L’histoire secrète du Mouvement des enfants du Sud
El Watan, 28 mars 2014
Né d’une revendication égalitaire, portée par des élites du Grand Sud, le Mouvement des enfants du Sud a connu plusieurs mutations, une aile a même basculé dans le terrorisme.
L’Etat n’a pas respecté ses engagements ! Abdelaziz Bouteflika a lui-même reconnu, dans un discours, la légitimité des revendications du Mouvement des enfants du Sud pour la justice (MSJ) !» Dans le Sud, Abdesselam Tarmoune et son groupe sont très populaires. Mais personne n’avouera ouvertement son soutien à leurs revendications. Car l’histoire de ce mouvement a été marquée par de violentes représailles. En février dernier, des citoyens ont même manifesté à Djanet pour demander à l’Etat de cesser ses attaques militaires contre le mouvement de Abdessalam Tarmoune.
«Nous voulons que l’ANP cesse de bombarder le Tassili et dialogue avec Abdessalam Tarmoune et ses hommes du Mouvement des enfants du Sud pour la justice», lit-on dans leur communiqué. Les manifestants ont motivé leur demande par les arguments suivant : «Nous craignons que les jeunes rejoignent le maquis», affirment-ils. «Nous défendons une option fédérale de l’Etat et nous revendiquons une justice sociale et une répartition équitable des richesses en Algérie», assure, quant à lui, Ahmed Arbi, porte-parole du mouvement citoyen à Labiodh Sidi Cheik (El Bayedh). «Ses membres ont été amnistiés en 2008 conformément à la charte pour la réconciliation nationale. Les membres du MSJ ont déposé les armes, à la seule condition que l’Etat prenne en charge leur plateforme de revendications, pour la plupart sociales et politiques. Mais l’Etat n’a pas tenu ses promesses. Les membres du MSJ ont été poignardés dans le dos», entend-on de Ouargla à El Bayedh.
Accusation
El Madani Madani, militant politique et journaliste, natif de Ouargla et spécialiste des mouvements du Sud, explique : «Le mouvement est né suite à la rencontre de deux plateformes de revendications. Celle de Ouargla et celle du Mouvement citoyen créé en 2001 à Labiodh Sidi Cheikh. La plupart des membres du mouvement ont tous choisi de militer pacifiquement durant plusieurs années. En 2004, la majorité d’entre eux a été muselée à travers des poursuites judicaires, développe El Madani Madani rencontré à Souk H’djer, au centre-ville de Ouargla. Ils ont été poussés à prendre les armes en 2006 puis à revenir sur leur décision après un accord conclu avec l’Etat en 2008. Abdessalam Tarmoune, leader et membre fondateur de ce mouvement, a été malmené par les services de sécurité. Ils ont même tenté de l’accuser de l’attentat du 29 juin 2012, contre la gendarmerie de Ouargla.»
Durant les dernières législatives de mai 2012, Abdessalam Tarmoune, professeur de mathématiques au lycée de Djanet, dépose son dossier de candidature comme représentant du parti du Front de la justice et du développement (Al Adala) de Abdallah Djaballah. «Son dossier a été refusé par l’administration. Motif : son implication dans des actes terroristes, alors qu’il était amnistié par le président de la République. De plus, le MSJ n’a jamais commis d’actes terroristes jusqu’à aujourd’hui, précise El Madani Madani. C’est ce qui a révolté Abdessalam Tarmoune et l’a poussé à s’engager dans la lutte armée. Mais il y a une chose très importante qu’il faut souligner : les revendications soulevées par le mouvement en 2008 sont restées sans suite jusqu’à ce jour. Cette situation a certainement donné à Tarmoune une raison de plus pour reprendre le maquis !»
Dissidence terroriste
Si El Madani déclare que Abdessalam Tarmoune et son groupe n’ont jamais commis d’attentat, c’est parce qu’il fait allusion à l’autre aile du MSJ qui a rallié Mokhtar Belmokhtar, après l’attentat kamikaze contre la gendarmerie de Ouargla, le 29 juin 2012. Lamine Bencheneb décide de quitter le MSJ pour créer son propre mouvement, baptisé le Mouvement des enfants du Sahara pour la justice islamique (MSJI). La prise d’otage perpétrée par ce groupe terroriste nouvellement formé contre le site gazier de Tiguentourine, le 16 janvier 2013, a bouleversé le monde. A Ouargla, Al Bayadh et Ghardaïa, les citoyens rencontrés restent plus sensibles au discours de Abdessalam Tarmoune qu’à celui de Lamine Bencheneb.
«Abdessalam Tarmoune tient toujours à ses revendication initiales : le même combat que celui des années 2000. Il défend le Sud et dénonce l’injustice que nous subissons ici. Il tient aux principes et valeurs fondatrices du pays. Ila toujours milité pacifiquement avant que la justice algérienne ne lui pourrisse la vie par des poursuites judiciaires. C’est un militant, pas un terroriste», témoignent des membres du Mouvement des chômeurs rencontrés à Metlili, à 45km au sud de Ghardaïa. Toutes les personnes que nous avons rencontrées dans les trois wilayas le qualifient aussi de «militant, courageux et porteur du flambeau de la contestation du Sud».
Les pro-Bencheneb regrettent, quant à eux, l’accord conclu avec Mokhtar Belmokhtar. «Lui aussi a été amnistié parmi tant d’autres en 2008, mais il n’a pas été lâché par les services de sécurité et par la justice algérienne. Il faut voir la misère dans laquelle nous vivons. On nous dénie le droit à la dignité. Ici, on nous traite comme des citoyens de la dernière catégorie», s’emporte le frère de l’un des membres fondateurs du MSJ.
