Interview avec Mouloud Hamrouche, ancien chef du gouvernement

MOULOUD HAMROUCHE ET ABDELAZIZ BOUTEFLIKA

«La solution passe par son départ»

1ère partie, Fayçal Metaoui, El Watan, 3 juin 2001

Il est rare que l’ex-chef du gouvernement et ex-candidat à l’élection présidentielle d’avril 1999 se livre à la presse. L’homme est connu pour sa réserve et sa prudence. Dans cet entretien, accordé aussi à El Khabar, Mouloud Hamrouche analyse la situation politique actuelle du pays et revient sur les circonstances du départ de son gouvernement en juin 1991 et sur les émeutes d’octobre 1988.C’est la première fois qu’il le fait d’une manière aussi ouverte.

Ne voyez-vous pas une ressemblance entre les événements de Kabylie d’aujourd’hui et la grève du fis en 1991 ?
Il n’y a pas de ressemblance. Quand j’ai quitté le gouvernement en 1991, l’espoir existait. L’affrontement, qui était dans la rue, était basé sur l’espoir. Aujourd’hui, l’affrontement est nourri par l’absence de l’espoir. Les forces de l’archaïsme et de la régression dominent fortement la société et tracent des perspectives sombres.

Le régime qui était en 1990 est toujours en place. Est-ce qu’on peut dire aujourd’hui que ce régime a complètement échoué ?
Le régime, établi au lendemain de l’indépendance, avec ses forces et ses faiblesses, ses retournements et ses reculs, a, à mon avis, atteint ses limites en octobre 1988. La population, à l’époque, avait mis fin au processus né après l’indépendance.Entre 1988 et 1991, des hommes au sein du pouvoir et en dehors tentaient d’apporter des réponses aux problèmes du pays. Une partie des hommes qui étaient au pouvoir avait proposé des réponses que nous avons essayé de mettre en œuvre.
La caractéristique des réformes était de rendre disponibles un certain nombre d’instruments dans la société pour lui permettre de jouir de ses libertés : la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté d’association, la liberté de manifester. Tous les régimes nés après la décolonisation, et même nés des mouvements de libération, ont atteint leurs limites. Ils sont aujourd’hui en crise totale. Il faut chercher des réponses et des formules dans d’autres modèles.

Justement, ce qui se passe actuellement en Kabylie n’est-il pas l’expression de cet échec ?
Les événements en Kabylie sont l’expression d’une quête de liberté. Il faut dire la vérité aux Algériens : la génération du mouvement national et celle qui est venue après ont échoué. Après l’indépendance, nous avons refusé de restituer la liberté aux Algériens. C’est pourquoi j’ai considéré que le mouvement d’octobre 1988 était un prolongement du mouvement national de 1954. Nous avons le sentiment aujourd’hui que les forces du progrès, qui existaient dans la société, dans le mouvement national, dans le mouvement démocratique et même dans le mouvement islamiste, ont été laminées au profit des forces du conservatisme et de l’archaïsme qui existaient, elles aussi, au sein de ces courants. Ces forces tirent la société vers la régression.

L’arrivée de Bouteflika aux commandes du pays n’est-elle pas venue pour nourrir l’archaïsme que vous évoquez ?
L’arrivée de Bouteflika à la présidence est une conséquence du triomphe de l’archaïsme. A la faveur de la campagne pour la présidentielle de 1999, la société politique était devenue visible et lisible. Les forces de l’archaïsme ont réussi à étouffer cette société au profit d’un consensus opaque. Ni idéologique ni politique, ce consensus devait conserver le statu quo. Bouteflika a renforcé effectivement cet archaïsme. Il a néanmoins le mérite d’exacerber la contradiction entre un régime archaïque et une société ouverte.

