33 ans après le putsch du 11 janvier 1992 : L’urgence de l’Etat de droit

Algeria-Watch, 11 janvier 2025

A la mémoire de Hocine Malti

L’anniversaire de l’interruption d’un processus démocratique sans précédent par un coup d’Etat militaire le 11 janvier 1992 est rituellement marquée par Algeria-Watch comme un repère historique majeur de l’Histoire de l’Algérie postindépendance. Il s’agit d’un rappel de ce qui a constitué un attentat majeur et un crime imprescriptible contre la souveraineté du peuple perpétrée par une poignée de putschistes, aujourd’hui pour la plupart disparus ou entrés dans le grand âge, au prétexte de préserver le pays d’une plongée dans des abysses obscurantistes. Il s’agit pour Algeria-Watch de réaffirmer le refus définitif des pronunciamentos, le rejet des autoritarismes militaro-policiers. Le rôle de l’armée ne peut se trouver dans la gestion directe de la société, la culture des coups d’état doit disparaitre des usages politiques algériens.

La rupture brutale du 11 janvier 1992 a précipité l’Algérie dans une longue décennie de sang et d’effroyables exactions dont le peuple a payé le plus lourd tribut. Les responsabilités des crimes majeurs commis durant la période devront nécessairement être précisés et leurs auteurs, quelles que soient leurs obédiences et leurs appartenances, nommés et jugés. Irriguée par un fleuve de sang, la fin du siècle aura consisté pour le pays à subir un recul économique désastreux marqué par une désindustrialisation massive, l’appropriation illicite organisée de biens publics et une corruption gigantesque sous le règne ubuesque d’Abdelaziz Bouteflika installé au pouvoir par ceux-là mêmes qui prétendaient sauver l’Algérie.

L’affaiblissement du pays Algérie organisé par un système de pouvoir antipopulaire agissant contre l’intérêt national a été heureusement minimisé grâce à la haute conscience politique du peuple qui, dans son génie, a su exprimer très pacifiquement, mais sans la moindre équivoque, son attachement aux valeurs constitutives de la Nation telles qu’exprimées le 1er Novembre 1954. Le Hirak a clairement démenti ceux qui prêchent la division et le défaitisme et révoqué ceux qui se prennent pour les tuteurs d’un peuple infiniment plus avancé qu’eux-mêmes. L’impulsion populaire du 22 février 2019 réaffirme puissamment les orientations libératrices, démocratiques et sociales de la Révolution Algérienne, foyer inextinguible de l’unité et de la souveraineté nationale.

Le message semble n’avoir été que partiellement entendu ou compris pas un régime trop visiblement sclérosé, héritier d’une culture politique d’un autre âge, entre parti unique et autoritarisme policier. L’épuration, bien réelle mais partielle et sans traduction en termes d’ouverture politique, que le régime, contraint, s’est auto-imposé est largement insuffisante au regard des attentes populaires. Les conditions préalables à l’Etat de droit, condition fondamentale de la libération effective du peuple algérien, ne sont toujours pas réunies dans un contexte de mécontentement sourd de très larges catégories interdites d’expression.

Libertés publiques et sécurité nationale

La maturité politique du peuple a permis fort heureusement d’éviter des soubresauts extrêmement préjudiciables dans un contexte international complexe et lourd de dangers. Les Algériennes et les Algériens n’ignorent pas la réalité de crises régionales et globales dont les évolutions invitent à la prudence et à la retenue. L’état catastrophique du monde arabo-musulman en état de recolonisation dans un schéma historique qui n’est pas sans évoquer l’agonie de l’Andalousie musulmane, impose la plus grande vigilance. Le génocide perpétré à Gaza depuis plus de quinze mois avec la complicité active de l’Occident collectif est l’illustration d’un impérialisme arrogant qui bascule dans l’inhumanité la plus abjecte, assumant ainsi, sans la moindre vergogne dans son immoralité affichée, un déshonneur irrémédiable.

Il ne saurait donc être question de tomber dans les traquenards qui ont précipité la destruction de l’Irak, de la Libye et aujourd’hui de la Syrie. L’effondrement de régimes ineptes et dictatoriaux a précipité la destruction de ces pays en amplifiant les souffrances de leurs populations. Ces enseignements valent bien entendu pour l’Algérie, aujourd’hui objet de campagnes hostiles qui ne visent pas seulement le système mais le pays tout entier, dans son histoire, dans son intégrité territoriale, sa sécurité et jusque dans sa légitimité nationale.
Il est nécessaire dans cette optique de constater qu’en dépit de ses tares criardes, le régime n’a pas pu effacer une partie de l’héritage du mouvement national, notamment au regard de l’autonomie de décision, du non-alignement et du droit des peuples à l’autodétermination. Sans s’abstenir de critiquer ses usages et d’en contester les méthodes, il ne peut être question, dans de telles circonstances, d’appeler à la chute du régime algérien, ce qui ne ferait que d’aggraver considérablement les conditions d’existence du peuple et provoquer les désordres préalables aux immixtions néocoloniales. Car c’est bien dans de telles perspectives qu’il faut apprécier la campagne de propagande anti-algérienne haineuse orchestrée depuis plusieurs mois par des milieux français revanchards et racistes.

Devant une telle conjonction de facteurs préoccupants, le renforcement des capacités de défense est bien entendu une nécessité impérieuse et une incontestable priorité. Mais le prérequis fondamental d’une politique de sécurité nationale efficace et dissuasive réside, l’histoire l’enseigne sans équivoque, dans le soutien et la mobilisation démocratique de la société. Ainsi, la réponse aux menées déstabilisatrices ne peut être le fait de très médiocres officines mais doit émaner d’une société dont les immenses ressources politiques et intellectuelles sont stérilisées par l’étouffement des libertés.

Si les décideurs choisissent de maintenir le cap du monopole autoritaire du pouvoir, ils le perdront à coup sûr en exposant le pays tout entier à des vulnérabilités aux conséquences imprévisibles. La toute puissance des régimes policiers est illusoire, l’évaporation subite du vieux système Baathiste à Damas en est la plus récente démonstration. Il appartient donc à ceux qui tiennent entre leurs mains les rênes du pouvoir de répondre enfin aux réalités de la société algérienne en acceptant d’organiser dans l’ordre et la sérénité, de concert avec la société, la vitale et urgente modernisation politique vers l’Etat de droit, la démocratie et la garantie des libertés publiques.

Le peuple algérien en réalisant les objectifs énoncés par l’appel du 1er novembre 1954 pourra ainsi contribuer pleinement à la stabilité du pays, assurer effectivement son intégrité et, en améliorant grandement son image, conforter sa place dans le concert des Nations.