PROCES SERKADJI
ARAB COMMISSION FOR HUMAN RIGHTS COMMISSION ARABE DES DROITS HUMAINS
DEFENDING UNIVERSAL VALUES IN THE ARAB WORLD
PROCES SERKADJI (Janvier 1998)
Du carnage de la prison a la parodie de justice
MAI 1998
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PROCES SERKADJI (Janvier 1998)
Du carnage de la prison a la parodie de justice
« L’Etat n’a pas besoin de temoins » A.SAYAH Procureur general
Il y a un peu plus de trois ans que le massacre de la prison de Serkadji a Alger ait eu lieu faisant plus de 93 prisonniers tues par ³la repression d’une mutinerie². Pourquoi la Commission Arabe des Droits Humains(ACHR) evoque-t-elle aujourd’hui l’Affaire Serkadji? Qu’allons-nous dire sur le sujet apres le rapport tres officiel de l’Observatoire National des Droits de l’Homme(ONDH)(1), le Rapport preliminaire du Syndicat National des Avocats Algeriens, du Comite des Avocats et de la LADDH(2) et du rapport d’Amnesty International(3)? La question de Serkadji nous interesse parce qu¹elle montre du doigt la faiblesse et la defaillance du choix securitaire. Elle nous apprend que devant cette tragedie du reel l’Etat de droit est la seule reponse valable a la violence d’ou qu¹elle vient et quelqu¹en soient les circonstances. Et elle nous montre que l’independance, la competence et la fiabilite de la justice sont capables de repondre aux questions posees par tout Algerien sur qui tue qui et comment neutraliser les assassins? Il reste qu¹on ne peut evoquer la question de l’impunite avec un systeme juridique dependant et qu¹on ne peut, non plus, reclamer des enquetes judiciaires sur les massacres et les assassinats en l’absence d’un pouvoir juridique credible et libre. Le massacre de Serkadji va a l¹encontre des idees recues et des prises de positions simplistes, et nous interroge sur des realites simples voire des banalites de base. Selon les donnees officielles: il s’agit d’une tentative d’evasion qui se transforme en mutinerie. Ce sont les mutins qui commencent les hostilites en assassinant quatre gardiens. Alors que la cellule de crise de la prison a accepte de recevoir Abdelhak Layada et Abdelkader Hachani en qualite de mediateurs des mutins, et les autorites ont assure l’aide medicale necessaire aux blesses.
Avec cette version de l’histoire, le proces de Serkadjim du 4 au 14 janvier 1998 devrait etre une grande victoire mediatique et juridique pour les forces de l’ordre qui ont fait de leur mieux pour maitriser la situation et limiter les degats dans une affaire a grand risque pour la population et meme pour les prisonniers pris en otage par la folie de quelques criminels. Mais il n’en est rien et ce, contrairement aux dispositions de la loi algerienne sur le temoignage et notamment l’ordonnance 95/10 qui stipule: » Le President a la police de l’audience et la direction des debats. Il est investi d’un pouvoir absolu pour assurer le bon deroulement de l’audience, imposer le respect du tribunal et prendre toutes mesures qu’il estime utiles a la manifestation de la verite. Il peut notamment, ordonner la comparution de temoins, au besoin par la force publique. Les temoins appeles en vertu du pouvoir discretionnaire du President ne pretent pas serment. Ils sont entendus a titre de simples renseignements ».(4) Le tribunal a refuse la demande de la defense d’entendre le temoignage tres important de personnes directement concernees par cette affaire telles que les deux mediateurs: LAYADA Abdelhak et HACHANI Abdelkader (qui se trouvait dans la salle d’audience), le rapporteur de la Commission d’enquete sur les evenements de Serkadji M. REZZAG BARA Kamel, ainsi que l’ancien procureur general SAYAH Abdelkader. Il refuse egalement toute confrontation directe entre les temoins et les inculpes comme cela est consacre dans les articles 121 et 122 du Code Penal. Il rejette aussi la demande des avocats de convoquer le juge d’instruction – « encagoule » durant l¹interrogatoire-apres les revelations de certains accuses contestant les proces verbaux signes sous la menace(5). Les temoins etaient unanimes a declarer qu’il est pratiquement impossible de voir le quartier des condamnes a mort a partir du pavillon des detenus de droit commun. Ce qui remet en question la fiabilite des proces verbaux de confrontation, sur la base desquels etait etabli l’arret de renvoi de la chambre d’accusation. Proces qui passent sous silence les revelations de certains accuses selon lesquelles Mohamed Lamine SIMOZRAG (fils du celebre avocat du FIS dissout) « a ete tue par un gardien a l’aide d’une boule de fer », et que les forces de l’ordre ont acheve plusieurs blesses. Le directeur adjoint de la prison confirme lui le transfert d¹un nombre de condamnes a mort vers Serkadji entre janvier et fevrier1995, c¹est a dire juste avant les evenements. Malgre cela, ³la verite reste enfouie², et ce apres 10 jours de proces, une duree importante en Algerie pour les affaires liees au terrorisme.
