Mali: L’Algérie pacifie les «frères-ennemis»

CONFLIT DES TOUAREG DU MALI

L’Algérie pacifie les «frères-ennemis»

L’Expression, 01 juillet 2006

Le président Abdelaziz Bouteflika sera aujourd’hui et demain en Gambie, pour le 7e sommet de l’Union africaine, axé justement sur le règlement des conflits en Afrique.

A la veille de s’envoler à destination de Banjul, en Gambie, où se tiendra le 7e sommet de l’Union africaine (UA), axé justement, sur l’intégration régionale et le règlement des conflits en cours dans le continent, le président algérien Abdelaziz Bouteflika peut siéger avec, dans ses bagages le règlement du conflit qui oppose les rebelles touaregs du Mali au régime de Bamako depuis plusieurs années, et qui est entré dans une phase de crise depuis cinq semaines.
Les ex-rebelles touaregs qui avaient mené fin mai une série d’attaques contre des casernes dans le nord du Mali et le gouvernement malien ont signé un accord à Alger pour mettre fin à la crise. Selon les déclarations d’un des quatre médiateurs algériens cité par l’AFP, «la délégation des ex-rebelles touaregs et celle du gouvernement malien ont paraphé un document à Alger». Le médiateur a qualifié ce règlement politique de la crise de «paix des braves».
Selon la même source, l’accord prévoit que «les ex-rebelles touaregs ne réclament plus l’autonomie pour leur région (…) alors que le gouvernement malien s’engage à accélérer le développement des trois régions du nord du Mali» , et qui sont Kidal, Gao et Tombouctou. La signature du texte a été aussi confirmée de source gouvernementale malienne et par un membre de la délégation des ex-rebelles.
Le gouvernement malien avait demandé le 3 juin dernier à l’Algérie d’aider à trouver une solution pacifique à la crise entre Bamako et les ex-rebelles touaregs maliens. «Nous avons effectivement paraphé un document pour faire la paix, et nous retournons vers notre base pour commencer une campagne d’explication du texte», a confirmé sous couvert d’anonymat à l’AFP un membre de la délégation des ex-rebelles contacté par téléphone.
La délégation du gouvernement malien à Alger conduite par le ministre de l’administration territoriale, le général Kafougouna Koné a regagné Bamako jeudi, a indiqué sous couvert d’anonymat une source officielle malienne, qui a confirmé la signature de l’accord.
Le médiateur algérien contacté par l’AFP a précisé que le principe du retour «sécurisé des militaires touaregs déserteurs dans les rangs est acquis», de même que la restitution de l’armement emporté par les mutins après l’attaque des casernes fin mai. «L’Algérie mettra tout son poids dans la balance pour que ces armes reviennent dans les casernes», a précisé cette source.
Alger avait déjà joué un rôle décisif dans le règlement de la première rébellion touarègue grâce aux accords de paix signés en 1992 à Tamanrasset entre la rébellion touarègue et le pouvoir malien.
Ces derniers, menés par plusieurs officiers intégrés à l’armée malienne après une première rébellion dans les années 1990 et qui avaient déserté ces derniers mois, avaient attaqué le 23 mai deux camps militaires de Kidal, située au nord-est du pays, et un troisième à Menaka (est du pays), avant de se retirer dans des collines proches de Kidal. Ces attaques avaient fait six morts, selon un bilan de source officielle malienne.
Ces ex-rebelles touareg, conglomérat d’anciens militaires en rupture avec l’armée et de déserteurs, avaient pris le contrôle de deux camps militaires de Kidal et ont attaqué un autre à Menaka, relançant les craintes de violences dans une région qui avait été le théâtre d’une rébellion touarègue dans les années 1990.
Le même jour, en début de soirée, une importante partie des combattants touaregs avait quitté les camps de Kidal en emportant des armes.
«Ils sont partis en ´´pick-up´´ avec beaucoup d’armes. Ils étaient nombreux, et ils sont allés vers le nord» avait affirmé des citoyens. «Nous avons vu les rebelles partir avec des armes, dont des mitrailleuses lourdes», avaient déclaré d’autres témoins, qui habitent à proximité des camps attaqués. Suite à ces attaques, le président malien, Amadou Toumani Touré, en visite dans la région de Kayes (sud-ouest), a assuré sur l’antenne de la radio nationale qu’il allait «gérer la situation avec responsabilité mais aussi avec mesure»: «Face aux épreuves, je demande à chaque Malien de garder le calme, la sécurité et de faire preuve de mesure quelle que soit la situation». Aussitôt après, il demande à l’Algérie, qui a «bonne oreille» auprès des rebelles touaregs, d’intercéder pour mettre fin au conflit.
La région du nord-est malien a été le théâtre au début des années 1990 d’une rébellion armée qui a fait plusieurs centaines de morts. La fin du mouvement avait été officiellement célébrée en mars 1996 lors d’une cérémonie dite de la «Flamme de la paix» à Tombouctou.
La plupart des ex-rebelles ont intégré l’armée malienne mais plusieurs d’entre eux ont mené ces dernières années des actions de désertion ou de rupture de ban assorties de revendications pour le développement de leur région.
Ce «bon point» pour l’Algérie intervient à la veille du 7e sommet de l’Union africaine (UA,des chefs d’Etat africains), et auquel prendra part le président de la République, Abdelaziz Bouteflika. Le sommet qui se tient aujourd’hui et demain, à Banjul, en Gambie, sera très justement axé sur l’intégration régionale et le règlement des conflits en cours dans le continent.
Les chefs d’Etat et de gouvernement africains auront l’opportunité à Banjul d’échanger leurs points de vue et de faire le bilan sur les progrès réalisés par le processus d’intégration continentale depuis la mise en place de l’UA, en 2002, et procèderont à l’examen des recommandations issues de la Conférence des ministres africains chargés de l’intégration qui s’est tenue à Ouagadougou (Burkina Faso) en mai dernier et qui avait mis l’accent sur la nécessité de régler dans un cadre inter-africain les problèmes du continent.