Des analyses estiment que les émeutes en Kabylie signifient que le régime est arrivé à sa fin…
Je crois que le système est arrivé à son stade final en octobre 1988. Aujourd’hui, c’est le conservatisme qui a main basse sur tout. Ce qui se passe en Kabylie révèle l’incapacité du régime et de ses hommes à formuler correctement les réponses. La révolte de la Kabylie est devenue cyclique. La réponse du système est toujours la même : la répression.
Dans la gestion des événements de la Kabylie, l’opinion nationale a l’impression que le président de la République est complètement dépassé…
Le problème se pose en termes de refus de donner des réponses positives. Le système rejette toute modernisation. Par conséquent, il refuse d’examiner les vraies questions. Il n’utilise que les méthodes révolues pour rétablir l’ordre et le calme.

Mais est-ce que le départ de Bouteflika peut débloquer la situation politique ?
Je ne crois pas que son départ constitue la solution. Mais toute solution qui va dans le sens de l’histoire passe par son départ.

A supposer que Bouteflika ne soit pas le seul à le faire, qui décide dans ce pays, selon vous ?
Je ne veux pas participer à la mystification. Par le passé, les centres de décision étaient clairs. L’évolution au sein des élites qui dominent les centres fait qu’aujourd’hui on ne sait pas où est réellement le centre qui décide. Il y a multiplication des centres d’influence.

N’y a-t-il pas un blocage politique quelque part ?
Le blocage entre la société et le régime ne date pas d’aujourd’hui. Ce qui est peut-être en plus et qui n’est pas encore évident, c’est l’existence d’une impasse au sein du pouvoir.

Cette impasse au sein du pouvoir peut-elle expliquer ce qui se passe en Kabylie ?
Il y a des articles inspirés par des cercles du pouvoir pour faire accroire que les partis ont échoué. La situation est aussi grave : si les citoyens sont allés dans les structures séculaires, cela veut dire que le pays a échoué, que le régime a échoué et que les structures étatiques sont rejetées. C’est aussi le cas pour les APC, les APW, les daïras, les wilayas, les brigades de gendarmerie. C’est trop simple de dire que les partis ont échoué. L’administration, qui est aux mains des forces de l’archaïsme, ne se contente pas de refuser l’agrément aux nouveaux partis, mais elle voudrait bien faire disparaître les partis.

Justement, à travers cette volonté d’en finir avec le pluralisme, n’y a-t-il pas une tendance dictatoriale chez Bouteflika ?
L’arrivée de Bouteflika est l’aboutissement d’un mouvement des forces archaïques qui ont la mainmise sur le pays. Ce qui est grave, ce n’est pas la tendance à l’autoritarisme, c’est l’absence de projet. Bouteflika n’a aucun projet et le gouvernement n’est pas une coalition, mais un regroupement des forces de la régression

Est-ce que la prédominance de ces forces de l’archaïsme, que vous évoquez, va, à terme, mener le pays vers l’éclatement?
Je ne crois pas que la dominance des forces de l’archaïsme va aboutir à l’éclatement du pays. Il ne faut pas tromper l’opinion publique : l’unité du pays n’a jamais été menacée et ne le sera jamais. A un moment ou un autre, le pouvoir a utilisé le discours sur «la menace extérieure» et les atteintes à la souveraineté nationale dont le but est de dominer la société, garantir sa soumission et renforcer les outils de la répression. Aujourd’hui, les forces de progrès, représentées par les jeunes, s’expriment, malheureusement, par la violence. Les autres forces capables de mener un mouvement de progrès sont complètement isolées et n’ont plus d’influence sur les rouages du pouvoir. Il faut reconnaître que le pouvoir a réussi à isoler ces forces, pour le moment.

Ne pensez-vous pas qu’à un certain niveau du pouvoir, on a intérêt à maintenir le pays dans une situation de violence ?
Il y a quelques années, il était possible que des gens du pouvoir aient intérêt à garder un taux «tolérable» de violence. C’était tenable en tant qu’analyse. Il est faux de dire aujourd’hui qu’on maintient la situation de violence pour continuer à gouverner. Parce que les forces archaïques dominent et qu’elles n’ont plus besoin de la violence pour se cacher du fait qu’elles contrôlent le politique, l’économique, le social et le sécuritaire.