Redecouvrir les evenements
Le systeme penitentiaire algerien est compose de 116 etablissements pour une capacite d’accueil de 23000 places. Il regroupait en 1997 environ 36 000 detenus, dont environ 18 000 pour des raisons politiques (affaires liees au terrorisme). Il s’agit, theoriquement, d’etablissements civils places sous la tutelle du ministere de la Justice. Reglemente par le code de la reforme penitentiaire et de la reeducation, promulgue par une ordonnance du fevrier 1972, le systeme penitentiaire est classe en plusieurs categories selon la population destinee a y etre incarceree. Selon cette classification, quatre etablissements peuvent accueillir les condamnes a mort, il s’agit de: Tizi Ouzou, al-Asnam, Tazoult et Berrouaghia. Or l’Observatoire National des Droits de l’Homme (ONDH) -Organisme officiel- preconise qu’ au moment des faits la prison de Serkadji comptait 48 detenus condamnes a mort et 40 autres condamnes a perpetuite (26 condamnes a mort et 17 a la perpetuite sont morts lors de l’assaut). Au moment des evenements, la prison de Serkadji, construite depuis l¹epoque des Ottomanes, accueillait 1537 prevenus et condamnes dont 917 inculpes dans le cadre de la « loi reprimant la subversion et le terrorisme ». Les autres prisonniers, environ 620, sont des detenus de droit commun. Aucun contact n¹est possible entre les deux categories de prisonniers. Des anciens prisonniers evoquent dans leurs temoignages les conditions de survie dans cet etablissement qui reflete la realite des prisons algeriennes: surpeuplement, locaux vetustes, mauvaise alimentation et defectuosites du systeme sanitaire. Le regime de detention applique aux prisonniers politiques est plus severe que celui reserve aux detenus de droit commun. Les politiques sont parques par groupes de neuf personnes, alors que les cellules ont ete concues pour accueillir trois personnes. Les intimidations, vexations, insultes et bastonnades sont monnaie courante sous l’oeil complice du directeur et de son adjoint qui assistent souvent aux expeditions punitives. Les postes de radio, les livres et les journaux sont interdits. Le gouvernement algerien a refuse toutes les demandes d’une mission d’enquete internationale, voire algerienne independante, sur l’affaire Serkadji. Avant le carnage de Serkadji et a plusieurs reprises, les avocats des prisonniers ont demande une enquete sur l’attitude inhumaine de la direction de prison. Dans un droit de reponse a l’hebdomadaire El Alam Essiyassi, Me Bachir MECHERI signale qu’une « plainte a ete deposee contre le directeur, son adjoint et l’un des gardiens par le collectif de defense, non seulement en raison du traitement inhumain fait d’insultes et de vexations touchant la dignite de leur mandant ( Ykhlef Cherrati), mais surtout en raison du fait que le directeur a outrepasse toutes les lois de la Republique, et en particulier la reglementation penitentiaire(…). Le directeur de la prison de Serkadji pratique le terrorisme a l’interieur de l’etablissement(…). Le collectif de la defense met au defi le directeur et son adjoint d’accepter la mise en place d’une commission d’enquete, constituee de magistrats, d’avocats et de fonctionnaires du ministere de la Justice, sur les agissements et les depassements graves qui touchent a la dignite des magistrats et a l’honneur de la justice » (3 au 10 Sep. 1994).
