Le général Touati se positionne pour les présidentielles

L’Armée algérienne et la politique

Le général Touati se positionne pour les présidentielles

Le Matin, fin octobre 2002

Le général major Mohamed Touati a occupé les feux de la rampe ces derniers temps. Il a accordé tout d’abord à la chaîne française LCI un entretien remarquable. Il y a abordé les grands dossiers de l’heure, tant au niveau de la politique intérieure qu’à celui de la politique extérieure. Lors de cet entretien, il a montré à l’opinion internationale, particulièrement européenne, qu’il était à la hauteur des circonstances, à l’instar d’un vrai chef d’Etat. L’ENTV a rapidement saisi la dimension de cet entretien et jugé utile de le rediffuser pour ses téléspectateurs. La presse écrite a au préalable commenté de larges extraits de cette interview qui marquera une étape importante dans la nouvelle stratégie de communication. Dans la même semaine, le général major Mohamed Touati corganise un colloque international sur le terrorisme intitulé « Le précédent algérien ». A la fin des travaux de cette rencontre, il anime une conférence de presse inédite. Tous ces efforts en matière de communication nous laissent croire que le général de l’armée, en tenue civil, jouerait le rôle de premier plan dans l’élection présidentielle de 2004.
Sans aucun doute, la conférence sur le terrorisme fut un grand succès dans l’histoire du terrorisme post-septembre. Elle pouvait évidemment avoir eu un plus grand retentissement au sein des opinions. Pour cela, il fallait inviter toutes les personnalités et institutions susceptibles d’enrichir la question sécuritaire. L’Algérie est une so ciété plurielle, une donne que la lutte antiterroriste a dévoilée au grand jour à tous ceux qui sont atteints d’amnésie.
Parmi ces absents, notons le ministre de l’Intérieur, le colonel Yazid Zerhouni, premier concerné par la lutte antiterroriste. Il fut remplacé par le colonel Ali Tounsi, directeur général de la Sûreté nationale. Lors de son intervention, M. Tounsi a tenu à préciser que les services de sécurité n’ont pas pu prévoir le terrorisme islamiste et encore moins prévenir cette situation malgré des faits révélateurs.
Le général major Ahmed Boustila, commandant en chef de la Gendarmerie nationale, fut également absent lors de cette rencontre. Seuls quatre officiers supérieurs de ce corps y étaient présents. A la surprise générale, aucun d’eux n’a été délégué pour présenter un exposé de la situation sécuritaire. De par sa spécificité, l’approche sécuritaire de la gendarmerie est différente de celle des autres corps de sécurité. La Gendarmerie na tionale a en plus une grande expérience dans la lutte antiterroriste et celle contre la criminalité. Elle a été sur les lieux du conflit dès le début des années 1980.
Le général Smaïn Lamari, chef du contre-espionnage, était aussi le grand absent à ce colloque international. On s’attendait en effet à la lecture d’un bilan exhaustif de la situation sécuritaire des services de sécurité. Ce bilan, de la part du numéro un de la lutte antiterroriste, aurait largement éclairé l’opinion publique sur les tenants et les aboutissants du « terrorisme résiduel », pour reprendre l’expression d’un ex-Chef de gouvernement. En vain.
Les partis politiques n’étaient pas également conviés à ce colloque qui voulait être académique et scientifique, selon les organisateurs, notamment Mansour Lakhdiri, chef de cabinet du Chef du gouvernement. « Nous n’avons pas invité les partis politiques. Rédha Malek a été convié à intervenir parce qu’il est l’auteur d’un liv re, Révolution et Tradition, a tenu à préciser Mohamed Touati. Chaque parti a pourtant payé un tribut très lourd durant la décennie écoulée. Quel est le parti politique ou autre association qui n’a pas eu des cadres et militants assassinés par des groupes terroristes ?
Le précédent algérien est unique dans les annales du terrorisme contemporain. A présent le terrain sécuritaire est balisé. Que chacun de nous est libre d’organiser son propre colloque sur le terrorisme, ainsi semble être le premier enseignement à tirer de cette première rencontre. Que les bonnes et sincères volontés se déploient sur le terrain de la réflexion de ce fléau qui a commencé à mobiliser d’énormes moyens de par le monde. La génération montante trouvera, à défaut de l’eau et du travail, au moins une réflexion susceptible de l’aider à se frayer un chemin pour un avenir meilleur.
En revanche, ce colloque a été, de l’avis de nombreux observateurs, un grand succès médiatique p our le général major Mohamed Touati et son groupe. Son retentissement a été plus important que la rencontre impromptue de Mohammed Lamari, chef d’état-major de l’ANP, avec la presse le 2 juillet 2002.
« L’Armée a fait irruption dans le domaine politique pour sauvegarder l’Etat national », a affirm le général major Mohamed Touati, lors d’une intervention, très attendue, qui a duré près d’une heure. Il a ajouté lors de cette communication, « L’Armée nationale populaire face au danger d’effondrement de l’Etat national » que « le danger de la talibanisation de l’Algérie est sérieusement éloigné ».
A la fin des travaux du colloque, le général a animé une conférence de presse qui n’était pas programmée : elle n’apparaît pas dans la brochure remise aux participants. Très à l’aise dans sa tenue de civil, il a répondu sans détour de langage, en français et en arabe, à toutes les questions qui lui ont été posées. Il a montré une totale maîtrise des dossiers sensibles relevant même du département des Affaires étrangères, notamment la coopération internationale contre le terrorisme et le conflit israélo-palestinien.
Autre élément important caractérisant sa vision post-septembre qui a échappé à la presse, c’est que le général major Touati soutient vertement la professionnalisation et la modernisation de l’armée. Dans cette perspective, il joue un grand rôle dans la promotion de la coopération militaire avec les Américains. Lors de leur dernière visite, il semble que le général Joseph W. Ralton, commandant en chef des forces alliées en Europe et commandant des Forces américaines en Europe, a trouvé en lui un homme décidé d’aller de l’avant dans cette entreprise de modernisation. Ce réajustement est perçu comme un préalable pour l’incorporation des unités algériennes dans le nouveau système sécuritaire régional. Les forces algériennes sont appelées à jouer un rôle important dans la résolution des conflits de basses intensités dans le bassin méditerranéen.
Le général major Mohamed Touati a dit beaucoup de choses lors de ses interventions. Il a même affirmé que l’Armée n’aura pas de candidats aux prochaines élections présidentielles. Mais il n’a pas dit que l’homme providentiel, cette personnalité du consensus national, n’existait pas au sein de l’armée.
Le conseiller du Président de la République, Mohamed Touati, a tenté en effet de montrer à l’opinion nationale, et ses alliés potentiels, internes et externes, qu’il a une stature d’un vrai chef d’Etat. Il est capable de faire sortir le pays de la crise et de le mener à la transition démocratique. « Il faut me faire confiance pour terminer la tâche », ainsi semble être le message qu’il a essayé de faire véhiculer dans ses interventions médiatiques.
Rachid Tlemçani