaire pour désigner l’une de ces deux instances que nous avons évoquées plus haut et qui nous paraissent être le siège du pouvoir sous l’égide de la Direction Générale de la Prévention et de la Sécurité. Une instance pouvant même être élargie ou restreinte selon les cas.
3) En effet on peut considérer que quelque soit les circonstances, cette Direction Générale de la Prévention et de la Sécurité doit assumer un rôle important dans la prise des décisions au sein de ce Polyvirat tout au moins pour les concrétiser et veiller sur leur exécution. Ces interventions de cette Direction pouvant prendre plus d’importance aujourd’hui avec les divisions actuelles au sein de l’armée, les décisions devant être obtenues de plus en plus à l’arraché face aux clivages et aux résistances qui ne cessent de croître. Ceci étant donné qu’à la base de ce pouvoir interviennent les relations claniques lesquelles s’établissent autour d’intérêts économiques tout en reposant sur des liens telles les allégeances régionales, les relations matrimoniales et autres formes de clientélisme.
Enfin quelque soit ce cadre dans lequel sont prises véritablement ces décisions, elles peuvent l’être de manière collégiale par un vote au bulletin secret. Il s’agirait alors là d’un privilège supplémentaire que détiennent les généraux celui de participer au seul vrai suffrage dont fait l’objet la dévolution du pouvoir dans le pays, à la différence de ceux plus ou moins truqués auxquels est appelée à participer périodiquement la population, tel celui du 15 Avril 1999 pour la l’élection de l’actuel chef de l’Etat.
C) UNE CONSTITUTION PARALLELE
Les véritables constitutions du régime algérien ne sont pas celles qui ont été rédigées et présentées à quatre reprises à l’assentiment de la population, y compris la troisième celle du 23 Février 1989 inspirée par une orientation réformiste et modifiée par la dernière, celle du 28 Novembre 1996.
Ainsi de la détention de facto du pouvoir réel, avec l’appui des services militaires de sécurité, par un noyau représenté par un ou plusieurs chefs militaires responsables devant un collège constitué par leurs pairs. Ce sont de telles règles qui sont en définitive constituantes du régime de l’Algérie depuis bientôt une quarantaine d’années, au point d’apparaître comme étant coutumières, bien que non-dites Toutes institutions non mentionnées du moins sous cet aspect par les textes écrits, des textes considérés officiellement comme fondamentaux de la République algérienne.
Ainsi de la première constitution, celle de 1963, laquelle ne mentionne pas le partage du pouvoir entre le président Benbella et le Groupe d’Oujda à la tête de l’armée, lequel finira pas l’évincer deux ans plus tard. De même ne sera pas évoquée l’omniprésence depuis les coups de force de juin 1965 et décembre 1967, de l’armée au sommet de l’Etat, par la Charte Nationale de 1976. Un document élaboré sous la haute responsabilité du président Boumediène selon une démarche populiste, à l’insu de la direction du parti du FLN au nom duquel en principe il détient et exerce le pouvoir(10). A peine si la constitution qu’il fit adopter la même année, explicite quelque peu le rôle de l’armée, ne lui attribuant officiellement que celui bien général de « bouclier » et d' »instrument de la révolution… (qui) participe au développement du pays et à l’édification du socialisme ».
Enfin il y eut la constitution du 23 Février 1989 inspirée par une orientation réformiste. Mais la dépendance non écrite du chef de l’Etat vis à vis de l’armée ou plus exactement de sa haute hiérarchie, explique le fait que celle-ci reprenant la situation en main, directement et sans difficulté aucune, en 1991-92, put modifier alors cette troisième constitution trop libérale à ses yeux, en y substituant l’actuelle celle du 28 Novembre 1996. Il en sera de même de celle qu’envisage de promouvoir le président Bouteflika dans un sens encore plus présidentialiste, mais qui très certainement ne fera pas malgré cela ou plutôt pour cela et du fait de l’opposition de l’armée, l’objet d’une réelle application.
On se trouve en effet en présence d’un régime militaire même s’il ne dit pas son nom, une catégorie que l’on ne peut cependant ne pas reconnaître, si on se pose la question fondamentale, à savoir sur quoi repose la détention du pouvoir, qui la confère véritablement. Il s’agit d’une situation où la détention de la réalité du pouvoir ne puit être déduite que par la prise en considération de certains états de fait. Or rares sont les auteurs en la matière qui vont jusqu’à objectiver ainsi cette réalité(11).
En effet quelle signification attribuer par exemple au fait que le président Boumediène une fois à la tête de l’Etat en 1965, s’était réservé le portefeuille de ministre de la Défense et qu’il prit même le soin de ne pas désigner de remplaçant à la tête de l’Etat-major après la sédition de son chef en 1967? Ne s’agissait-il pas de détenir ainsi l’entière responsabilité directe et personnelle sur l’armée? Il n’avait tout simplement pas négligé la leçon qu’il pouvait tirer du fait que lui-même en étant ministre de la défense, avait réussi le 19 Juin 1965 à évincer à son avantage, Benbella de la présidence de la République. Une fois chef de l’Etat, c’est par sa position à la tête de l’armée qu’il pouvait conférer un pouvoir à son gouvernement et même à son Conseil de la Révolution constitué de hauts responsables militaires et qu’il présidait en personne.
D’autres indications informent aussi sur cette nature militaire du régime. Lorsque le ministère de la Défense sera retiré en 1991 au chef de l’Etat Chadli, son éviction par ses pairs dont son nouveau ministre de la Défense le Général NEZZAR(12), de la présidence de la république suivra peu après. De même ce ministère de la Défense sera préalablement occupé en Juillet 1993, par Zéroual six mois avant qu’il ne prenne en Janvier 1994 cette fonction de chef de l’Etat. Comme dirait A. CHAREF, « …l’armée a appelé(Zeroual) pour en faire son patron avant de le pousser au sommet »(13). Enfin le président Bouteflika ne pouvant confier le ministère de la Défense à un de ses hommes de confiance étant donné l’opposition de l’armée, n’eut d’autre ressource que d’assumer en personne cette fonction. D’autant qu’il y eut sept ans auparavant cette fois non pas la simple destitution mais l’exécution du président Boudiaf qui justement ne s’était pas assuré la détention de ce portefeuille.
II. LE FONCTIONNEMENT DU RÉGIME
A) LES ÉLECTIONS TRUQUÉES EN TANT QUE FORME D’INSTITUTIONNALISATION DU RÉGIME
L’une des premières règles d’un Etat de droit, dont dépend le respect des droits et libertés, consiste en l’application de la constitution officiellement en vigueur notamment en matière de dévolution du pouvoir. D’où l’importance particulière des consultations populaires, celles en premier lieu destinées à la désignation du chef de l’Etat et des parlementaires. Nous soulevons particulièrement cette question parce que c’est là le maillon faible du régime militaire algérien. En effet sa contradiction réside dans le fait que ces consultations ont lieu périodiquement comme dans toute véritable démocratie, sauf que c’est surtout pour se prévaloir d’un fonctionnement démocratique conformément à la constitution officielle. Or par la façon particulière dont ces consultations sont organisées plus exactement par leur truquage régulier voire leur préfabrication, se trouve privilégié le système de cooptation à la base du régime et de sa perpétuation(14). En effet comme le souligne très justement Aït-Ahmed le système repose sur deux institutions fondamentales à savoir la force et la fraude(15).