LA VERSION OFFICIELLE Commencant par le temoignage du directeur de la prison de Serkadji devant le juge d’instruction. Il dit : ³Selon les renseignements recus de la part de Monsieur le procureur general d¹Alger en mi-fevrier 1995, des sources sures parlent d’une revolte, d¹un complot en quelque sorte, que l’etablissement sera amene a connaitre. J’ai recu l’ordre de renforcer la garde, de me preoccuper des questions de securite et d¹interdir la sortie a tous les fonctionnaires et gardiens. J’ai renforce la garde et demande a mon adjoint M. Djoum’a Muhammed, a deux officiers Blash Hamid et Noui Abdelrahman et a trois gardiens Mahdi Ben Salem, Aourabih Ismail et Bara Nasser, de se tenir dans une piece pres de mon bureau prets a intervenir en cas d¹urgence en portant sur eux leurs armes et en ayant suffisamment de munitions. Le jour de l’evenement, j’ai ete vers quatre heures et quart en train de prendre le repas de s¹hour de Ramadan, avec le groupe de renfort a cote et pres d¹eux, dans une troisieme piece independante, il y avait un groupe de la gendarmerie nationale de 7 membres pour nous aider. Le chef de garde Hamrawi Habib vient m’informer qu’un prisonnier porte un pistolet. Surpris, je me suis retourne vers le groupe du directeur adjoint et je l’ai trouve dans un etat de mobilisation generale. J’ai pris contact avec le chef de la gendarmerie de l’etablissement qui a appele sur un numero special sa direction se trouvant juste a cote de la prison. En quelques instants les forces de l’ordre sont arrivees. Notre systeme de controle est base sur cinq elements armes postes sur les tours (quatre avec armes et munitions et le cinquieme avec explosifs). Chacun est soutenu par deux ou trois personnes de la gendarmerie nationale. Quatre elements restent a l’interieur de l’etablissement. Vers une heure du matin, le chef de poste controle les portes interieures en compagnie du responsable de garde. L¹alternance s’effectue vers quatre heures du matin ou les gardiens installes sur les tours viennent prendre la place des gardiens postes a l¹interieur pour que ceux-ci les remplacent. Ce qui explique pourquoi cette nuit la le chef de poste envoie un gardien de l¹interieur pour remplacer un autre de l¹exterieur. Ne le voyant pas venir, il envoie un deuxieme pour s¹enquerir sur les raisons du retard. Lorsque le second ne revient pas a son tour, le chef de poste s¹y rend lui meme et se trouve nez a nez avec un prisonnier qui pointe son revolver sur la tete d¹un gardien et qui lui demande d¹apres ce qu¹il m¹a dit de ne pas bouger. Mais celui-ci en rampant retourne sur ses pas fermant rapidement la porte derriere lui et revient m’informer de la situation. Avant l’attaque, l’etablissement etait fortement encercle par les forces de l’ordre, la gendarmerie nationale et l’armee nationale populaire, et la prison fermee. En l’espace d’une heure sont arrives le procureur general, le directeur des etablissements penitentiaires, la direction de la gendarmerie nationale, des responsables de l’armee et de la police ainsi que le ministre de la Justice et un conseiller du Chef de l’Etat. Une cellule de crise fut constituee et a commence a contacter les prisonniers. Je crois qu’ils ont contacte AbdelHaq Layada et AbdelKader Hachani qui etaient recu dans un bureau. Lorsque le procureur general demande la liberation des gardiens, Hachani l¹informe de leur mort. Les mutins ont reussi a avoir des bars de fer servant a casser les portes et detruire ce qui leur tombait sous la main et ce jusqu’a l’intervention des forces de l’ordre, de l’armee et de la gendarmerie nationale. La cellule de crise a donne des ordres pour qu’il n’y ait pas d’evasion et pour epargner le reste des prisonniers surtout de droit commun… » Notes : A propos des clefs de la prison. Toutes les cles sont confiees par les gardiens au chef de garde qui les examine et verifie puis les depose entre 6h. et 6.30 dans un sac conserve a la direction de l’etablissement. Les cles des celules reservees aux condamnes a mort sont directement remises par leur gardien a la direction a six heure du soir. Nous avons verifie toutes ces cles le 21/2/1995 en presence des responsables administratifs et des membres de la cellule de crise.²(6)