Des hommes politiques disent que le retrait de l’Armée de la sphère de la décision politique pourrait être un début de solution à la crise dans le pays. Partagez-vous cette opinion ?
J’avais affirmé qu’il fallait, à la faveur d’un processus démocratique, faire émerger des forces réelles pour pouvoir permettre à l’Armée de se retirer et laisser de la place à des institutions civiles. A l’époque, rares étaient les hommes politiques qui soutenaient cela. J’ai le regret de dire qu’aujourd’hui, au moment où tout le monde déclare que l’Armée doit se retirer de l’action politique, l’Armée ne doit pas se retirer et créer le vide. Toute solution à appliquer demain passe par l’aide de l’Armée et son soutien. C’est irresponsable de dire que l’Armée peut quitter aujourd’hui la scène politique sans la mise en place des conditions nécessaires à ce retrait, celles d’opérer les transferts vers des institutions réelles et ancrées.

Pour la prochaine élection présidentielle, allez-vous accepter que l’Armée parraine un candidat ?
Il y a de cela deux ans, j’avais alerté l’opinion publique du danger d’une élection fermée et j’avais dit que l’Armée avait le droit de tirer le carton rouge mais qu’elle n’avait pas le droit de choisir les joueurs.

Revendiquez-vous cela pour la prochaine présidentielle ?
Je n’aime pas spéculer. Je préfère utiliser les facteurs objectifs pour analyser et en tirer des lectures.

Sur le plan international, il y a eu dernièrement l’affaire du général à la retraite Khaled Nezzar poursuivi par la justice française après plainte pour tortures. Pourquoi est-on arrivé à cela ?
Je tiens à remarquer que l’opinion publique nationale n’a pas réagi à cet événement.

Le chef de l’Etat entend réviser la Constitution. Pourquoi, selon vous, la révision constitutionnelle devient-elle systématique à chaque fois qu’un président arrive aux commandes du pays ?
Le régime politique établi après l’indépendance a beaucoup emprunté à l’ordre colonial. C’est ce qui explique toutes les Constitutions qui ont consacré la dominance du pouvoir exécutif. Il y a refus de rendre pluriels les centres de décision et d’institutionnaliser les rôles. La crise qu’ont connue récemment les institutions dont le Conseil de la nation en est la preuve. Il y a un refus de traiter avec les institutions en tant que telles. Et il y a une pratique qui assimile les institutions à des personnes.

Et comment pouvez-vous expliquer le retour de Mohamed Cherif Messaâdia ?
Comme on a refusé de changer le système et préféré gérer les conjonctures par l’éviction des personnes et leur remplacement par d’autres, en changeant à chaque fois la vitrine, à partir de là que Mohamed Cherif Messaâdia revienne ou pas, cela ne change rien. On a préféré changer les hommes plutôt que de changer les méthodes. En 1991, mon gouvernement a été forcé de partir parce qu’il a voulu changer les règles de fonctionnement du pouvoir, et celles d’y accéder. Cette volonté de changement était rejetée par tout le monde.

Tout le monde, c’est-à-dire ?
Tout le monde y compris le commandement de l’Armée. Si l’élite et les partis ont exprimé leur rejet, l’Armée ne pouvait pas aller à contresens. Il y avait un consensus réalisé autour du départ de mon gouvernement pour arrêter les réformes politiques et écarter les réformes économiques.

Cela veut-il dire que, quelque part, la grève politique du FIS de mai-juin 1991 était instrumentalisée ?
Cette grève était en grande partie manipulée pour obtenir le départ du gouvernement. Je vous fais remarquer que les manifestants du FIS, qui ont échoué dans leur grève, réclamaient la démission du gouvernement et non le changement du système. Il y a eu une conjonction d’intérêts. Tous les hommes qui faisaient partie de réseaux d’allégeance, au pouvoir ou ailleurs, nouveaux ou anciens, avaient réalisé un accord pour que les choses ne changent pas.

