reporters sans frontières : Algérie, rapport 1998

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Algérie: Rapport 1998

Seule bonne nouvelle en provenance d’Alger, on ne dénombre aucun assassinat de journaliste cette année, même si la violence continue de frapper massivement la population. Le pouvoir parachève sa reprise en main des titres algériens. Il s’apprête à adopter, pour le début de l’année 1998, un nouveau code de la presse plus restrictif que celui en vigueur actuellement. Dans le but d’offrir une image de stabilité à ses partenaires étrangers, le régime algérien veut renforcer son contrôle de l’information.

La Nation, un des rares titres; dissidents », qui refusait d’entrer dans le carcan que tentait de lui imposer le pouvoir, a fermé en décembre 1996. Reste une presse monocolore qui est, malgré quelques nuances, un des plus fermes soutiens aux autorités en place. Les critiques que l’ont peut y lire sont, presque toujours, l’expression des luttes de clans et d’intérêts qui traversent le régime algérien.

Dans un contexte économique qui ne favorise pas son émancipation – le secteur est structurellement contrôlé par les autorités (monopoles sur les imprimeries, sur l’importation du papier…) – la presse algérienne n’a pas toujours joué son rôle de « contre-pouvoir », refusant souvent de dénoncer la censure dont elle était victime. Les titres qui paraissent préfèrent prendre appui sur la publicité des entreprises et des institutions publiques que de tenter de se dégager de la tutelle publique. Quant à l’audiovisuel, totalement fermé à l’opposition, il est le porte-parole du régime, comme l’a montré la couverture des scrutins législatifs et locaux qui se sont tenus dans le pays en 1997. Les journalistes étrangers, lorsqu’ils parviennent à obtenir un visa, peuvent difficilement s’affranchir du contrôle étroit des services de sécurité, qui ont beau jeu de présenter leur  » sollicitude  » comme une mesure de protection. Le nombre des correspondants étrangers s’est réduit comme peau de chagrin, leurs accréditations étant refusées ou retirées.

Employés ou techniciens tués

Le 10 janvier 1997, Messaoud Bellache, chauffeur au quotidien gouvernemental El Moudjahid, est assassiné près de son domicile de Bach Djarrah, dans la banlieue d’Alger, par des hommes armés. Il est abattu à l’intérieur de son véhicule alors qu’il s’apprête à rejoindre son travail après la rupture du jeûne du ramadan.

Le 30 août, Zoubida Barkat, technicienne de la télévision algérienne, et deux autres femmes sont assassinées dans la forêt de Bouchaoui, dans la banlieue ouest d’Alger. Les trois femmes ont été vues pour la dernière fois prenant un taxi.

Journaliste disparu

Le 12 avril 1997, Aziz Bouabdallah, journaliste du quotidien arabophone El-Alam el-Siyassi, est enlevé à son domicile par des hommes habillés en policiers. Le journaliste, qui signait sous le pseudonyme de Aziz Idriss, est conduit vers une destination inconnue. Aucune des démarches entreprises par la famille et le journal auprès des autorités n’aboutit. Au lendemain de son enlèvement, le quotidien El Watan annonce, dans son édition du 18 avril, que le journaliste a été arrêté par la police.  » L’interpellation, croit-on savoir, est liée à un article « jugé diffamatoire » écrit par le journaliste « , affirme le quotidien.  » Nous croyons savoir de sources policières que la détention de Aziz Idriss répond aux besoins d’une enquête judiciaire (…) Après plusieurs jours passés dans les locaux de la police, Aziz Idriss devrait être relâché au plus tard aujourd’hui « , conclut le journal. Au même moment, une journaliste de la rédaction d’El Watan explique à Reporters sans frontières (RSF)que les services de sécurité qui détiennent Aziz Bouabdallah ont promis de le remettre en liberté dès la fin de son interrogatoire. Selon cette journaliste, Aziz Bouabdallah est détenu au secret à la caserne Châteauneuf d’Alger. Ces propos sont confirmés par des membres de la rédaction d’El-Alam el-Siyassi. Le 19 avril, El Watan revient sur ces informations dans un article laconique sans rapport avec ses affirmations de la veille :  » Préoccupés par la disparition du journaliste (…) le Comité de défense de la liberté de la presse interpelle les pouvoirs publics pour que toute la lumière soit faite sur les circonstances de cette disparition « , écrit le journal. Depuis, aucune nouvelle sur le sort du journaliste n’est disponible auprès des autorités ou des journalistes algériens. Dans un courrier à RSF en date du 30 juin, l’ambassade d’Algérie à Paris affirme que  » suite aux investigations entreprises sous le contrôle du ministère de la Justice, il s’avère que l’intéressé est inconnu des services de sécurité, qu’il ne fait l’objet d’aucun mandat et qu’il n’a pas été arrêté, ni détenu « . Finalement, deux mois plus tard, un journaliste algérien affirme à RSF que Aziz Bouabdallah est décédé des suites des tortures infligées par les services de sécurité lors de son arrestation. Une autre source, proche des services de sécurité, rapporte que le corps du journaliste aurait été retrouvé dans la banlieue ouest d’Alger deux mois après sa  » disparition « .

