Un haut responsable explique
Nouvel éclairage du pouvoir
Un haut responsable explique
Le Quotidien d’Oran, 8 septembre 2001
Les derniers attentats à la bombe, notamment dans lAlgérois, laissent présager du pire. En haut lieu, les inquiétudes sont pareilles à celles de la rue ou presque. Des voix officielles appellent en tout cas à la vigilance. Appels que la télévision nationale a repris, il y a à peine quelques jours, quand Alger a tremblé sous les échos dune déflagration. En haut lieu, on ne sempêche pas cependant de préciser que « les tentatives dactions terroristes dans les villes nont jamais cessé ». Lon fait remarquer que même si la fréquence de ces tentatives est devenue moins importante par rapport aux années précédentes ou quelles nont pas eu deffet, cest tout simplement parce que « les services de sécurité ont été plus chanceux ». Aussi, sont-ils devenus moins vigilants « au même titre que les citoyens ». Le terrorisme nest pas une affaire de temps, semble-t-on nous dire. « Moins les terroristes sont nombreux, plus leur force de frappe est importante ». La lutte antiterroriste devient ainsi de moins en moins efficace y compris quand elle se transforme en opérations de ratissage. « On estime ceux qui continuent dactiver entre 600 à 800 terroristes, dont une grande partie se trouve dans des zones reculées et forestières comme lOuarsenis, Chlef, Tiaret, Tissemsilt, la Kabylie, Batna… ». On pense cependant quil y a très peu de recrutements au sein des groupes. « Ceux constitués depuis les années 90 sont épuisés et traînent des maladies, mais il ne faut pas sous-estimer leurs capacités de nuisance ». Et pour être plus précis, « on vivra longtemps avec le terrorisme ». Les cas de lEspagne, de la Corse, de lAngleterre et même des Etats-Unis sont cités sans hésitation pour accréditer une telle thèse. La lutte antiterroriste ne risque pas donc de connaître de nouvelles formules puisque « face à léparpillement de quelques groupes qui continuent à faire dans la violence, elle devient de plus en plus dure à mener ».
Lappel à la vigilance redevient de fait incessant. Des cercles officiels nhésitent pas, par ailleurs, à affirmer que la gestion des évènements de Kabylie a exigé un redéploiement des services de sécurité. « Ce qui sest incontestablement répercuté sur le reste ». Le reste, ce sont en évidence les autres régions, y compris la capitale, qui ont vu leurs effectifs « sécuritaires » se rétrécir au fur et à mesure que ces évènements sintensifiaient.
Mais lélément incontournable et tout aussi incontestable et que la réflexion en haut lieu retient est la donne intégriste pure et dure. « Il est clair que les éléments intégristes veulent se manifester dans ces moments préélectoraux pour saboter les échéances qui sont retenues pour lannée prochaine ». Lon annonce à ce titre la tenue des élections législatives pour la fin du premier semestre 2002 et celles locales pour la fin du second semestre de la même année. Dans ce cas précis, on nhésite pas à lier la campagne menée contre linstitution militaire à la recrudescence du terrorisme. « Ils savent très bien que ce nest pas larmée qui a tué à Bentalha et que la population na jamais cru à ce qui se dit sur ces massacres ». A ceux qui brandissent le spectre de la mafia politico-financière pour justifier la montée des actes de violence, lon affirme quil y a « bien sûr des personnes qui applaudissent. Et de rappeler, à cet effet, que « le gouvernement a touché à pas mal dintérêts notamment financiers ». A noter, selon nos interlocuteurs, que « la réforme de la justice est une action de fond et ne peut donc être assimilée à une simple vue de lesprit ». Il est clair « quun appareil de justice obsolète aide mieux à préserver les intérêts. « Personne du milieu de la mafia politico-financière nadmettra sans réagir une refonte de la justice ». A ce titre, tous les chantiers de réformes qui ont déjà été lancés sont redoutables pour les fortunes mal acquises. La réforme de ladministration publique effraie beaucoup de monde. « Cette réforme passera inévitablement par linstauration de la transparence dans les contrats publics et nous amène à imposer la participation du citoyen dans la gestion des affaires locales et publiques ». Les nouvelles réformes tendant à la libéralisation de léconomie nationale laissent admettre lexistence de gros enjeux nationaux et même internationaux. « Cest peut-être là où prend essence la thèse du complot… ». La transparence dans tout acte économique « signifie quil y a forcément un manque à gagner ». La moralisation de la vie publique impose « des pratiques démocratiques qui doivent être absolument vérifiables dans la gestion du quotidien ». Le pouvoir occulte ou la mafia politico-financière, cest selon, « continuera en évidence à faire barrage à toute mutation de progrès et de modernité ». A la veille délections aussi importantes, des responsables dimportantes institutions nexcluent pas que « ceux qui doutent de leur capacité à mobiliser des voix font tout pour préserver une administration complaisante ». On note, au passage, « quon ne peut pas se dire démocrates et refuser la transparence ».