Ainsi la pratique des élections surtout celles destinées à désigner le chef de l’Etat et les membres des assemblées législatives, sont généralement truquées si ce n’est tout simplement préfabriquées de façon systématique par l’administration sous l’égide des services de l’armée et des représentants de sa hiérarchie. D’autant que ces divers acteurs sont rompus à ce genre de pratiques héritées dans une certaine mesure de la colonisation française en Algérie, en même temps que de son système d’administration, ce qui de ce fait leur confère pour ce qui y ont recours, une antériorité voire une certaine justification. Ainsi intervint leur nationalisation et leur adaptation à l’indépendance, d’autant que l’Algérie vécut officiellement durant une trentaine d’années en principe sous le système du parti unique. Ces pratiques devinrent pour ainsi dire une des règles de la constitution de fait la seule effectivement appliquée comme nous l’indiquions ci-dessus.
D’où le fait que l’octroi aux candidats présentés par le pouvoir surtout lors de l’élection du chef de l’Etat, d’un pourcentage de voix pouvant frôler les 100%, finit par se banaliser et n’être plus relevé par l’opposition comme par l’opinion publique. Il se trouvait être quelque peu intériorisé par le citoyen Algérien, au point où celui-ci se sentait quelque peu impuissant à s’y opposer voire même coupable au cas où il le faisait.
B) LA DÉLÉGATION DE POUVOIR PAR L’ARMÉE AU CHEF DE L’ETAT
Le chef de l’Etat est un « militaire-politique » comme l’a désigné très justement G. VIRATELLE(16) parlant de Boumediène. Une formule qui excepté Benbella et Boudiaf s’applique en fait à tous les autres présidents algériens y compris dans une certaine mesure au président Bouteflika. Ce sont d’anciens hauts officiers, certains en exercice en tant que tels jusqu’au moment de leur promotion à la tête de l’Etat.
Le chef de l’Etat est à l’image du colonel responsable de «Wilaya», une des sept divisions du territoire algérien, villes comprises, durant la guerre d’indépendance et qui en assumait la responsabilité à la fois militaire et politique. Il est généralement comme lui, un chef portant une double casquette, l’une militaire par sa prééminence par rapport au collège constitué par ses pairs de la hiérarchie militaire, l’autre civile à destination de la société au travers de son administration civile placée sous son autorité.
Il est intéressant de saisir la façon dont ce pouvoir est détenu et exercé à travers notamment sa transmission concrète par l’armée. Une question préalable se pose, s’agit-il du pouvoir ou d’un pouvoir, voire de pouvoirs? En fait il y eut une évolution quant au contenu de cette attribution de pouvoir, ceci au point où on peut considérer que sous couvert des quatre constitutions officielles successives, l’Algérie a vécu sous deux constitutions de fait distinctes ayant eu une existence bien plus effective que les précédentes.
a) LA PHASE DE 1962 A 1991 D’UN VÉRITABLE PRÉSENSIDENTIALISME
Ce fut là pour ainsi dire la première constitution de fait algérienne. Dans le cadre de celle-ci c’est la réalité du pouvoir qui revenait au chef de l’Etat, lequel disposait d’un certain ascendant sur l’armée, tout en imposant son pouvoir à travers elle. Il avait à sa disposition en sa qualité de secrétaire général du Front de Libération Nationale, seul parti dont l’existence était autorisé étant donné que c’est sous son égide que la lutte de libération avait été menée. Même si le chef de l’Etat ne détenait pas de ce dernier son pouvoir, sa présence à sa tête ne lui conférait pas moins une autorité ne serait-ce que symbolique étant donné le prestige de ce parti et au nom du soit disant principe du gouvernement du pays par ce parti unique. Ce fut jusqu’aux évènements de Juin 1991, le cas du président Boumediène et dans une certaine mesure de son prédécesseur le président Benbella et de son successeur le président Chadli. Le président Boumediène ayant détenu la réalité du pouvoir de 1965 jusqu’à sa mort en 1978. On se trouvait de 1962 jusqu’à cette date et même jusqu’à 1991, en présence d’un présidentialisme fort.
b) ) LA SUBORDINATION DU CHEF DE L’ETAT A L’ARMÉE DEPUIS 1991
Un changement advint avec l’intervention de l’armée en tant que tel, au sommet de l’Etat, à la faveur de l’effervescence islamiste à partir de 1991. Ce fut à l’occasion d’un processus qui débute en 1991 avec le départ du gouvernement Hamrouche et s’achève en Janvier 1992 avec celui du président Chadli, ce qu’admet le général Rachid Benyellés en disant «qu’en 1992, après la démission de Chadli, …l’armée a accédé au statut de décideur»(17).
1) LA RÉDUCTION DU POUVOIR DU CHEF DE L’ETAT
Ce à quoi correspondit le départ en 1991 du chef du gouvernement lequel était jusque là désigné et révoqué par le chef de l’Etat et ne relevait que de lui. De même le retrait à celui-ci du portefeuille de la Défense
L’armée ne concédait plus alors à l’exécutif, qu’un pouvoir fixé selon l’appréciation de sa hiérarchie, en en excluant certains domaines considérés comme réservés notamment les sources de rente constituées pour l’essentiel par les ressources extérieures du secteur des hydrocarbures. De même le ministère de la Défense surtout lorsqu’il n’est pas détenu par le chef de l’Etat, constitue de moins en moins un des départements du gouvernement, mais plus un point d’ancrage de l’armée en son sein. De plus il y a tous les domaines réservés à la gestion directe par des services de sécurité de l’armée ou tout au moins à leur supervision par ces derniers.
Si les deux premiers présidents algériens ceux de la phase du caudillisme radical ont disposé du pouvoir réel, par la suite surtout depuis 1991, avec la phase que nous considérons comme étant celle du prétorianisme oligarchique(18), ce ne fut donc plus le cas. Au président Chadli à partir de l’été 1991 jusqu’à son départ en Janvier 1992, puis aux quatre autres chefs d’Etat qui lui ont succédés en l’espace de sept ans, non seulement il n’était plus délégué qu’une part du pouvoir, mais ils ont eu même souvent à négocier avec l’armée et ses divers clans, leurs attributions, si ce n’est l’obtention des assurances quant à la possibilité d’assumer leur mandat. Tout exercice auquel dut se prêter sans fin depuis son élection, le président Bouteflika.