L’ONDH a pris l’initiative, le 27 fevrier 1995, de proposer la creation d’une « Commission nationale non gouvernementale d’enquete ». La Ligue Algerien des Droits de l’Homme(LADH), la Ligue Algerienne de Defense des Droits de l’Homme(LADDH) et l¹Union Nationale des Barreaux ont refuse de participer a cette Commission considerant l’ONDH comme organe officiel; ce qui compromet la neutralite de la commission. Ce qui n¹empeche pas l’ONDH de constituer une Commission avec l¹aide de l’Union Medicale algerienne et le Conseil Superieur de la Magistrature. Contrairement au temoignage du directeur, le rapport de l’ONDH designe des responsables: Mebarki Hamid, presente comme agent complice ayant pu introduire les armes et les munitions utilisees par les condamnes a mort Bouakkaz Mourad et El Oued Mohamed designes comme les maitres d’oeuvre de la tentative. Dans le rapport de l’ONDH, il y a une volonte deliberee de semer le doute sur la cellule de crise composee par les prisonniers et appelee dans le rapport ³medjliss choura². Il implique directement l’un de ses membres (Mohamed El Oued) dans la tentative d¹evasion et apporte au conditionnel des donnees troublantes sur un autre : l’annonce par Ykhlef Cherrati, considere comme « guide spirituel », d’une fatwa assimilant l’operation a un acte de « djihad »..et ³incitant a l’assassinat des otages avec le fondement legal justifiant l¹execution des otages². Selon ce rapport, la serrure de surete n’etait pas fermee sur toutes les portes des cellules des condamnes a mort, l’autre serrure a ete ouverte a l’aide de cle, les serrures n’ayant pas ete brisees. Apres l’echec de la tentative d’evasion, un groupe de mutins, ayant a sa tete Bouakkaz Mourad et El Oued Mohamed, a ouvert les cellules des autres condamnes a mort et de certains detenus en brisant leurs serrures.
Il reste, neanmoins, des points obscures dans la version officielle : – Le rapport commence par decrire l’echec de la tentative d’evasion et passe sous silence la disparition de Bouakkaz Mourad, presente comme l’un des maitres d’oeuvre de la tentative. Son nom ne figure meme pas parmi les morts ou les survivants. – On peut s’interroger, avec Amnesty International, sur le nombre total des blesses qui serait de 12 personnes, ou 5 d’entre elles appartenaient semble-t-il aux forces de securite. Il est a remarquer le nombre disproportionne de morts par rapport aux blesses. – Pourquoi les cadavres ont-ils ete enterres sans que les proches des victimes ne soient informes. Des cadavres enterres dans des tombes anonymes portant la seule mention « X Algerien ». – On signale qu¹aucune autopsie ou expertise balistique n’ont ete pratiquees. – Comment se fait-il que les portes des cellules des condamnes a mort ont ete ouvertes normalement et non pas forcees? Apres le massacre, maitre KHELILI Mehmoud, a demande, en sa qualite de President du Syndicat National des Avocats Algeriens (SNAA) et d’avocat de plusieurs victimes, l’intervention du President Zeroual » afin de preserver l’etat des lieux ». Demande qui est restee sans reponse. Il est a noter aussi que pendant le proces, le directeur de la prison avait des difficultes a repondre si certaines cellules sont numerotees ou pas.
LA VERSION CIVILE On ne peut considerer le rapport preliminaire ecrit par le SNAA, la LADDH, le Comite des avocats et les familles des victimes et des detenus comme une mission d’enquete classique. Ses auteurs n’avaient pas acces au lieu du massacre et ils ne pouvaient pas interroger tous les temoins necessaires. Ils n’avaient pas la possibilite de proceder a une confrontation ou a un debat contradictoire meme indirectement. Ce qui fait que des points faibles demeurent dans le rapport et restent a elucider. Malgre cela, ce rapport reste un document tres important a mediter car nous pouvons mieux comprendre pourquoi y avait-il un acharnement contre certaines personnes et pourquoi on a presente les prisonniers comme des fanatiques et des barbares. Mais surtout, il nous montre que la mort de plus de 100 personnes n’etait pas une fatalite et nous fait douter une grande machination de la part des forces de securite.