Même au sein du FLN ?
Surtout au FLN. J’avais fait une déclaration en 1994 où je relevais qu’on avait préféré le ruineux au coûteux. Les réformes avaient un coût certes, mais on a préféré ne pas payer ce coût en ruinant le pays. On a toujours été tenté de préserver le système en place à n’importe quel prix. Un régime bâti sur la liberté et porté sur l’arbitrage par les voies démocratiques a prouvé sa capacité d’adaptation et sa capacité à aider la société à évoluer et à se moderniser. Ce type de régime tend à aider y compris les forces rétrogrades à se moderniser. La période d’après 1988 et jusqu’à 1991 a été marquée par la liberté d’expression, le droit de créer des partis et des associations. Pour que ces trois instruments soient remis en cause, il fallait qu’un drame frappe le pays, plus de 200 000 morts, écroulement des institutions, effondrement de l’économie… Aujourd’hui, on veut ôter à la société ces trois instruments de l’exercice des libertés. Le régime démocratique est plus fort que le régime répressif et dictatorial. Le régime qui a géré le pays de 1962 à 1988 s’est effondré au bout de dix jours d’émeutes des jeunes d’Octobre. Cela est la preuve de la fragilité des régimes répressifs.

Le pouvoir a-t-il aidé à la création du FIS dans la mesure où l’ouverture démocratique commençait à le gêner ?
Le FIS a été, d’une certaine manière, la création du régime. Il a été utilisé par la suite pour casser l’ouverture démocratique. Le FIS a été créé au départ pour maîtriser la rue. Le pouvoir a eu recours à des personnes qui deviendront plus tard des responsables du FIS. Le pouvoir n’avait plus de relais dans la société. Après, lorsque nous avons introduit les réformes et commencé à stabiliser la société par des voies démocratiques, le pouvoir a eu recours au FIS pour stopper cet élan. L’échec de l’ouverture démocratique est lié aussi à l’impatience des jeunes citoyens qui voulaient aller vite, au comportement de la bureaucratie politique et à la violence. Ceux qui ont recouru à la violence ont voulu accéder vite au pouvoir en exploitant l’impatience de la population. J’avais tout de même estimé que le mouvement insurrectionnel du FIS (entamé le 25 mai 1991, ndlr) avait échoué et qu’on ne devait pas lui donner de légitimité en recourant à la répression. Je n’ai pas été écouté. D’autres gens pensaient qu’il fallait mater les manifestants du FIS, seul moyen à leurs yeux. Il était clair que l’un de nous devait partir. C’était moi.

Quelle était la position du président Chadli ?
Le président Chadli avait écouté les analyses des uns et des autres. Et après, il a tranché. Contrairement à ce qu’on a pu écrire ou dire, je n’étais pas favorable à l’évacuation des places publiques par la force. Je l’avais dit à l’époque et je l’assume. Si la grève du FIS avait échoué, l’évacuation des places avait échoué aussi.

 

MOULOUD HAMROUCHE ET LE NOUVEAU GOUVERNEMENT

«L’empreinte de Larbi Belkheir»

2eme partie, Fayçal Metaoui, El Watan, 4 juin 2001

L’ex-chef du gouvernement Mouloud Hamrouche avait analysé dans la précédente partie de cette interview la situation en Kabylie et avait attiré l’attention sur le danger de la domination des forces de l’archaïsme sur la société. Dans cette seconde partie, il aborde, entre autres, les questions économiques et évoque le dernier remaniement ministériel.