Des limites apparues déjà lorsque le président Chadli se départit de la fonction de chef du gouvernement et du véritable contrôle sur le parti unique, le Front de Libération Nationale(FLN) seul parti encore existant, étant donné l’autonomie dont bénéficia celui-ci, avant qu’il ne finisse par passer quasi-directement sous le contrôle de l’armée. Ce chef de l’Etat ayant contribuer à scier la branche à laquelle il pouvait s’accrocher pour ne pas se retrouver complètement démuni entre les mains de l’armée.
En effet ce fut d’abord tout au début de sa présidence que la loi constitutionnelle du 7-7-79 institua le poste de premier ministre, conférant ainsi une certaine autonomie au gouvernement par rapport au chef de l’Etat tout en renforçant ses rapports avec l’Assemblée Populaire Nationale face à laquelle il assumera une certaine responsabilité. Un système qui s’est perpétué depuis.
Interdits depuis de parti les nouveaux chefs de l’Etat n’étaient plus, autant symboliquement que fondamentalement, que les représentants de la haute hiérarchie militaire, ne détenant plus quelqu’attribut qui pouvait leur être conféré par ailleurs et à l’aide duquel il pouvait se prévaloir auprès de leurs pairs de l’armée.
L’assassinat d’un chef de l’Etat, le président Boudiaf, en 1992 et la disgrâce du président Zeroual considérés comme n’étant pas assez docile, s’expliquerait dans une certaine mesure par justement leur obstination à vouloir se doter d’un parti même si c’est par personne interposée comme dans le cas du second(19) Il s’agit de la part de la hiérarchie militaire et surtout de généraux ayant appartenu à l’armée française avant de rejoindre l’Armée de Libération Nationale(ALN) avant l’indépendance, d’éviter ainsi une initiative qui en aboutissant à la constitution d’un parti du président, contribue à en renforcer la position et à le placer au-dessus d’elle.
Faute de pouvoir dans ces conditions avoir son propre parti, le président Bouteflika envisage néanmoins, un élargissement de ses attributions de façon constitutionnelle. Il prépare l’adoption d’une constitution à l’image de celle qui a prévalu à l’époque du président Boumediène, sans tenir tellement compte des limites que l’armée impose aujourd’hui au pouvoir du chef de l’Etat, attendant de lui comme de tout autre chef de l’Etat à ce qu’il n’engrange le prestige qu’il parvient à acquérir auprès de la population, qu’à son profit et à celui de son régime. D’autant que si le président Bouteflika semble bien avoir pris des précautions en faisant préciser au préalable son rôle, cela semble être davantage pour garder sa liberté de parole qu’en vue de procéder à de grands changements. Ce que confirme les exemples que rapporte J. GARCON, nottament ce qu’elle appelle les sorties du président Bouteflika, plus qu’ils ne permettent d’en conclure qu’il a négocié avec les décideurs une marge de manoeuvre plus importante que tous ses prédécesseurs(20). Les attributions importantes qu’il exerce se réduisant pour l’essentiel à servir la junte.
Ceci au point qu’à long terme, on risque de se trouver dans la situation où la dévolution de pouvoirs comporterait, une limitation bien plus grande des domaines auxquels elle s’appliquerait, voire une détermination des actions à mener. Ce que semble vouloir instaurer la hiérarchie militaire du moins sa partie agissante à la tête de l’Etat, à savoir amener le chef de l’Etat à n’être plus qu’un exécutif de l’armée.
2) LE POUVOIR DE RÉVOCATION DU CHEF DE L’ETAT PAR L’ARMÉE
D’autant qu’il y a une évolution sur ce plan, toujours aux début des années quatre-vingt-dix, le chef de l’Etat pouvant depuis être révoqué par l’armée avant même l’expiration de son mandat.
21. Il a été et est toujours choisi par elle, au point où ceci constitue une pratique coutumière. Certes il y eut le cas exceptionnel de l’élection du président Chadli, en 1979, avant même qu’il ne prenne ses fonctions en tant que tel. Mais même dans ce cas, il n’en a pas moins été choisi au préalable par l’armée, avant qu’il ne soit présenté au suffrage populaire. Dans les cinq autres cas de désignation de responsables de l’Etat algérien, ce fut sans recourir à des élections, même si dans la plupart de ces cas, elles eurent lieu par la suite comme pour régulariser la situation. Les élections consistant en l’attribution d’un semblant de légalité ou du moins de légitimité que l’armée-Etat tente de dégager en faveur de celui qu’elle a elle-même élu avant de le présenter au suffrage populaire. Ainsi en fut-il l’été 1962 de Benbella installé à la tête du nouvel Etat par l’armée des frontières à son arrivée à Alger, en Juin 1965 du colonel Boumediène qui ne fut élu en tant que tel qu’en 1975, enfin de ceux qui se sont succédés à cette fonction de 1992 à 1999.
A l’occasion de la désignation d’un nouveau chef de l’Etat au début de cette année 1999, la hiérarchie militaire n’a pas récidivé en recourant à ce qui devenait une pratique habituelle consistant à installer son candidat avant de proposer son élection.
22. Cependant si elle choisit et contribue à installer le chef de l’Etat, aujourd’hui et depuis 1992, elle a l’initiative aussi de sa destitution. En effet cette pratique est devenue courante avec le dessaisissement depuis de tous les chefs de l’Etat, comme ce fut le cas des présidents Chadli, Kafi et Zeroual qui bien qu’issus du sérail, n’ont pu achever leur mandat, ceci sans parler de civil tel le président Boudiaf dont la déposition s’est faite par son assassinat. De telles pratiques de mise au rancart de chefs d’Etat, par l’armée, devenant la règle. La durée de leur mandat est de fait fixée par la hiérarchie militaire, puisqu’il devient révocable à son initiative à tout moment, chose devenue courante et qui justifie un doute quant à la possibilité pour tout chef de l’Etat tout au moins d’achever son mandat, surtout s’il ne se soumet pas à l’armée ou même à une de ses parties et qu’il dispose d’un certain prestige auprès de la population. Il y a là surtout avec le recours au meurtre, comme une survivance de la pratique des chefs corsaires de la Régence d’Alger pour mettre fin au pouvoir du dey qu’ils s’étaient choisis auparavant.
Le président Bouteflika n’échappe pas plus à la règle celle de la «zeroualisation» ou de la «boudiafisation», dans la mesure ou son maintien à son poste est, comme le note très justement J. GARCON(21), fonction de sa capacité à préserver l’armée sur le plan intérieur et international d’une reddition des comptes après une sale guerre, ce qui semble bien être l’essentiel de sa mission. Ceci même si malgré une telle dépendance de l’armée, il parvient compte tenu de sa personnalité à allier à la fois populisme et autocratisme et à se présenter tant à l’armée qu’à la population, comme l’homme providentiel, du moins celui de la situation, pratiquant une forme de césarisme et essayant même de suivre tant bien que mal l’exemple de Napoléon Bonaparte(22).