Fayçal OUKACI


DIPLOMATIE ALGÉRIENNE

Une médiation appréciée

01 juillet 2006

Sollicitée le 3 juin dernier lors de la visite à Alger d’une délégation du gouvernement malien conduite par le ministre de l’Intérieur, le général Kafougouna Koné, la médiation algérienne entre les autorités de Bamako et les ex-rebelles touaregs qui avaient attaqué le 23 mai deux camps militaires de Kidal et un camp à Menaka a abouti à la signature d’un accord qui met fin à la crise.
Le texte paraphé à Alger par les émissaires des deux parties en conflit stipule que la partie touarègue «ne réclame plus l’autonomie pour la région» nord du pays où est confinée la majorité de la population targuie tandis que «le gouvernement malien s’engage à accélérer le développement des trois régions du nord du Mali (Kidal, Gao et Tombouctou)».
La signature du document est confirmée par les deux belligérants, les Touareg assurant, pour leur part, vouloir «faire la paix et retourner vers la base pour commencer une campagne d’explication du texte». Ainsi, se confirme la capacité de l’Algérie à gérer utilement et surtout efficacement la médiation entre deux factions rivales, même si pour cette dernière intervention le rôle était plus ou moins prévisible, Alger ayant déjà pesé de tout son poids pour obtenir le règlement du premier conflit qui avait opposé en 1992 la rébellion touarègue au gouvernement malien.
A la veille du sommet de l’UA, ce nouveau succès de la diplomatie algérienne, il est vrai prévisible dès lors qu’on connaît la personnalité de l’ambassadeur d’Algérie à Bamako, Abdelkrim Gheraïeb, confirme les performances et l’efficience de l’Algérie en matière de médiation, notre pays ayant fait ses preuves depuis fort longtemps et bien avant l’épisode de la prise d’otages à l’ambassade américaine de Téhéran, contrairement aux idées reçues.
Certes, c’est cet événement, derrière la solution duquel on trouve encore Abdelkrim Gheraïeb qui avait travaillé, à l’époque, de concert avec le regretté Mohamed Seddik Benyahia, alors en charge du portefeuille des Affaires étrangères, qui a en quelque sorte donné ses lettres de noblesse à la diplomatie conquérante de notre pays. Laquelle avait auparavant l’habitude de travailler en secret et se gardait de toute publicité tapageuse sur nombre de dossiers, intéressant notamment les mouvements de libération.
Outre l’interlocuteur iranien qui n’hésite pas à solliciter la médiation algérienne chaque fois qu’il l’estime nécessaire -tel a été de nouveau le cas pour la crise du nucléaire qui oppose Téhéran à Washington, soutenu par tous les pays occidentaux- il y a eu le conflit fratricide sénégalo-mauritanien, dans les années 80, le contentieux tchado-libyen sur la bande d’Aozou, en 1992, les luttes intestines des mouvements angolais, en 1994-1995, le dossier soudanais avec toutes ses complexités et ses contraintes et, tout dernièrement, la démarche ivoirienne dont l’importance n’échappe à personne, eu égard à la forte implication de l’ancienne puissance coloniale. C’est un fait que, lorsqu’elle est sollicitée, l’Algérie ne rejette a priori aucune possibilité de médiation, tout en se réservant le droit d’examiner au préalable l’ensemble des tenants et aboutissants et de consulter les parties concernées afin de mesurer l’ampleur du différend et de jauger les opportunités réelles de (ré)conciliation. Compte tenu de cette méthodologie, l’efficacité de l’opération est en effet plus assurée et c’est ce qui a permis à notre pays d’engranger le bénéfice du succès dans la majorité de ses interventions.
Les Algériens, quant à eux, ne mesurent pas toujours l’importance d’une telle action, croyant qu’elle est circonscrite à un satisfecit conjoncturel. Ils doivent savoir qu’en réalité, ces opérations sont comptabilisées en termes de redevance morale et que lors de votes décisifs dans les instances internationales ( ONU, UA, Ligue arabe etc.), elles valent à l’Algérie, et à ses représentants, la validation de ses choix et l’élection haut la main de ses candidats aux postes internationaux. D’où la perpétuelle et opiniâtre effervescence diplomatique de notre pays qui, il est vrai, finit par donner le tournis à tous ceux qui méconnaissent le sens et l’importance de nombre d’enjeux diplomatiques et stratégiques.

Azzedine CHABANE