1- FAITS BIZARRES Le rapport evoque plusieurs faits « bizarres » qui ont precede la tragedie: – La Commission d’enquete, qui devait etre constituee de representants du ministere de la Justice et de hauts responsables de la surete nationale et de la gendarmerie, annoncee par le chef de gouvernement le 25/02/1995, et placee sous l’autorite du ministre de la Justice, a ete confiee au ministre de l’Interieur ! Son installation a ete annoncee par la presse, mais son rapport n’a jamais ete rendu public. – La periode qui a precede le massacre, qui a debute le 21 fevrier 1995, a ete marquee par une intense activite au sein de la prison. Un mouvement de transferts internes et externes de prisonniers et de reaffectation de gardiens a ete enregistre dans un contexte caracterise par des pressions extremes et des sanctions collectives a l’encontre des detenus. – Le gardien Mebarki Hamid, recrute depuis peu, a ete affecte par l’administration de la prison a l’aile des condamnes a mort. Ce poste de surveillance d’une population carcerale speciale exige necessairement une formation et une qualification, et surtout une longue experience.. C’est ce meme Mebarki qui aurait ete a la tete de la pretendue tentative d’evasion.
2- TENTATIVE D’EVASION ? La liquidation de la presque totalite des detenus ayant assiste aux premieres phases de l’operation et les menaces a l’encontre d’autres jettent un voile epais de confusion et d’opacite. Les temoignages commencent a partir de 5 heures du matin, selon la majorite des survivants. Des personnes cagoulees et armees sont subitement apparues aux environs de 5 heures du matin et ont procede a l’ouverture, a cle ou par bris, des portes de certaines cellules et salles. Toujours cagoulees et armees, elles ont oblige les detenus perplexes a sortir de leurs cellules et salles de la prison. Un groupe de detenus a brise la serrure de la cellule de Abdelkader Hachani et un millier de prisonniers et cinq cadavres ( quatre gardiens et un detenu) ont ete trouves dans la cour. » Nous avons pu maitriser la situation grace a la creation sur place d’une cellule de crise » ecrit Hachani dans sa lettre au President de la Republique. La cellule composee de MM. Tadjouri Kacem, Cheratti Ykhlef, El wad Mohamed, Layada Abdelhak, et Kaouane Hacene etablie des contacts avec la cellule de crise du gouvernement en vue d’une solution pacifique. Lors de ce premier contact, Hachani et Layada proposerent: – de donner instruction pour eviter toute nouvelle victime de part et d’autre; – de permettre le contact avec les differents pavillons pour elargir la cellule de crise aux representants de ces pavillons, en vue de mieux maitriser la situation; – d’etre totalement disponibles pour trouver une issue pacifique a la crise. Les deux parties ont convenu d’un accord sur les propositions sus-citees, et aucune victime n’a ete signalee durant plus de dix heures de negociations. La cellule de crise des detenus a propose de faire venir une tierce partie, en l’occurence trois avocats: Mes Abdenour Ali Yahia, Bachir Mechri et Mustapha Bouchachi. Ces trois avocats devaient constater: – que le nombre des victimes ne depassait pas celui enregistre au debut de la crise, soit cinq victimes; – qu’il appartenait au pouvoir de mener les investigations necessaires apres aboutissement pacifique de la crise, en vue de determiner les responsabilites, et appliquer la loi dans un cadre juste et transparent. En contrepartie, la cellule de crise s’engageait fermement a faire reintegrer par tous les detenus leurs cellules et salles. Apres un refus categorique de cette proposition, la crainte d’une reaction violente et aveugle pousse la cellule de crise a demander aux detenus l’integration de leurs cellules par precaution. Bien que cette operation etait tres avancee, les autorites ont opte pour l’ntervention violente et ont rompu brutalement les negociations en sequestrant l¹un des interlocuteurs. Il etait 17 heures 30, le mardi 21 fevrier 1995. Apres les tirs cibles qui ont fait comme premiere victime Ykhlef Cherrati, la fusillade a commence dans la cour; le rideau protecteur est tombe et avec lui treize victimes de droit commun, puis ce fut le tour des eliminations physiques des detenus politiques. Apres la fusillade de la cour, les tirs se concentrerent sur les salles 29,30,31 et surtout sur la salle 25 ou s’etaient refugies un certain nombre de detenus. Les tirs groupes durerent egalement plusieurs heures. Les feux nourris accompagnes de jets de grenades offensives ont transforme la salle 25 en un veritable abattoir pour etres humains: corps dechiquetes, lambeaux de chair pendouillant sur les murs macules de sang. La puissance de feu et la concentration des projectiles a pulverise la lourde porte de la salle 25. La fusillade qui a dure pres de dix-sept heures n’a pris fin que lorsqu’un gendarme a annonce : » Le general a ordonne le cessez-le-feu. » Apres l’arret de la fusillade, les forces d’intervention ont tire et lance des grenades offensives dans les cellules a travers les grilles d’aeration, avant d’y penetrer en tirant. Dans la salle 25, lorsqu’un survivant etait decouvert au milieu des cadavres, il etait suplicie et acheve. Il y avait meme appel pour certains detenus sur la base d’une liste.