Ainsi depuis le début des années quatre-vingt-dix, on se trouve bien en présence d’une seconde constitution algérienne de fait, un régime d’oligarchie se caractérisant surtout par un affaiblissement de la fonction présidentielle au profit de la caste prétorienne. Le mandat présidentiel a été depuis pour ainsi dire vidé de sa substance. D’autant que la délégation de pouvoir intervient par un double canal, celui du chef de l’Etat certes, mais aussi et de plus en plus au travers des services de sécurité de l’armée. L’un et l’autre transmettant à tous les niveaux du gouvernement et même de l’administration les désirata des différents secteurs et clans de l’armée, sinon tout simplement leurs dictats.
C) LE GOUVERNEMENT ET LES AUTRES INSTITUTIONS CIVILES D’ÉTAT
Or déjà quelqu’ait été le pouvoir détenu par le chef de l’Etat, cela ne signifie pas qu’il échoit ipso facto aux institutions civiles dont le gouvernement et les assemblées législatives, un pouvoir relativement aussi important. D’autant qu’aujourd’hui, avec d’une part cette tendance de l’armée à limiter le pouvoir du chef de l’Etat et d’autre part l’orientation populiste par laquelle celui-ci entend renforcer sa position, on abouti à une évolution du régime de fait au détriment de ces institutions civiles d’Etat. Car à défaut de s’imposer réellement à l’armée, le chef de l’Etat le fait par rapport à celles-là lesquelles bien que prévues par la constitution se trouvent déjà réduites à la portion congrue par le pouvoir occulte qui revient au militaire. Une situation qu’accentue la forte tendance populo-autocratique du président Bouteflika qu’il exprime lorsque éludant une question sur le fait qu’il est « un instrument de l’armée » et qu’il en est « l’otage », il déclare. « Je suis un homme du peuple et je m’appuierai sur le peuple, pardessus les partis et par-dessus tout ce qui est de nature à aller à l’encontre des aspirations populaires profondes. Et il est tout à fait clair que ce que j’ai apporté de nouveau, c’est que, quand j’ai un problème très grave qui concerne la nation toute entière, je m’adresse au peuple algérien, je suis l’humble serviteur du peuple algérien, à l’exclusion de toute autre force fût-elle organisée »(23). D’où le recours pour les grands choix au système référendaire lequel répond à cette orientation notamment à l’établissement de façon sporadique par le président de contacts étroits et directs avec la population en passant outre aux institutions, les marginalisant encore davantage.
De même le projet de se doter en même temps que le pays, d’une nouvelle constitution, la sienne propre par laquelle il entend imprégner pour ainsi dire sa propre marque au régime. Une constitution destinée à renforcer encore plus le présidentialisme de la constitution de 1996, laquelle avait déjà réformée dans ce sens celle de 1989. Il s’agirait justement de réduire le poids du législatif en supprimant le Conseil de la Nation et en restreignant les attributions de l’Assemblée Populaire Nationale. Il envisage aussi de supprimer le poste de premier ministre afin de concentrer tous les pouvoirs entre ses mains et de réduire ainsi le contrôle qu’exerçait l’Assemblée Populaire Nationale sur le gouvernement au travers de la responsabilité de son chef au devant d’elle. Ce qu’il a fait déjà dans la pratique en réduisant la fonction de celui-ci à celle d’un secrétaire général de gouvernement et celle des ministres à celles de sous-secrétaires d’Etat, ce qu’ils avaient été durant la phase du présidentialisme pur et dur de la période de 1962 à 1979.
Cette convergence entre un militarisme dominant et un présidentialisme effréné en Algérie, présente une analogie avec la situation qui s’impose depuis décembre 1999, dans un autre pays de la rente pétrolière, le Vénézuéla. Le chef de l’Etat qui avait tenté de prendre le pouvoir par les armes avant d’être élu, parvint à travers l’adoption d’une nouvelle constitution à instaurer un régime fortement présidentiel lui permettant de demeurer à la tête de l’Etat pendant treize ans avec des pouvoirs étendus face à un législatif amoindri notamment par la suppression de la seconde chambre. La constitution «…mêle présidentialisme et militarisme » précise un juriste(24) ), une formulation tout à fait valable pour le cas de l’Algérie.
Plus encore la constitution elle-même part du principe que l’Etat dispose de ressources inépuisables, elle consacre pour toujours le caractère public de la compagnie nationale pétrolière qui ne pourra être privatisée, assurant au travers de l’Etat à la couche dirigeante la dispostiion directe de ressources importantes. D’où la possibilité pour le chef de l’Etat vénézuélien de se faire l’interprète d’un tel système en proclamant que la nouvelle constitution «empêchera le projet néo-libéral de prendre racine» dans le pays(25). Ce qui correspond bien au projet néo-bonapartiste du président Bouteflika du moins à sa pratique.
1) Aussi le gouvernement ne constitue plus le lieu des véritables enjeux. Il lui revient surtout un rôle d’administration du pays et de gestion des affaires courantes. Ceci à la différence des gouvernements des années soixante et surtout soixante-dix durant lesquelles l’armée y participait de façon directe, à travers la présence de certains de ses membres en tant que ministres détenant des portefeuilles importants, ceci en plus de la personne du chef de l’Etat exerçant le pouvoir en sa qualité de premier militaire autant si ce n’est plus que de politique.
Aujourd’hui le premier ministre, les membres du gouvernement bien que, du moins en principe, choisis par le chef de l’Etat et placés sous son autorité, n’échappent pas totalement à l’influence directe de l’armée ne serait-ce qu’à travers ce qui en est l’autre principale courroie de transmission du pouvoir, à savoir les services de l’ex-Sécurité Militaire, l’actuelle Direction Générale de la Prévention et de la Sécurité. Leurs interférences s’exerçant y compris sur la justice et l’ensemble du corps judiciaire comme au travers de l’administration en général et celle qui a un rapport avec les finances et la trésorerie en particulier. Ainsi la présence d’un corps de gendarmes au sein de cette Direction lui permet de doubler et la Gendarmerie Nationale et la Police, en exerçant des attributions en matière de police judiciaire y compris auprès des civils. Ce qui de ce fait lui assure d’autant qu’elle est semi-clandestine, une position de force et de dissuasion particulières par rapport non seulement à ces précédents services mais aussi à Monsieur-tout-le-monde.
De manière ainsi informelle mais réelle, le gouvernement est responsable devant la hiérarchie militaire par président(26) et par services militaires de sécurité interposés.
2) Les assemblées ont un rôle délibératif dans le cadre des seules attributions ainsi dévolues au gouvernement lequel est en principe responsable devant elles. Ainsi ne peuvent-elles débattre du budget de l’armée lequel est considéré comme faisant partie d’une certaine façon du secret défense.
