Drame à Serkadji

UN INCENDIE ET UNE MUTINERIE FONT 19 MORTS ET 6 BLESSES

Drame à Serkadji

Par Ali Benyahia, El Watan, 2 mai 2002

Un incendie a eu lieu dans la nuit de mardi, aux environs de 22 h, dans la salle de détention n°10 de la prison Serkadji à Alger. Le bilan annoncé hier par le ministre de la Justice a fait part de 19 morts et 6 blessés. Le directeur de la prison, M. Fenni, affirme que les victimes sont tous des détenus de la salle n°10 et de droit commun, âgés entre 19 et 24 ans.

L’incendie, selon la version officielle, aurait eu pour origine la tentative de suicide d’un prisonnier âgé de 19 ans, suite à une rixe l’ayant opposé à quelques gardiens. Selon Ahmed Ouyahia, ministre de la Justice, qui improvisa un point de presse à la prison Serkadji, le jeune, âgé de 19 ans, aurait tenté de se suicider en se tranchant la gorge avec les débris de verre d’un néon. L’incendie, selon certaines sources, aurait été déclenché juste après l’évacuation de la victime par d’autres détenus vraisemblablement révoltés par le comportement de ces gardiens. Quelques dizaines de minutes plus tard, la Protection civile est intervenue. En vain. Treize détenus avaient déjà péri sur place. Un agent de surveillance de cette prison citait la responsabilité du chef de garde cette nuit-là qui était le seul à disposer «de la seule clé de sécurité». Et d’ajouter : «A ce moment-là, il était occupé à regarder le match.» Notre interlocuteur affirmera aussi que les dix bouches d’incendie existantes n’ont pas été utilisées. Ouyahia a affirmé par ailleurs que l’on a enregistré deux morts et deux blessé graves non identifiés. Hier, le ministre était encore à la prison Serkadji pour, a-t-il dit, écouter les doléances des détenus. Hier matin, dès que l’information s’est répandue, une foule de plus en plus nombreuse a commencé à affluer vers ce centre de détention. Des parents de détenus sont venus s’enquérir de l’état de santé de leurs proches. Le directeur de Serkadji, rencontré la matinée, s’est refusé à toute déclaration. S’interdisant toute information supplémentaire sur les circonstances de l’incendie, il se contentera de donner le nombre de victimes. Aux environs de midi, la révolte gagne les détenus de la prison. Une tentative de mutinerie s’en est suivie. Juchés sur les toits, torses nus, visiblement enragés, ils ont lancé des insultes à l’adresse des services de sécurité brandissant la menace de suicide. Alors qu’ils ont commencé à lancer des pierres sur les agents de sécurité, l’un d’eux a réussi à s’isoler pour tenter de se suicider. Saisissant un débris de verre, il s’est entaillé le ventre. Il a tout de suite été conduit à l’hôpital. Le calme n’est revenu que vers 14 h. Mais comment, s’interrogent beaucoup d’observateurs, les prisonniers ont-ils pu sortir de leurs cellules pour gagner les toits de la prison ? Deux versions s’affrontent pour décrire la genèse. L’une affirme que les détenus auraient profité d’un moment d’inattention des gardiens pour réussir à atteindre les terrasses. La seconde, par contre, rapporte que la sortie des détenus sur la terrasse aurait été facilitée par les gardiens qui ont dû relâcher leur vigilance en signe de protestation suite aux sanctions prononcées à l’encontre des agents de surveillance qui étaient de garde au moment de l’incendie. «Ces derniers, en effet, selon la même source, devaient être sanctionnés.» Une enquête judiciaire a été ouverte par le parquet général d’Alger pour déterminer les causes et les circonstances de l’incendie.

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Une prison inhumaine

Par Fayçal Metaoui

Pourtant, cela fait des années que le discours officiel insiste sur «l’amélioration des conditions de vie des prisonniers». Le chef de l’Etat avait, lors de l’ouverture de l’année judiciaire 2000, évoqué la nécessité «d’humaniser les prisons». Il avait, pour la première fois, parlé de la nécessité de séparer les détenus mineurs des adultes.

Ce problème se pose avec acuité dans les centres de détention et a souvent pour conséquence les agressions sexuelles sur les jeunes, des agressions nourries par l’arbitraire du silence et de l’impunité. Ce qui s’est passé à Serkadji mardi soir pourrait bien être lié à cela. La version officielle des faits ne répond pas à la question de savoir pourquoi le jeune détenu de dix-neuf ans a voulu mettre fin à ses jours et pourquoi s’est-il trouvé en dehors de la salle numéro 10. Ouvertement et pour la première fois, les autorités ont reconnu l’usage des stupéfiants dans les prisons puisqu’il a été rapporté par l’APS que le détenu mutin était «probablement drogué». Comment et par quels moyens la drogue est-elle entrée dans les cellules ? Va-t-on comme d’habitude faire passer sous silence la chose ou va-t-on identifier les complicités parmi le personnel de garde ? Le surpeuplement dans les prisons est une réalité reconnue par le ministre de la Justice lui-même. En l’espace de quelques années, du fait notamment de l’abus dans le recours à la détention provisoire, la population carcérale, selon des chiffres officiels, est passée de 29 000 à 42 000 détenus. Cela dépasse d’au moins 8000 les capacités de détention. Jusqu’à une date récente, le nombre de prisonniers en Algérie était classé parmi «les informations secrètes». «On ne peut promettre le règlement du problème de surpopulation dans les prisons», avait déclaré Ahmed Ouyahia, ministre d’Etat, ministre de la Justice, repris par l’APS, au lendemain de l’incendie de la prison de Chelghoum Laïd (wilaya de Mila), au début du mois d’avril dernier, et qui avait fait au moins 25 victimes. Cette affaire, sans que cela fasse scandale, a posé le problème de l’intervention, bien tardive, pour circonscrire le feu et l’utilisation des moyens anti-incendie. Compte tenu du nombre élevé des victimes à Serkadji, il y a des interrogations à poser également sur les raisons du retard enregistré pour sauver les détenus mais aussi sur les instruments d’aération dans les cellules. Hier, Ouyahia a déclaré que des mesures ont été prises, après les tentatives de mutinerie à Mostaganem et Chelghoum Laïd, pour «doter les établissements pénitentiaires en moyens de lutte contre les incendies». C’est là une reconnaissance officielle que ces centres n’en étaient pas dotés jusqu’à une date récente. Est-ce normal ? Autre chose : le ministre de la Justice a publiquement déclaré que le suicide «prend de l’ampleur» dans les prisons. Il n’a — bien entendu — pas expliqué les raisons. En 2002, et pour ne citer que cet exemple, la ration alimentaire du détenu en Algérie est une honte : 50 DA ! La prise en charge sanitaire et psychologique laisse à désirer. Le comportement, parfois brutal et inhumain des gardes n’est jamais dénoncé, rarement réprimé. Les prisons algériennes, dont la plupart ont presque cent ans d’existence, demeurent des tours fermées au contrôle et au suivi du mouvement associatif humanitaire, des médias et des parlementaires. Et Ouyahia l’a si bien dit récemment : «La réforme de la justice est une question de changement des mentalités avant d’être une question de mesures ou de structures.» Au fait, que devient cette réforme annoncée tambour battant ? Le parquet d’Alger a ouvert une enquête sur le drame de Serkadji. Un jour, peut-être, l’opinion nationale saura ce qui s’est réellement passé.