On revient aux événements d’octobre 1988. Ces événements sont, pour vous, le prolongement du mouvement national de 1954. Le général Nezzar développe dans ses mémoires une autre thèse, celle de la manipulation…
Il n’est pas le seul à dire cela. Tous ceux qui ont témoigné à propos de ces événements ont parlé de manipulation, du complot venu de l’extérieur, de l’œuvre d’une aile du pouvoir qui aurait fomenté ces émeutes, mais ce n’est pas mon opinion. Si tous ces gens avaient admis que les émeutes étaient spontanées et que la population s’était révoltée pour rompre le contrat entre le régime et la société, cela aurait supposé que désormais il n’y a plus de légitimité dans le pays. Dans ce cas, il faut aller vers un processus de renouvellement de cette légitimité du fait que la légitimité historique était rompue. Pour sauvegarder cette fiction, on a dit qu’une aile du pouvoir a fomenté les émeutes d’octobre 1988, dans ce cas la légitimité est intacte. Avancer que le PAGS (Parti de l’avant-garde socialiste, communiste) était derrière les événements était une suggestion aux islamistes pour se mobiliser et pour aider le pouvoir à maîtriser la révolte. Par contre, si on admettait que les émeutes étaient réellement spontanées — et c’était le cas —, cela reviendrait à dire que l’obtention d’un renouvellement de la légitimité s’impose.

Sur le plan économique, le pays connaît actuellement, et à la faveur de la bonne conjoncture pétrolière, de fortes entrées d’argent. Cela, visiblement, n’a aucune incidence sur le démarrage des réformes économiques. A quoi est dû ce blocage ?
Le problème économique en Algérie ne se limite pas à la liquidité monétaire. Il se situe au niveau de la structuration de l’économie. Ce n’est pas uniquement un problème d’organisation. J’avais dit déjà en 1991 qu’il fallait tout revoir. Dix ans après, on en est toujours au même niveau. Il y a un discours officiel de convenance destiné à l’extérieur rassurant sur l’engagement de réformes économiques et sur l’introduction d’instruments modernes de gestion. Sur le plan interne, rien n’est encore tranché dans la tête des hommes du pouvoir. Ils ne savent pas encore s’ils doivent privatiser ou pas et s’ils doivent continuer à soutenir une économie publique ou pas. Il y a comme une fuite en avant. Alors qu’il faut regarder les choses en profondeur et essayer d’y apporter des réponses. Et il y a plusieurs solutions et formules : privatiser, renforcer le secteur public… Quelles que soient les options à appliquer, il faut toujours encourager les opérateurs, tant du secteur public que privé, à prendre des initiatives. Il faut ouvrir l’économie à la compétence et à la concurrence.

La loi sur la monnaie et le crédit a été l’œuvre de votre gouvernement en 1990. Aujourd’hui, elle est remise en cause par le président Bouteflika. Faut-il alors parler d’un pas en arrière ?
Ce n’est pas un retour en arrière, c’est un échec ! Le régime et ses hommes ont été incapables de disposer d’autres instruments de gouvernance que la gestion directe de l’argent. Le gouvernement chez nous ne sait pas gérer le pays sans argent, il ne possède pas d’autres instruments de régulation. C’est grave. La rente est devenue le mot-clef dans toute activité gouvernementale. Il faut donner de l’argent pour pouvoir réaliser les adhésions et les allégeances. L’opinion publique doit s’interroger comment un gouvernement, dans les autres pays, gère sans disposer de l’argent et sans aller le chercher dans la poche des citoyens. La révision de la loi sur la monnaie et le crédit, onze ans après sa promulgation, enlève au gouverneur de la Banque d’Algérie (BA) toute protection en tant que responsable. Il est aujourd’hui plus vulnérable qu’on le croit. Je ne sais pas si le gouvernement est conscient de cela. Le gouverneur de la BA, contrairement à un simple agent de l’administration, ne dispose d’aucun moyen de recours. Il peut être nommé aujourd’hui et limogé le lendemain, sans autre forme de procès.