Depuis l’institution par la constitution de 1996 d’un Conseil de la Nation, c’est un système pervers qui a été établi de manière a ce que les deux chambres se neutralisent plus qu’elles ne collaborent. Ainsi l’Assemblée Populaire Nationale peut-elle accuser le Conseil de la Nation de bloquer l’examen des projets(27) et les Conseillers considérer que l’APN et le gouvernement en s’accordant entre eux les dessaisissent de toute prérogative. En fait avec ce système les deux chambres parviendraient plus à s’opposer entre elles, au mieux à s’en prendre au seul gouvernement dans les limites de ses pouvoirs.
Or ce sont en définitive les responsables civils membres du gouvernement et des différentes assemblées qui jouent un rôle de « fusibles », assumant charges et échecs, tout en ayant l’apparence et la brillance du pouvoir(28). Ce qui permet à l’armée de demeurer à l’abri de la vindicte populaire, bien qu’étant seule maîtresse du jeu.
D) DES PARTIS POLITIQUES
Parmi les causes ayant contribué jusqu’à présent et contribuent encore à la permanence du régime militaire en Algérie, il y a l’absence de structures civiles puissantes et efficientes intermédiaires entre le peuple et le pouvoir, des structures indispensables pour fonder un régime autre que celui en place et en assurer la stabilité. Ceci même si l’ensemble du jeu politique s’est déroulé d’abord sous la couverture d’un régime dit à parti unique et depuis la constitution du 23 Février 1989 à plusieurs partis. En effet ce parti unique et les nouveaux partis ne furent et ne sont encore le plus souvent qu’une simple projection sur le terrain, d’appareils constitués au sommet voire même celle de la personne de leur chef.
a) Jusqu’à 1989 c’est la référence au seul parti du FLN qui a présidé à ce fonctionnement lui attribuant un certaine légitimité populaire. En fait il s’agit bien d’un parti croupion dans la mesure où il contribue à l’omnipotence de l’armée dont il relève indirectement par chef de l’Etat interposé, si ce n’est plus ou moins directement par l’intermédiaire des services de l’armée. Encore que la réalité même de son existence a pu être contestée. J. LECA et J.C. VATIN le considèrent en tant que « symbole puissant de l’intégration nationale, véritable capital historique et idéologique, (qui) figure l’oiseau fabuleux de la mythologie politique algérienne »(29), quant à C.H. MOORE il va jusqu’à parler « d’Etat sans parti »(30).
En tout état de cause et surtout avec le coup de force du 19 Juin 1965 et l’échec de celui du chef d’Etat-major de Décembre 1967, assurant à l’armée avec à sa tête le groupe d’Oujda le contrôle du pouvoir, l’existence de ce parti dépendra du colonel-président Boumediène en sa qualité d’abord de chef de cette armée. D’ailleurs ce parti du FLN fut sévèrement critiqué par les nouveaux responsables parvenus au pouvoir à la suite de ces coups de force. Des responsables qui entreprirent de le réformer, sous l’égide du nouveau chef de l’Etat lequel condamnait la confusion de son organisation avec celle de l’administration entretenue selon lui par son prédécesseur le président Benbella. Ceci alors qu’il réussit à faire en sorte que la construction à partir de 1967 d’une armée en tant que base du pouvoir et d’un Etat en tant qu’instrument de l’exercice de celui-ci, intervienne au détriment du parti. Un parti qui ne consista plus qu’en une sorte d’agence politique au service de cette armée-Etat et surtout une référence idéologique, ce qui pouvait justifier son maintien.
Ainsi de la caractéristique principale de toute l’entreprise d’institutionnalisation au sommet du régime entreprise en 1975 c’est à dire dix ans après son établissement en 1965, caractéristique qui résida dans le fait que menée au nom du dit FLN, non seulement la tenue d’un congrès de celui-ci n’en a pas constitué un préalable, mais il ne participa à cette institutionnalisation qu’en tant qu’exécutant d’une élaboration qui s’effectuait ailleurs. Le projet même de la Charte Nationale fut conçu sous la haute responsabilité du chef de l’Etat, à l’insu du parti et de sa direction.
En fait la construction et le renforcement de l’armée et de l’Etat étant achevés, ceux du parti lesquels posaient un problème, ne constituaient plus un préalable. Ainsi celui-ci put-il intervenir tout au plus comme le gouvernement, en tant qu’auxiliaire dans la compagne de mobilisation de la population autour de cette institutionnalisation-légitimation d’un régime qui malgré son affirmation n’était pas à parti unique, mais en réalité si on peut dire à force armée unique avec à sa tête le président Boumediène et son Groupe d’Oujda. En effet alors que la constitution de 1963 « spécifiait seulement que le Président est le Chef Suprême des forces armées », la constitution de 1976 rajoute expressément le terme toutes. Elle élargit ainsi le champ de la notion de force armée qui n’est pas réservée à l’armée au sens classique du terme, mais s’étend à tous les corps susceptibles de porter les armes, la gendarmerie et la police(31).
C’est exceptionnellement et durant une courte période celle de 1992 à 1996 que le FLN connut un fonctionnement relativement autonome par rapport à l’Etat, avant que l’armée ne le reprenne en main plus ou moins directement tout en interdisant de parti et de façon définitive tout chef de l’Etat.
b) Depuis 1989 ce système partisan plus ou moins formel s’est trouvé élargi à d’autres formations constituées plus ou moins indépendamment du pouvoir, si ce n’est sous l’égide de celui-ci comme ce fut le cas du Rassemblement Démocratique National(RND) qui finit par coopérer avec le FLN plutôt que de rivaliser avec lui.
En fait ce qui traduit bien les limites de ce multipartisme, c’est le fait que comme nous l’avons vu précédemment, depuis les année quatre-vingt-dix, le chef de l’Etat est interdit de parti. Il dispose de l’armée et de ses services, si l’on peut dire comme seul et véritable parti, une vérité qui a échappé de la bouche du président Bouteflika disant que l’armée était son parti politique (32).
En assurant ainsi comme assise au chef de l’Etat, l’armée et ses services vis à vis desquels il se trouve dans une situation de totale dépendance, on parasite tout dialogue véritable entre lui et des représentants de quelque parti que ce soit. D’où la difficulté pour les partis proches du pouvoir comme pour ceux de l’opposition d’entamer un réel débat ou même d’avoir de véritables échanges de vues avec un tel pouvoir. C’est justement ce qui fait que l’on se trouve en présence d’un multipartisme que nous qualifierons de formel, toute participation au pouvoir n’étant possible dans ce cas qu’en passant par la hiérarchie militaire et en pactisant avec elle ou du moins avec une de ses factions. Mais même dans ce cas les partis du FLN et le RND et d’autres qui s’y adjoignent en tant que clients du pouvoir, ne peuvent même pas se prévaloir de constituer la véritable base populaire du chef de l’Etat qu’ils soutiennent, encore moins d’être à l’origine de sa promotion en tant que tel. Leur participation au pouvoir pouvant consister en la détention de quelques portefeuilles ministériels, obtenue le plus souvent par l’intermédiaire de services de l’armée et qui n’est pas tant destinée à leur permettre de participer à la définition de la politique, qu’à leur assurer une certaine position de force notamment vis à vis de l’opposition en même temps que quelqu’autres avantages surtout matériels. D’où le dévoiement dans ces conditions de ce rôle du parti à travers ceux de la coalition, lesquels tout en collaborant ainsi, ne disposent en fait d’aucune influence du moins directement sur le chef de l’Etat et en particulier sur l’actuel, jouant alors le rôle de véritables partis croupion.