UNE ENQUETE INDEPENDANTE + UN PROCES EQUITABLE :
Devant ces deux versions tout a fait differentes et souvent contradictoires, la formation d’une commission d’enquete independante capable de travailler librement s’imposait. Le gouvernement a refuse toutes les demandes qu’ils soient algeriennes ou internationales. Dans ce cadre, le proces fut le dernier espoir pour eclaircir certains elements de l’affaire Serkadji. Le tribunal avait, a ce titre, le privilege de pouvoir mettre face a face les responsables, les defenseurs des droits humains et les detenus. A ce titre, le 4 janvier 1998 pouvait constituer une chance pour la justice qui a perdu durant les dernieres annees l’essentiel de sa credibilite. Toutefois, le president du tribunal a refuse d’ajouter a la liste des temoins des personnages cles dans cet affaire, notamment les survivants de la cellule de crise des detenus et la cellule de crise officielle ainsi que le rapporteur de la commission d’enquete officielle M. Rezak Bara. La defense n’a pas pu quant a elle, consulter le dossier qu’apres l’intervention du barreau et du procureur general. Pour toutes ces raisons, et conformement a l’articles 548 du code penal, la defense a demande aupres de la cour supreme de dessaisir la juridiction et renvoyer la cause devant une autre juridiction pour cause de suspicion legitime. Demande qui fut rejetee. Les differents temoignages ont, jour apres jour, fragilise la version officielle. On parle a nouveau des hommes cagoules qui ont casse et ouvert les portes des cellules, des prisonniers qui ont refuse de sortir de leurs cellules. Abdel Ghani confirme le deuxieme jour du proces que les otages etaient tues par les forces de l’ordre. Le chef de poste, qui etait en service cette nuit-la, etait categorique: ³M.Hamid (l’accuse principal) a ete recrute parmi nous huit mois avant la mutinerie. En somme, c’est a un nocive qu’on a confie une mission d’habitude deleguee aux plus chevronnes d’entre les gardiens de Serkadji². Tawfik ne sait pas comment les portes des cellules ont ete fracassees, il ne sait pas non plus qui etait a l’origine de la mutinerie. En reponse a la defense, il precise: » Monsieur le President, le trousseau des cles est soumis a une verification rigoureuse au meme titre que l’appel des detenus. Quand ce trousseau n’est pas complet apres le comptage, personne ne sort du service que je preside. Quant aux cles des cellules des condamnes a mort ou a perpetuite, elles sont systematiquement remises au directeur de la prison. En son absence, elles sont remises au sous-directeur ». A la seance de vendredi 9/1/1998, un policier qui devait purger une peine de droit commun et servir de bouclier pour les mutins fut appele a la barre pour identifier les « chefs » parmi les accuses sans pouvoir reconnaitre personne. Mieux encore, il refuta totalement le contenu du dossier d’instruction relatif a la responsabilite des accuses dans le box dans la mutinerie et la prise d’otage. » Pour ce qui est de Bouakkaz Azzedine et de l’emir « Taga » je suis formel, Monsieur le President, mais pour le reste j’avoue que j’ai cite des personnes par erreur et sous l’effet de la colere ». Un autre prisonnier de droit commun temoigne que Yekhlef Cherrati, presente par les versions officielles comme extremiste et single, a ete atteint d’une balle en pleine tete alors qu’il tentait de faire regagner les detenus dans les cellules. Le procureur de la Republique presente une plaidoirie basee sur le temoignage des morts : ³L’affaire, confirme-il, ne remonte pas seulement a fevrier 1995, mais au mois de mai 1994, lorsque M. Hamid a rencontre pour la premiere fois B. Abdelkader a Serkadji. Berrabah etait condamne a mort pour avoir assassine un officier de police dans un cafe a Douaouda. C’est Berrabah qui a presente M. Hamid a Bouakkaz, un ancien « afghan » et a El Oued Cheikh. C’est a ce moment-la qu’ils l¹ont persuade de les aider a s’evader de Serkadji(…) Un rendez-vous a eu lieu entre Mebarki et Bouakkaz Salim et Omar Abdellatif, tues par les forces de l’ordre pour appartenance a un groupe arme. Le frere de Bouakkaz Salim a remis deux empreintes et non pas une a Mebarki. Bouakkaz khaled, le deuxieme frere de Azzeddine a ensuite remis les deux cles de la cellule sur la base des empreintes fournies auparavant par M. Hamid (…) Le 18 fevrier 1995, Bouakkaz Salim est venu a bord d’une Renault 21. Ils ont ramene la boite contenant les armes ainsi que des armes blanches devant servir plus tard a l’assassinat des quatre gardiens ». C¹est une accusation ³irrefutable²(???) car tous ces acteurs, a part l’accuse, sont morts. Mais si le proces, malgre ses irregularites et l’attitude partiale du president du tribunal, a oriente les regards vers la partie obscure de l’affaire ( la tentative de quelques prisonniers de s’evader), il n’a pas repondu a la question principale : la mort de pres de 95 prisonniers etait-elle inevitable et le choix de la violence de la part des autorites n’etait-il pas delibere ? N’y a-t-il pas la matiere a reouvrir le dossier a travers une commission d’enquete independante. Condition essentielle pour garantir la transparence dans un massacre de cette dimension qui s’est deroule au millieu du QG des forces de l’ordre a Alger ?