Dans un récent discours, Bouteflika a suggéré que des forces occultes veulent saboter son «plan de relance économique» à travers les événements de Kabylie.
Le décalage entre le discours et l’acte est tel que l’opinion publique n’a pas besoin de faire une analyse savante pour relever ce lien. On se rappelle que Bouteflika a présenté un premier programme lors de l’annonce de sa candidature à l’hôtel El Aurassi (février 1999, ndlr). Un deuxième programme a été déposé, avec la candidature à la présidentielle, au niveau du Conseil constitutionnel. Un troisième programme a été présenté à la faveur de la formation du gouvernement Benbitour, et il a été officiellement annoncé que le programme du gouvernement était celui du président. Un quatrième programme est venu avec le gouvernement Benflis. Et aujourd’hui, on annonce un programme de relance économique. Je ne vois pas où se situe le rapport entre ce dernier programme et ce qui se passe en Kabylie. Au moment où le président annonçait ce plan devant les cadres (le 26 avril 2001, ndlr), les événements étaient déjà âgés de plusieurs jours.

Ne pensez-vous pas que les forces qui s’étaient opposées aux réformes économiques que vous vouliez engager en 1991 sont les mêmes qui tentent de bloquer les réformes que Bouteflika entend lancer ?
Je ne crois pas qu’on peut poser le problème en ces termes. Des gens étaient contre les réformes en 1991, ils ne sont plus au pouvoir aujourd’hui. D’autres étaient contre aussi et ils sont toujours au pouvoir, sauf que cette fois-ci ils ne peuvent plus s’y opposer. La situation a complètement changé. On sous-estime les nouvelles forces archaïques qui ont émergé pendant les années de crise. Quand on défend l’ordre établi et le statu quo, on ne s’accommode guère des forces dynamiques du progrès.

Est-ce que la constituante est une solution pour doter le pays d’une loi fondamentale cohérente ?
C’est une hypothèse vérifiable plus tard. Cela peut être la solution dans la mesure où toute l’élite du pays se réunira autour d’une table pour discuter des règles de fonctionnement du pouvoir et des moyens d’y accéder. Discuter du type de pouvoir à exercer à travers les institutions et de la durée de cet exercice, cela serait une avancée extraordinaire pour l’Algérie.

Le gouvernement vient de réviser le Code pénal en introduisant des dispositions répressives contre la presse, les hommes politiques, les imams… sous prétexte de codifier la diffamation et l’offense.
Certains disent que des dispositions similaires à celles du Code pénal algérien existent en France et en Grande-Bretagne. Cela est vrai. Mais l’on a tendance à ignorer que dans ces sociétés les droits de l’homme, la liberté, le pluralisme, les contre-pouvoirs, la justice indépendante existent et y sont respectés. L’opinion publique y est alerte. Les services de sécurité et l’administration y agissent dans le cadre de la loi. Alors donnez-nous cette liberté, donnez-nous les contre-pouvoirs et les institutions responsables, donnez-vous la justice indépendante, et nous sommes prêts à accepter un Code pénal plus sévère. Il est clair que les forces de la régression ont besoin de ce type de loi. L’arrière-pensée n’est pas seulement la liberté d’expression politique. La presse est particulièrement ciblée. Cela est lié aux problèmes économiques.
On ne veut plus que la presse révèle des affaires de corruption et de prédation des deniers publics et d’abus de biens sociaux. Ces derniers mois, la presse a publié des reportages édifiants qui confirment la régression générale. Certains ont profité de la violence pour dominer la société.

Le président Bouteflika vient de procéder à un autre remaniement ministériel. Il en est à son quatrième gouvernement en deux ans. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
Je constate que le dernier remaniement ministériel comporte une empreinte forte de Larbi Belkheir (directeur de cabinet du président Bouteflika, ndlr).

Comment ?
Tous les hommes proches de lui ont pris des postes-clefs.

Par F. M.

 

 

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