c) Quant aux partis au travers desquels l’opposition a trouvé un moyen d’expression, qu’ils s’agissent de sensibilités plus laïcisante ou islamiste, ils ne peuvent par eux-même accéder au pouvoir étant donné que les élections sont généralement truquées sinon préfabriquées. C’est cette opposition réelle qui s’était trouvée représentée par les six candidats aux élections présidentielles du 15 Avril 1999 qui se sont retirés pour protester contre les conditions de leur déroulement. Remobilisée ainsi, la véritable remise en cause du régime, l’a été de son fait essentiellement. En son sein émerge le parti du Front des Forces Socialistes(FFS) dont le poids et la cohérence dépendent à la fois de la personnalité de son président un des principaux responsables de la guerre d’indépendance et du terrain favorable à cette orientation en Kabylie terrain d’élection de ce mouvement. On peut même considérer que l’existence d’une opposition plus ou moins admise légalement, est dans une certaine mesure tributaire de celle de ce parti et surtout de son chef.
Mis à part le FFS, il y a surtout une certaine mouvance islamiste bien que son prestige auprès de la population ait été quelque peu terni par les massacres et exécutions commis en son nom au cours de ces dernières années. Une mouvance à laquelle un haut responsable de sa principale tendance, l’ex-Front Islamique du Salut(FIS), tendait à redonner ces dernières années une plus grande initiative politique, qu’elle avait mis à partir de 1992, au second plan en favorisant l’action terroriste. Il a été assassiné à la fin de l’année 1999 par ceux qui pouvaient être opposés à un tel renouvellement de ce mouvement comme de l’opposition dans son ensemble.
Cependant, de la même manière qu’il le fait avec les institutions civiles d’Etat, le discours populiste du président parvient à mettre quelque peu hors jeu y compris l’opposition. Il se place au devant d’elle en récupérant à l’aide d’effets d’annonce ses propres revendications, pesant psychologiquement sur son engagement et parasitant ainsi le jeu politique, au point de l’amener à adopter une attitude d’expectative.
III. CONCLUSION: PERSPECTIVES D’UNE CIVILISATION DU RÉGIME PAR UNE RESTAURATION DU POLITIQUE FACE AU MILITAIRE
L’étude que nous avons menée ci-dessus démontre s’il en était besoin, le fait qu’en Algérie le problème n’est pas tant le contenu de la constitution officiellement en vigueur, mais davantage celui de son respect, étant donné qu’elle l’est essentiellement de façon formelle. En effet il y a là plus qu’un simple décalage entre son contenu réel et son application. Comme nous l’avons mis en évidence, on se trouve en présence en définitive d’une pratique habituelle au point où on peut en dégager des règles tenant lieu de coutumes et parler de l’existence d’une constitution de fait, même si elle relève du non dit, n’ayant rien à voir avec celle qui a été à quatre reprises depuis l’indépendance, en principe soumise à l’approbation de la population algérienne et promulguée en son nom. C’est cette constitution coutumière qui est à la base du régime, un régime militaire que ne prévoit nullement celle présentée comme étant la loi fondamentale et officielle de la République algérienne, laquelle sert davantage à camoufler ce fonctionnement réel des institutions du pays en fonction de la précédente.
D’où l’objectif prioritaire qui est de parvenir à mettre fin à cet état de fait et de promouvoir les conditions les plus adéquates pour y parvenir par d’abord et avant tout une réelle application de la constitution officiellement en vigueur.
A) DE L’ETAT DE DROIT EN GÉNÉRAL ET DU DÉROULEMENT NORMAL DES ÉLECTIONS EN PARTICULIER
Pour la première fois des élections présidentielles, celles du 15 avril 1999, ont mobilisé l’opinion publique et surtout l’opposition à la mesure de l’évènement. Il y eut d’abord il est vrai, la possibilité perçue un moment, que le futur chef de l’Etat sera issu de la seule consultation électorale même si celle-ci ne se déroulerait pas dans les meilleures conditions. C’est à dire que l’appui que pourrait apporter l’armée à son candidat, ne serait pas véritablement décisif au risque que son élu n’accède pas à la présidence de la République. De plus, forts de certaines assurances données par les plus hauts responsables du pays à la fois le chef de l’Etat encore en exercice et le chef d’Etat-Major, des personnalités représentant pour ainsi dire des poids lourds de l’opposition, s’engagèrent dans la compétition en se présentant comme candidats.
Tout ceci aboutit à générer et à renforcer une certaine conviction parmi la population, en la possibilité de l’élection d’un chef de l’Etat qui ne soit pas le candidat officiel de l’armée, ce qui favorisa ainsi un fort mouvement d’opinion en faveur d’une réelle alternance. Le détournement de la volonté populaire ne fut plus alors perçu comme une normalité ni même une fatalité que devait subir éternellement le pays(33). Déjà la dernière élection présidentielle de 1995 tout en ayant consacré un chef de l’Etat issu du sérail militaire et qui était en place donc de fait, n’en avait pas moins fait de lui l’élu du peuple lui assurant une certaine légitimité et autorité.
Ainsi, bien que le candidat de l’armée ait pu être désigné en tant que chef de l’Etat, le 15 Avril 1999, par le recours à des méthodes de truquage pouvant être considérées comme ayant été coutumières jusque là, il est apparu subitement que c’était une façon bien particulière de faire. Les moyens administratifs mis en ouvre pour fabriquer cette élection, ont été plus visibles que par le passé, aux yeux de la population comme à ceux de la classe politique, ceci au point où le pouvoir apparu subitement comme étant nu.
L’opposition majoritaire de la population à ces conditions de l’élection du chef de l’Etat, trouva son expression dans les initiatives prises par les six candidats présidentiables de l’opposition, face à la partialité de l’armée-Etat. Ceci d’abord par le retrait de leur candidature, retrait qui fut un évènement et que ne firent que confirmer en tant que tel, ceux qui tinrent à affirmer le contraire. Sur ces six candidats, bien que s’étant retirés ainsi tous à la veille du scrutin, quatre d’entre eux ont néanmoins fait un score non négligeable soit pour Aït-Ahmed 13,3%, Djaballah 12,8, Hamrouche 12,2, Taleb 20(34).
Et ce fut la première fois que le régime dut, pour justifier l’organisation de façon truquée d’une élection présidentielle pour en faire un plébiscite, par la voie du chef de l’Etat en exercice au moment du déroulement du scrutin, entretenir une polémique avec les présidentiables de l’opposition. Ce qui contribuait à la condamnation de façon plus évidente de ce type de scrutin pratiqué jusque là dans le pays.