CONCLUSION
Le massacre de Serkadji est un exemple flagrant des effets catastrophiques du choix securitaire du pouvoir algerien. Il nous montre la responsabilite gouvernementale dans la reproduction de la violence et de la haine en Algerie. Si les elements de la premiere phase de l¹affaire, ³l¹evasion², restent a elucider a cause de la mort des principaux acteurs et faute de l¹absense d¹une commission independante d¹enquete et d¹un proces equitable, il nous parait en revanche evident, grace aux temoignages concordantes et a des propos officiels, que la cellule de crise constituee par les detenus a bien controle la situation et que les deux parties etaient d¹accord pour la traduction des responsables de la mort des quatre gardiens devant la justice et le retour au calme dans la prison. Les prisonniers craignaient des represailles comme ce fut le cas a la prison de Berrouaghia le 27 novembre 1994. Ce qui fait que leur cellule de crise a demande instamment la presence des avocats comme temoins de l¹engagement des autorites de traiter le probleme, selon la loi algerienne, pour epargner l¹effusion du sang de nouvelles victimes. Le refus categorique qui leur a ete oppose suivie de l¹interruption du dialogue et l¹intervention violente et persistante des forces qui ont encercle la prison ont fait le reste. Depuis le massacre de Serkadji, la revendication des commissions d¹enquete independantes fut le mot d¹ordre des militants des droits de l¹Homme algeriens. Amnesty Intrnationale s¹est jointe a cette revendication des 1995. Le refus des autorites algeriennes d¹accorder aux representants des ONGs algeriennes le droit d¹enqueter sur les massacres et les assassinats audieuses qui se deroulent presque tous les jours en Algerie a pousse les defenseurs algeriennes des droits de l¹Homme a exiger la constitution d¹une commission d¹enquete nationale et internationale pour faire la lumiere, toute la lumiere, sur tous les massacres perpetres en Algerie, que ce soit par les forces de securite ou par les groupes islamiques armes. La Commission Arabe des Droits Humains considere l¹independance de toute enquete comme condition essentielle pour sortir de la machination officielle et devoiler la realite de la situation tragique en Algerie. Il est inadmissible que le gouvernement algerien s¹oppose a une commission independante algerienne et internationale par des arguments de patriotards tires de la souverente nationale. Quel argument le gouvernement peut avancer pour refuser des commissions afro-arabes et algeriennes independantes pour accomplir ce travail afin de demasquer les responsables des massacres et des assassinats que l¹Algerie a connu ces dernieres annees.
________________________________ 1) ONDH, Commission nationale non gouvernementale d’enquete sur les evenements de Serkadji, Rapport d’enquete, mai, 1995
2) SNAA, Comite des avocats constitues, Familles des victimes et des detenus de la prison de Serkadji, LADDH, Rapport preliminaire sur le carnage de Serkadji survenu le 21 fevrier 1995. 3 juillet 1995, in : CAMLDHDH, Livre blanc sur la repression en Algerie ( 1991-1995, Tom 2, pp 236-275, Suisse, Hoggar.
