Exactions et tortures au temps du Hirak algérien : le cas de Zakaria Boussaha

A.T., Algeria-Watch, 29 juin 2021

Zakaria Boussaha, âgé de vingt-six ans, est un jeune activiste du Hirak à Annaba (ville côtière à l’extrême Est de l’Algérie). Technicien en plomberie et énergie solaire, il a perdu son emploi à cause des poursuites judiciaires dont il est victime depuis décembre 2019. Son engagement dans le mouvement populaire pacifique lui a valu plusieurs mois de prison.

Très impliqué dans cette mobilisation inédite du peuple depuis le début du mouvement, Z. Boussaha a été arrêté pour la première fois le 8 décembre 2019 à Annaba. Jugé le 15 décembre au tribunal d’Annaba, il est condamné à six mois de prison avec sursis et 50 000 dinars (250 euros) d’amende. Il est incarcéré après une seconde arrestation. Kidnappé devant son domicile le 13 avril 2020 par des gendarmes, Zakaria Boussaha est placé sous mandat de dépôt le lendemain. Le 21 juillet 2020, il est condamné par le tribunal d’El-Hadjar à un an de prison dont huit mois fermes et à une amende de 100 000 dinars (500 euros) pour outrage à corps constitué. Le procureur lui reprochait des publications satiriques sur Facebook à propos du général Gaïd Salah et de son épouse (dont la famille est connue pour sa fortune accumulée à Annaba). Z. Boussaha ne sera libéré que le 14 décembre 2020 après avoir purgé sa peine.

Les chefs d’accusation qui sont retenus contre lui sont particulièrement graves. Poursuivi pour « outrage à corps constitué et à institutions de l’État ; pour avoir semé la terreur au milieu de la population et créé un climat d’insécurité en faisant référence et en évoquant des actes terroristes portant atteinte à l’unité nationale », il est détenu à ces titres dans un quartier réservé aux personnes impliquées dans des actes terroristes et/ou de grand banditisme. Incarcéré au centre pénitentiaire de l’Allelick dans la commune d’El-Bouni (Annaba) durant la pandémie de covid-19, Zakaria Boussaha y a subi de nombreux sévices et mauvais traitements.

À son arrivée à la prison, Zakaria Boussaha est placé en isolement durant quinze jours. Le 19 mai 2020, il est transféré dans le quartier de haute sécurité précité. Durant les quatre premiers jours, il est menotté et contraint de porter la combinaison des condamnés. Pour avoir interrogé un gardien sur les raisons de ce traitement, Zakaria Boussaha est sévèrement battu à coups de bâton, roué de coups de pied et de poing par un groupe de cinq gardiens. Le lendemain à l’appel du matin, à 7 heures, les gardiens l’obligent à ôter ses chaussures et le suspendent aux barreaux de sa cellule pendant trois heures. À l’heure de la promenade, il est emmené au sous-sol de la prison, forcé de s’agenouiller sur le carrelage glacé et obligé de garder les bras levés dans une salle très froide. Des coups lui sont assené à chaque fois qu’il essaie de bouger ; pour le battre, les gardiens utilisent des barres de fer, des tuyaux de caoutchouc ainsi que des coups de pied visant tout le corps et surtout les parties génitales. Cette routine entre extrême violence et atteinte à la dignité dure quatre très longues journées. Le 22 mai, Zakaria Boussaha est informé que les accusations liées au terrorisme sont abandonnées, il est néanmoins maintenu dans le quartier spécifique jusqu’au 1er juin, date à laquelle il est transféré dans une aile réservée aux meurtriers et aux délinquants sexuels.

Comme trop souvent dans les prisons algériennes, les conditions de détention à la prison de Annaba sont inhumaines. Malgré la pandémie, les détenus ne sont autorisés à prendre des douches que tous les quinze jours. Zakaria Boussaha est contraint de se laver dans les latrines où, en raison d’une fuite dans les conduites du plafond, il est aspergé d’urine, ce qui lui vaut une gave infection cutanée au niveau des mains et du dos. Malgré son état, les gardiens refusent de le présenter à un médecin. Pour apaiser ses douleurs, Zakaria utilise du dentifrice et entame plusieurs grèves de la faim pour exiger des soins.

Le 7 juin 2020, Zakaria Boussaha reçoit la visite de la coordination des avocat(e)s du Hirak. Il expose aux juristes les multiples sévices qu’il a subis dans le but de déposer plainte. De retour dans sa cellule, afin qu’il abandonne sa plainte, les gardiens le menacent de le remettre en isolement ou de l’exhiber dénudé devant les autres détenus. Ils l’obligent à signer un démenti immédiatement diffusé par les médias du pouvoir.

Excédé par le harcèlement des gardiens, privé de toute communication avec sa famille pendant cinq mois et très déprimé, Zakaria Boussaha commence à nourrir des idées suicidaires. Le 8 août 2020, il essaie d’attenter à sa vie une première fois, en ingurgitant des détergents. Les gardiens l’en empêchent in extremis. Ce qui n’interrompt nullement les brimades et vexations dont le prisonnier est victime, qui continuent de plus belle. Le 23 septembre, un gardien donne l’ordre à Zakaria Boussaha de nettoyer la cellule collective et les toilettes alors même que ce n’était pas son tour de corvée. Le prisonnier demandant des explications est alors violemment agressé, le gardien le frappe et l’insulte en présence des autres gardiens et des détenus. Humilié, blessé et au bout du désespoir, Zakaria Boussaha tente alors de se pendre, il a la vie sauve grâce à l’intervention prompte de ses codétenus. Après cette deuxième tentative de suicide, un gardien le menacera de mort…

Durant son incarcération, Zakaria Boussaha s’est plaint à plusieurs reprises à l’administration, sans qu’aucune suite ne soit donnée. Le prisonnier a totalisé plus de 127 jours d’isolement. Pour avoir réclamé de meilleures conditions de détention, Z. Boussaha et ses codétenus ont été privés de nourriture pendant vingt-quatre heures. Le prisonnier d’opinion a été également témoin des très nombreux abus que subissent les détenus de droit commun. Battus et torturés de manière récurrente, la nuit comme le jour, leurs cris de douleur résonnent dans les murs de l’enceinte pénitentiaire. Aujourd’hui libre, Zakaria Boussaha garde encore les séquelles de l’infection cutanée et des coups reçus. Il est suivi par un psychologue pour les multiples traumatismes liés à son séjour en prison.

Lors d’un procès tenu le 24 juin 2021 au tribunal d’Annaba et en l’absence de Zakaria Boussaha, hospitalisé (suite à un accident), ce dernier a été condamné pour atteinte à corps constitué à un an de prison ferme assorti d’une amende de 200 000 dinars et 200 000 dinars de dommages et intérêts à la partie civile. Il a décidé de faire appel.