Cette expérience doit être méditée en ce qui concerne à la fois l’attitude défensive nouvelle du pouvoir, mais aussi celle plus offensive de l’opinion publique et de l’opposition en ce qui concerne la question du déroulement des élections. Si en Algérie, l’impact de celles-ci et de leur exploitation, ne peut s’inscrire que dans le cadre d’un long processus, on se trouve néanmoins au travers elles, en présence d’un mouvement en faveur d’une réelle démocratisation et par voie de conséquence d’une restauration du politique et d’une démilitarisation du régime. L’attitude moins convaincue de leur bon droit pour fabriquer les élections, qu’elle ne l’a été jusqu’ici, à la fois de l’armée, de ses services et surtout de l’administration laquelle n’a pas hésité à laisser filtrer des informations notamment en ce qui concerne les vrais résultats, témoigne d’un changement de l’environnement à la fois national et international, qu’il faut amplifier et exploiter.
1) Cette exigence de l’opinion publique nationale d’un scrutin régulier, qui s’est manifestée à l’occasion des élections présidentielles du 15 Avril 1999, doit être encouragée et soutenue et ce par une action permanente sans que ce soit seulement lors de quelque vote. Ceci pour parvenir à en faire une des premières et des plus fortes revendications populaires. Tous les moyens doivent être mis en oeuvre et ce notamment par l’organisation de débats et de campagnes d’information à ce sujet.
Ainsi en ce qui concerne le projet d’une nouvelle constitution que le président Bouteflika entend soumettre au référendum, cette action ne doit par porter essentiellement sur le contenu, mais tout autant et même davantage sur les conditions dans lesquelles la population aura à se prononcer à son sujet.
2) D’autant qu’il y a un mouvement en faveur d’élections régulières, que connaissent l’ensemble des pays du Sud et que sont amenés à ne plus ignorer en Algérie, en même temps que le pouvoir en place, les ONG et même les pays occidentaux. Certains de ces derniers n’hésitant plus à émettre des réserves comme ce fut le cas en ce qui concerne non seulement les conditions de l’élection du président Bouteflika, mais aussi le crédit qu’ils peuvent accorder de ce fait à ses engagements notamment pour le respect des droits et libertés. D’où l’importance de l’appel, à l’occasion des élections et pour leur bon déroulement, à des instances extérieures en vue de leur intervention dans ce sens.
L’obtention d’un tel résultat sur la pression de l’opinion et nationale et internationale, constitue une des voies royales pour parvenir à la restauration du politique et à la démilitarisation du régime.
B) DE LA SOCIÉTÉ CIVILE, DES PARTIS ET DU MOUVEMENT ASSOCIATIF.
En fait ce qui conditionne cette action en vue de l’instauration de l’Etat de droit par notamment le respect de ce principe fondamental de la constitution en vigueur, c’est l’émergence de la société civile et ceci par la multiplication et l’extension d’espaces sociaux d’autonomie.
a) Déjà la connivence entre la personnalité des six présidentiables des élections du 15 Avril 1999 et de leurs mouvances respectives d’une part et d’autre part de ce qu’il nous semble prématuré d’appeler une société civile et qui se présente sous forme d’espaces sociaux d’autonomie, a eu un impact véritable sur ce plan.
1) Ceci même si depuis, la geste du nouveau président tend à étouffer quelque peu le débat parmi la population et même dans l’opposition. En effet il y a eu une remise en cause du précédent comportement des partis y compris de ceux se revendiquant comme opposants. La classe politique algérienne et les partis se trouvant dorénavant face à une mise en demeure qu’ils ne peuvent plus ignorer et par rapport à laquelle ils sont acculés à se déterminer. Il s’agit de l’attitude à prendre face à cette situation où l’armée est seule détentrice du pouvoir dont elle ne fait que concéder partiellement et momentanément l’exercice, au point où il est indispensable de disposer au moins de son aval pour être assuré de quelque participation à ce pouvoir et surtout pour accéder à la fonction de chef de l’Etat comme l’élection présidentielle du 15 Avril 1999 l’a démontré une fois encore. Ceci au point où s’accentue le clivage entre les partis de l’opposition et quelques autres contestataires de ce système d’une part et d’autre part soit des partis croupions appartenant au bras politique de l’armée-Etat, soit des partis clients participant à sa coalition.
Cependant cette clarification ne doit pas s’arrêter aux seuls partis de l’opposition, mais s’étendre au delà par une intervention auprès de ceux de la majorité(35), même s’ils doivent continuer à collaborer avec le pouvoir. Ceci en vue d’une prise de distance autant que possible par rapport au pouvoir militaire, en privilégiant les liens avec le pouvoir civil même si celui-ci ne puit constituer dans l’immédiat que quelqu’appendice du premier. Il s’agit de promouvoir un réel débat avec ce pouvoir civil, voire de contribuer à terme à son renforcement et à son autonomisation surtout dans la mesure où pourraient intervenir sur ce plan des convergences entre lui et l’opposition.
2) Ainsi que le soulignait Aït-Ahmed, encore en mars 2000 dans une interview, le règlement de la crise passe nécessairement par l’amorce d’une dynamique politique incluant tout le peuple(36). Cependant l’on ne peut se reposer essentiellement et éternellement sur la capacité du FFS et de son chef à constituer l’épine dorsale de l’espace d’expression et d’action de l’opposition que le pouvoir respecte plus ou moins. Il y a la nécessité tant de multiplier les partis que d’élargir les formations existantes. Comme dit Youcef Khatib(37), « …il faut des partis qui puissent avancer les termes du changement et engager la société avec eux ». D’où l’importance d’initiatives dans ce sens dont celles d’ex-présidentiables tels Taleb, Djaballah…
b) Enfin il y a la lutte à mener au sein des associations surtout celles ne dépendant pas essentiellement des subventions de l’administration lesquelles ont souvent constituer un des moyens de leur téléguidage, voire de leur dévoiement. D’autant que la suppression au mois d’Avril 2000 de ces subventions, peut contribuer à un éclaircissement de la situation sur ce plan. Ce qui implique non seulement une intervention plus grande auprès des associations existantes et leur soutien, mais aussi l’impulsion en fonction de cette nouvelle situation, d’autres, compte tenu de l’intérêt social et politique qu’elles présentent notamment pour la prise en charge de la société par elle-même.
Notes
1) Cité par A. CHAREF, Algérie le Grand Dérapage, L’Harmattan, Paris, 1994, p. 418 et 419.
2) ) N. ABDI, « La Militarisation de la Vie Politique dans des Pays du Tiers-Monde le cas de l’Algérie et du Pérou », Annuaire du Tiers-Monde, 1977-78, Université Panthéon Sorbonne.