Mais le pouvoir en place, lui, semble faire le dos rond au passage de beaucoup de bourrasques… Et de profiter pour rappeler le subit ajournement de la réforme du système éducatif. « La réforme nest pas du tout ajournée, mais il est évident que sa mise en oeuvre exige des moyens importants, à commencer par la formation de plus de 600.000 enseignants et cadres pour plus de 7 millions denfants scolarisés ». Mais au-delà du souci des responsables à trouver les financements nécessaires pour lexécution du programme retenu dans ce sens, il y a « la préoccupation à mobiliser un consensus autour du fond de cette réforme ». Cest donc un recul politique du pouvoir que de lajourner. « Non, il nest pas question de revenir sur les principes ». En tout cas, lajournement de la réforme de léducation a été annoncé officiellement sans avoir été démenti. « Nous reconnaissons être défaillants et avoir un déficit en communication ». Il est aussi souligné que « tout le monde na pas trouvé un style de communication qui puisse répondre à lévolution de la situation dans notre pays ».
Il est précisé que le ministère de lIntérieur a réuni les représentants administratifs et élus des institutions locales et wilayales pour discuter du projet de code communal. « Une synthèse a été déposée auprès de ce ministère en attendant que ses responsables réunissent les partis politiques dans les prochaines semaines ». Lobjectif est de déposer ce texte auprès de lAPN pour être discuté dans la session en cours. Pour ses initiateurs, « il ne sagit pas de toiser les attributions des APC ou des APW, mais de les adapter au multipartisme pour assurer la pérennité aux actions de gestion locale ».
Cest probablement le cas de linstitution militaire pour ne pas avoir répondu aux attaques qui lui sont assenées. « Mais peut-être aussi quelle na pas trouvé lopportunité pour le faire ou quelle juge quil nest pas nécessaire de le faire ». Chose certaine chez les plus hautes instances de lEtat, le général à la retraite Khaled Nezzar na été mandaté par personne pour parler au nom de larmée. « Il intervient probablement parce quil se sent touché directement du fait quil ait fait partie de linstitution et quil ait été aux commandes du pays lorsque larrêt du processus électoral a été décidé ». En tout cas, « si personne ne lui a demandé de défendre linstitution militaire, personne ne lui interdira de parler non plus ». Le retrait de larmée du politique revient à loccasion de cette discussion avec de hauts responsables. « Ce retrait est tout un programme, mais cest aussi une conjoncture où il est difficile de le faire ».
La discussion débouche inévitablement sur le dialogue avec les ârouch. « Il y a beaucoup dinitiatives personnelles ». Quant à linitiative du pouvoir, « elle a consisté depuis quelques mois à appeler justement au dialogue ». Mais lenvoi démissaires est souvent signalé dans la presse nationale, alors que le pouvoir se refuse à toute précision. « Parce quil ny a eu aucun émissaire du pouvoir ». Nous apprenons, au passage, que le ministère de lIntérieur a reçu un grand nombre de notables ou de personnalités connues, qui se sont proposés dêtre des intermédiaires entre le pouvoir et les ârouch. « Aucune proposition de ce genre na été rejetée, cest peut-être pour ça quon croit que ce sont des émissaires du pouvoir ». Les responsables en haut lieu ne semblent pas retenir cette option. « Encore faut-il que les ârouch manifestent une bonne volonté. A ce jour, ils refusent tout ce qui vient du « pouvoir », comment voulez-vous quon puisse dialoguer avec eux ? ». Il est retenu sans ambages que « nous pouvons comprendre ainsi que les ârouch ne veulent pas de solution à cette crise. Ils pensent peut-être que pour détruire ce système, il faut entretenir le pourrissement, cest dailleurs ce qui ressort dans la plate-forme dEl-Kseur ». Pour les représentants du pouvoir, « il ny a aucun complexe sur le fond dans le traitement constitutionnel et technique de la question tamazighte, ils auraient dû donc applaudir ! ». Mais « relever la gendarmerie nationale des régions kabyles, cest vraiment de lutopie ! ». Pour ce qui est des revendications socio-économiques, « ce sont des revendications de tout le pays pour lesquelles il est prévu un programme de relance jamais connu auparavant ». Entretenir le pourrissement ne peut, aux yeux des responsables, nuire au gouvernement « qui a des capacités de durer tout autant que le système en place ». Mais « celui qui en pâtit, cest la population. Béjaïa a perdu toute son année estivale, le service public nest plus assuré dans les régions kabyles, ce qui a permis laugmentation des vols et dautres délits, sans compter que le citoyen vit sous la menace si lon prend en compte les appels de familles kabyles que nous recevons et qui nous disent quelles sont souvent rackettées… ». Pour le pouvoir, qui rappelle par la voix de ses plus hauts responsables quil a déjà appelé au dialogue, il sagit de gérer au mieux les mouvements de contestations pour quil n y ait pas dusage de la violence. « Les partis politiques doivent absolument se déterminer pour trouver une solution à la crise ». Un appel du ministre de lIntérieur, nous dit-on, « a été lancé à lélite de la région à se mobiliser ainsi quà toutes les personnes qui ont une respectabilité, mais on remarque quil ny a pas une volonté de présenter un programme mais de perturber ». Le dernier mot sur les ârouch dénote un peu de la suite que pense donner le pouvoir à leurs revendications. « Encore faut-il quils se légitimisent ! ».
Evoquant les actes de violence qui ont gravement marqué la marche du 14 juin passé, il est affirmé que « faute de moyens financiers », les pouvoirs publics nont pas pensé à dédommager les victimes. « On ne sait pas trop encore, mais il est probable quon réfléchisse sur la mise en place de crédits ou de formules de financements pour dédommager les pertes matérielles ». Il est rappelé, au passage, que ces actes ont causé près de 100 milliards de centimes de pertes, « selon une évaluation grossière des dégâts ».
Ghania Oukazi