Massacres du 21 août 1955 à Guelma

Massacres du 21 août 1955 à Guelma : 300 morts et autant de blessés sur la place Salluste

El Watan, 22 août 2015

Il y a 60 ans, jour pour jour, un tournant décisif dans la stratégie opérationnelle des djounoud (maquisards) de l’ALN, entamant le 10e mois de guerre de Libération nationale ordonnée et coordonnée, à l’est du Constantinois, par Zighoud Youcef.

Appuyés par une importante frange de la population, les djounoud attaquent simultanément, le 20 Août 1955, les agglomérations de Collo, Skikda et Constantine.

La ville de Guelma ne sera ciblée que le lendemain, le dimanche 21 août. La répression de l’armée coloniale fut sanglante. L’on dénombre pas moins de 300 morts civils musulmans et autant de blessés et de disparus pour l’unique ville de Guelma, sur la place Salluste, aujourd’hui baptisée place du 20 Août 1955.

«L’armée, la police et la gendarmerie coloniales ont tiré sur des paysans sans défense le 21 août 1955, la veille du marché hebdomadaire», tel est le témoignage sans équivoque de deux civils habitant Guelma à cette époque et d’un moudjahid.

En effet, Omar Boudjemaâ, un menuisier de profession, né le 9 novembre 1935 à Guelma, domicilié à cette époque au boulevard général Leclerc, aujourd’hui Souidani Boudjemaâ, se souvient : «C’était un dimanche, vers 16h30, j’étais avec un ami dans son atelier. Nous nous sommes dirigés vers la sous-préfecture non loin de la rue d’Announa. Des coups de feu venant du souk ont retenti. Un premier, un deuxième puis plusieurs autres. Je me suis enfui.

Dans la nuit, nous avions hébergé dans notre atelier beaucoup de personnes, celles qui sont sorties du cinéma. Le lendemain a été la grande désolation. Dans beaucoup de quartiers, les trottoirs, les écuries de la ville et les cafés arabes étaient maculés de sang. Nous avons su que le carnage avait été fait dans la soirée par les militaires.»

Le témoignage d’Ahcen Bentoumi, né le 2 juin 1931 à Guelma, barman au moment des faits, au café de France (ex-café d’Alger), aujourd’hui transformé en magasin d’habillement, est plus précis. «Nous savions qu’il y allait avoir quelque chose ce jour-là. J’ai commandé chez le forgeron un renforcement pour la porte d’entrée de notre maison, située place Salluste à Bab Essoug, où mon père y avait aussi un café maure, ‘Café rouge’. Les coups de feu que nous avons entendus depuis le bar m’ont incité à renter chez moi.

C’est un voisin juif du nom de Henri Benmoha qui m’a conduit à travers la rue d’Announa où des militaires nous tenaient en joue à chaque enjambée. Sa sœur nous a ouvert la porte et m’a demandé de ne plus sortir.

En entrouvrant la fenêtre donnant sur la place Salluste, j’ai vu l’horreur. Des dizaines de corps criblés de balles. Je suis ressorti pour rentrer chez moi. J’ai deviné que les tirs ciblaient la sentinelle du coin de la caserne. Je n’ai dû mon salut qu’à la protection de trois juifs ce jour-là : mon voisin Benmoha, un policier juif nommé Mimoun que j’ai interpellé au moment où nous étions à plat ventre et tenu en respect par un tireur sénégalais et un troisième juif nommé Gosta, à proximité du commissariat.

Après une nuit blanche à la maison, nous avons découvert le café de mon père, vers 8h détruit et maculé de sang. Des ‘cachabiyas’, des turbans et sandales jonchaient le sol. Quelques jours plus tard, les autorités ont décidé la fermeture du café pour 6 mois. Beaucoup de magasins de la place Salluste ont été saccagés et leurs propriétaires exécutés.»

Salah Meddour, de son vrai nom Chaâbane Oumeddour, est un moudjahid de la première heure. Il a participé à l’attaque de la ville de Guelma le 22 août 1955. Habitant actuellement Annaba, nous l’avons joint par téléphone. Il raconte : «Nous étions un groupe de 12 moudjahidine et d’une centaine de moussebiline pour cette opération. Une chose est sûre, c’est que l’armée française nous attendait ce jour-là à la place Salluste et à Bab Essoug. La journée précédente a été le théâtre d’attaques de nos troupes, notamment à Oued Zenati, Bordj Sabaât, Taya, Aïn Abid, Nechmaya, Bouhamdane.

Nous nous sommes faufilés depuis les hauteurs de la ville à travers El Hadj M’Barek et Oued Skoun. Après plusieurs heures d’échanges de tirs nourris, l’armée française s’est vite retournée contre les civils dans les cafés et échoppes, et ce fut le carnage. Nous avons attaqué la sous-préfecture et la caserne pour enfin se replier vers 21h.

Aucun d’entre nous n’a été touché ce jour-là. Je peux confirmer qu’il y a eu pour la ville de Guelma plus de 300 morts, des paysans principalement. Nous savons aussi que le carnage s’est poursuivi trois jours durant, en plus des arrestations et emprisonnements des membres actifs des réseaux.»