3) P. DÉVOLUY et M. DUTEIL, La Poudrière Algérienne…, Calmann-Lévy, 1994. Il était considéré même comme le dauphin du président Boumediène.
4) L’idée de C. LEFORT d’un lieu vide en tant que lieu du pouvoir comme caractéristique de la démocratie nous paraissant une vue de l’esprit. Une explication reprise par A. ADDI, l’Algérie et la Démocratie, Editions le Découverte, 1994, p. 73.
5) Il y en avait 140 peut-être plus à la veille de l’élection du président Bouteflika en Avril 1999. Il en a nommé huit au mois de Juillet 1999.
6) Ainsi peut-on interpréter dans ce sens le fait que le président Boudiaf aurait obtenu une collaboration à ces niveaux, pour la mise à jour des circuits de la corruption auxquels participent des membres de cette haute hiérarchie; De même toujours à ces mêmes niveaux, la dissidence au sein de l’armée d’officiers ayant constituer hors d’Algérie, en Espagne, une opposition en tant que corps militaire face à la haute hiérarchie
7) Interview à Libre-Algérie, Nouvelle série, n° 40 du 13-3-2000.
8) Il s’agirait du président de la République, du président de l’Assemblée Populaire Nationale, du président du Conseil Constitutionnel, du Premier ministre, du ministre de la Justice, du ministre de l’Economie, du ministre de la Défense, du chef d’Etat-Major.
H GOURDON a noté la présence au sein du Haut Comité de Sécurité en 1992 de trois généraux, «La Constitution Algérienne du 28 novembre 1996», in Monde Arabe Maghreb-Machrek, n°156, Avril-Juin 1997, p. 38 et 39.
9) Une information donnée par le journal L’Express du 22-4-99 et qui nous parait vraisemblable.
10) Sa rédaction ayant été l’ouvre d’intellectuels organiques dont le rôle habituel est celui de grands commis de l’Etat. T. BENSALAH cite Lacheraf conseiller à la Présidence, Malek ancien ambassadeur, Ben Yahia et Belaïd ministres. La République Algérienne, o. c., p. 286.
11) Voir sinon T. BENSALAH, La République Algérienne, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Paris, 1979. Aprés une analyse des constitutions l’auteur explicite de façon précise le rôle de l’armée en tant que source et détentrice du pouvoir, bien qu’il en traite après avoir étudié le parti du FLN auquel il consacre plus de place. M. T. BENSAADA tout en condamnant le juridisme n’en verse pas moins dans ce dernier dans son ouvrage qui n’a malheureusement pas connu toute la diffusion qu’il méritait, Le Régime Politique Algérien, Paris, 1989.
12) Tout en essayant dans ses mémoires de faire admettre la thèse selon laquelle le président Chadli aurait démissionné de son propre gré, le Général NEZZAR donne plusieurs indications qui démontrent le contraire, Les Mémoires du Général NEZZAR, o. c.
13) Algérie le Grand Dérapage, o.c., p. 500.
14) J. GARCON, «Le Mystère Bouteflifa», Politique Internationale, fin 1999.
15) Libre Algérie, Nouvelle série, n° 40 du 13-3-2000.
16) « Le Pouvoir Militaire Algérien, Revue Française d’Etudes Politiques, n° 38, Fév. 1969.
17) Libre-Algérie n° 36 du 17 Janvier 2000.
18) J’emprunte cette dénomination à P. DABEZIES citant S. HUNTINGTON lequel considère que c’est « le fait d’officiers de haut rang liés aux classes supérieures ». Annuaire du Tiers-Monde 1977, « L’Armée et le Pouvoir dans le Tiers-Monde ». Cette évolution a été favorisée en Algérie par la rente du pétrole et les possibilités d’enrichissement facile qu’elle assurait notamment pour la hiérarchie militaire.
19) A la différence du secrétaire général de l’UGTA syndicat proche du pouvoir, qui fut assassiné s’étant chargé de la mise en place d’un parti du président Zeroual, ce dut être la disposition de moyens de défense et surtout de rétorsion, qui permit au général Betchine d’y parvenir sans risque avec la constitution du Rassemblement National Démocratique (RND), à laquelle le président Zeroual prit la précaution d’apparaître comme étranger.
20) Le Mystère Bouteflifa, o. c., p. 406.
21) Idem, p. 411.
22) Le fait qu’en réponse à une question d’un journaliste, il se compare à l’empereur français, se vantant d’avoir quelques centimètres de plus que lui, pour la taille, en dit long sur la fascination qu’il exerce. C’est là une disposition commune à nombre de dirigeants d’ex-colonies de la France d’avoir été marqués par cet exemple, ce que nous ne pouvons malheureusement analyser ici faute de place. L’empereur Bokassa ayant lui poussé jusqu’au ridicule cette identification. Encore qu’à la différence de ce chef de l’Etat de l’Ouganda, le président Bouteflika ne peut se prévaloir d’avoir appartenu à l’armée française, sauf à avoir côtoyé des anciens de cette armée déjà aux frontières à partir de 1956.
23) Le Monde du 14-9-99.
24) A. BREWER CARIAS, cité par le journal Le Monde du 24-11-99.
25) Le Monde, idem.
26) A. ADDI, L’Algérie et la Démocratie, o.c., p. 66.
27) Voir El-Watan du 18-11-98.
28) A. CHOUDJA, « La logique du système… », Reporters sans Frontières, Le Drame Algérien…, La Découverte, Paris, 1994, p. 70.).
29) L’Algérie Politique Institutions et Régime, P. F. N. S. P. , Paris, 1975, p. 99.
30) Cité par T. BENSALAH, o. c. p. 263.
31) T. BENSALAH, o.c., p. 188.
32) Lors d’une interview accordée à des journalistes français début Novembre 1999.
33) J’expliquerais les différences sur ce plan entre pays du Sud, d’abord par le stade d’évolution. C’est comme si le Maghreb, le Monde Arabe, l’Afrique Noire étaient précédés dans cette voie par l’Amérique Latine, étant donné que par exemple, elle accéda à son indépendance environ un siècle auparavant. Il me semble qu’en ce qui concerne tout au moins le système socio-économique et le régime politique, il y ait quelques décennies de décalage par rapport à l’Amérique Latine. Ainsi a t-on pu voir apparaître en Algérie, le système de répression contre le petit peuple à l’initiative de groupuscules plus ou moins privés liés à la force armée ou à des services proches de celle-ci, un système bien antérieur en Amérique Latine.
34) Le Monde du 17 et 18-4-99. Alors que seuls les deux premiers disposaient de structures partisanes l’une socialisante, l’autre islamisante. Taleb ayant bénéficié de la structure officiellement dissoute de l’ex-FIS.
35) Comme le suggère très judicieusement M. LARBI, « Démocrates-républicains avez-vous dit? », Libre-Algérie n° 23 du 19-7-99.
36) Libre Algérie, Nouvelle série, n° 40 du 13-3-2000.
37) Libre-Algérie du 10-5-1999.