Maquis
A Rouissat, à 4 km à l’est de la ville de Ouargla, là où est né Lamine Bencheneb, les traces de la misère sont visibles. Ici, des centaines de familles entassées vivent dans un bidonville dépourvu du minimum. «Comment voulez-vous que Lamine ne reprenne pas la lutte armée ?», s’interroge son neveu, rencontré dans la même ville. «Son frère a passé plusieurs années en prison. On l’a accusé d’avoir approvisionné son groupe en nourriture. Son fils a passé six mois de prison ferme à Serkadji pour un simple coup de téléphone reçu de son père, raconte le neveu de Lamine Bencheneb. Ils les ont torturés moralement et physiquement. Les services de sécurité n’ont rien laissé au hasard. C’est eux qui les ont poussés à reprendre le maquis.»
Un sexagénaire confie : «Les responsables militaires qui négociaient avec deux repentis de Ouargla n’ont pas respecté l’accord qui consistait à faire descendre tous ceux qui se trouvaient encore au maquis, y compris ceux qui étaient au nord du Niger. En contrepartie, l’Etat doit cesser toute poursuite judicaire contre les membres du mouvement. On croyait que le problème allait définitivement être réglé. Malheureusement, l’un d’eux a été emprisonné. L’autre a pris la fuite et a rejoint les autres au maquis. Depuis, les discussions ont échoué», avoue-t-il. Dans une vidéo du MSJ postée sur YouTube, Abdessalam Tarmoune explique les raisons qui les ont poussés à reprendre les armes. «Ils nous ont accusés d’avoir violé et dilapidé trois Nigériennes, alors que nous n’avons rien à avoir avec cette affaire. C’est la preuve que s’ils nous ont amnistiés, c’est pour nous mettre en prison», déclare-t-il.
Islamisme
Mais ce sont les mêmes personnes qui ont commandité l’attaque sur un avion militaire à Illizi avant la cession du mouvement. Cela ne suffit-il pas pour les qualifier de terroristes, même s’il n’y pas eu de pertes humaines durant cette attaque ? Notre question provoque un silence chez les uns comme chez les autres. Pour les pro-Tarmoune, «Abdessalam reste un militant auquel l’Etat tâche de coller l’image de terroriste, d’ennemi de la nation». Selon El Madani, Abdessalam Tarmoune et son groupe, qui se trouvent actuellement, d’après nos sources, près de Djanet, ont compris qu’ils ont été piégés. «Ils veulent se rendre, mais ils sont empêchés par les bombardements des militaires à chaque fois qu’ils essaient. On dirait qu’ils veulent les maintenir là où ils sont, pour nous sortir la carte de l’instabilité au Sud quand elle les arrange», analyse El Madani Madani. Les pro-Benchneb estiment aussi que Lamine «n’a rien à voir avec l’islamisme».
Certains évoquent le caractère ethnique qui symbolise le mouvement avec ses deux ailes, car la plupart des membres viennent tous de la même tribu, les Châamba, y compris Mokhtar Belmokhtar, Lamine Bencheneb et Abdessalam Tarmoune.»Il fallait que Lamine Bencheneb s’en tienne aux revendications initiales du mouvement. Déjà, je lui reproche le fait qu’il parle du Sud, alors que la plupart des membres du MSJ sont des Châamba. Il fallait parler de nous au lieu de généraliser. Actuellement, il est impliqué dans des attentats terroristes et c’est regrettable. Le mouvement a pris une autre tournure. C’est la raison pour laquelle nos revendication sont restées sans suite jusqu’à ce jour», s’emporte le frère d’un repenti, emprisonné depuis 2011 à Ouargla.
Lamine Bencheneb a payé cher sa dissidence
Après l’attentat kamikaze perpétré contre la gendarmerie de Ouargla, le 29 juin 2012, le MSJ a connu une crise qui a poussé le groupe à se scinder en deux mouvements. « En concluant un accord avec Lamine Bencheneb, pour qu’il crée son mouvement, les enfants du Sahara pour la justice islamique, Mokhtar Belmokhtar a divisé les rangs. C’est à ce moment-là que Abdesselam Tarmoun a pris ses distances avec Bencheneb », raconte un ancien membre du MSJ.
Lamine Bencheneb et Mokhtar Belmokhtar commanditeront la prise d’otages du site d’exploitation gazière de Tiguentourine le 16 janvier 2013, une opération menée sous l’égide du groupe terroriste (les Signataires par le sang), un groupe armé islamiste dissident d’AQMI, au cours de laquelle Bencheneb sera tué. « Lamine Bencheneb a voulu élargir son champ d’action, contrairement à Abdessalam Termoune, qui tenait à la première plateforme de revendications qui, elle, ne concernait que le Sud algérien », explique la même source. Marié à quatre femmes, dont sa cousine avec laquelle il a eu 7 enfants, Lamine Bencheneb épouse d’autres femmes de Djelfa, de Rouissat (Ouargla) et des Touareg.
Après sa mort, « les services sont venus prendre l’ADN de sa mère, témoigne un membre de la famille. Nous nous sommes déplacés à Illizi pour voir sa dépouille, mais ils nous ont empêchés d’entrer à l’hôpital .Ils ne l’ont pas montré à la télévision comme ce fut le cas pour Abou Zeïd. Alors, on garde toujours espoir. Possible qu’il soit toujours vivant. »
Meziane Abane