3)Amnesty International, MEDICAL CONCERN: Killings in Serkadji Prison- ALGERIA. 26 February 1996.
4) Ordonnance n° 95-10 modifiant et completant l’ordonnance n° 66-155 du 8 juin 1966 portant code de procedure penale. Journal Officiel de la Republique Algerienne, n° 11 29 Ramadan 1415, 1er Mars 1995.
5) Selon l’article 105 du Code Penal, l’inculpe et la partie civile ne peuvent etre entendus ou confrontes qu’en presence de leurs conseils ou eux dument appeles, a moins qu’ils n’y renoncent expressement. Le conseil est convoque par lettre recommandee, adressee au plus tard l’avant veille de l’interrogatoire. La procedure doit etre mise a la disposition du conseil de l’inculpe vingt-quatre heures au plus tard, avant chaque interrogatoire. Elle doit etre egalement mise a la disposition du Conseil de la partie civile vingt-quatre heures au plus tard, avant les auditions de la partie civile.
6) Le temoignage du directeur de la Prison M. Hadawi Ahmed devant le juge d’instruction, le 19/03/1995.
LISTE OFFICIELLE DES VICTIMES DE SERKADJI
LISTE DES INSURGES ET OTAGES
01) CHERATI Yakhlef
02) LAIBI Toufik
03) KARABADJI Med
04) SAIDI Mouloud
05) CHERIFI Brahim
06) KESTALI Reda
07) EL-OUED Med
08) BOUAKAL Nasreddine
09) MECHROUK Med
10) BOUZENOUN Bouem
11) BERRABAH Abdelkader
12) SOUILAH Belkacem
13) SAIDI Lamri
14) BOUZERA Khaled
15) MOUICI Boualem
16) DRIDI Nacer
17) X ALGERIEN
18) BENBELAID Abdelhafid
19) TOUCENA Med
20) SALMI Rabah
21) BOUGUEROUMI Samail
22) TEBBI Med
23) ZAMINE Khalile
24) SAMAI Med
25) GUERBI Nacereddine
26) LAMAR Kamel
27) X ALGERIEN
28) CHIRA Toufik
29) NEGHLIZ Abderrahmane
30) X ALGERIEN
31) X ALGERIEN
32) X ALGERIEN
33) HARRIK Nourreddine
34) BERAFIA Mourad
35) BOURAINE Seddik
36) BENALLEL Med
37) CHAHOUN Sadek
38) Khelifi Zerrouk
39) SAIDI Moussa
40) X ALGERIEN
41) RESUIG Ali
42) SIFI Samir
43) ROUMILI Ouahid
44) BOUDACHA Sid Ali
45) ALLOUCHE Toufik
46) HANIFI Rafik
47) DJEBAR Nabil
48) LARBI Merouane
49) CHERIFI Omar
50) BOUAZA Abdelaziz
51) MOUTADJER Hocine
52) BELKACEM Mustapha
53) BOUFAS Hocine
54) ALMI Kouider
55) ZEDICHA Med
56) DIDOUNE Ahmed
57) BENMERADI Feth-El-Nour
58) AIT-BELLOUK Med
59) BEKARI Zoubir
60) FODIL Cheriale
61) DJILLALI Belcacem
62) SAHRAOUI Yazid
63) X ALGERIEN
64) RAHMOUNI Boudjemaa
65) DJAAFRI Boudjemaa
66) X ALGERIEN
67) TOUNSI Bouzid
68) TADJOULI Kacem
69) KRITOUS Amar
70) X ALGERIEN
71) BELILI Redeouane
72) X ALGERIEN
73) X ALGERIEN
74) KAOUANE Hacene
75) X ALGERIEN
76) X ALGERIEN
77) X BENAOUDA Med
78) SAADAOUI Hocine
79) EL FOUDIL Ayache
80) AROUCH Ayache
81) ZOUABRI Rachid
82) BENKACER Med
83) DAOUDI Samir
84) X ALGERIEN
85) KETOUNI Ahmed
86) X ALGERIEN
87) TOUAID Rabah
88) MARICHE Abdelkrim
89) ACHOUR Soufiane
90) DJABER Ammar
91) BENABDALLAH Med
92) AKROUR Rachid 93 BENZAMOUCHE Med
LES GARDIENS
1)CHARIKHI Moussa
2) ZEGHARABA Sid Ahmed
3) BOUZID Mohamed
4) BAKHOUS Rachid