Journalistes incarcérés

Le 19 mars 1997, Abdelkader Hadj Benaâmane, correspondant à Tamanrasset de l’agence de presse officielle APS, est remis en liberté conditionnelle – ce qui signifie qu’il ne peut quitter le territoire national avant le 19 mars 1998 – après avoir purgé les deux tiers de sa peine. Il avait été condamné à trois ans de prison en juillet 1995 pour avoir transmis sur le fil  » hors-service « , destiné aux ministères de souveraineté (Intérieur, Défense, Affaires étrangères, Justice et Economie) et à la présidence de la République, une information relative au transfert de Ali Benhadj, numéro deux du Front islamique du salut (FIS) de son lieu de résidence surveillée à Alger vers une prison de Tamanrasset. Abdelkader Hadj Benâamane avait été arrêté le 28 février 1995, mais son arrestation n’avait été révélée que le 18 avril de la même année. Le 12 juillet suivant, il avait été condamné, dans un procès à huis clos, par le tribunal militaire de Tamanrasset en vertu de l’article 86 du code de l’information, qui stipule que  » quiconque publie ou diffuse des informations erronées ou tendancieuses, de nature à porter atteinte à la sûreté de l’Etat et à l’unité nationale, est puni de réclusion d’une durée de cinq à dix ans « .

Le 28 avril, Saad Lounès, directeur du quotidien privé El Ouma et de la Sodipresse, la première imprimerie privée d’Algérie, est condamné par le tribunal de Chéraga à trente mois de prison ferme pour « émission de chèque sans provision ». Détenu depuis le 11 avril 1997, Saad Lounès est également condamné à verser des dommages d’un montant de 200 000 dinars (20 000 francs, 3 300 dollars) à la Société d’impression d’Alger (SIA). C’est pour avoir émis un chèque sans provision de 2 000 000 de dinars (200 000 francs, 33 000 dollars) à la société publique que le journaliste est condamné. L’arrestation de Saad Lounès est accompagnée de l’interdiction de paraître d’El Ouma et de la mise sous scellés des locaux de l’imprimerie. Le journaliste est remis en liberté le 16 juin par la cour d’appel de Blida, qui réduit sa peine à six mois de prison avec sursis après encaissement du montant de la dette. Mais les autorités refusent d’autoriser la parution du quotidien et maintiennent les locaux de l’imprimerie Sodipresse sous scellés. Le tribunal d’El Harrach ordonne également la saisie des biens de la Sodipresse. Les avocats de Saad Lounès se pourvoient en cassation devant la Cour suprême. Dans l’édition du vendredi 4 et samedi 5 avril, l’éditorial d’El Ouma, écrit par Saad Lounès, dénonçait le parti présidentiel, le Rassemblement National Démocratique (RND), créé quelques semaines avant la tenue des élections législatives du 5 juin 1997. Selon la rédaction du journal, c’est en raison de cet article, mais surtout de la volonté des autorités de contrôler toutes les imprimeries du pays, qu’El Ouma et la Sodipresse ont été contraints de stopper leurs activités.  » De fait, le litige financier invoqué n’est qu’un alibi « , déclare Saad Lounès.

Pressions juridiques, administratives, économiques

Le 22 janvier 1997, l’hebdomadaire privé Ouest Info reçoit un ordre d’expulsion de la part de l’Office public de gestion immobilière (OPGI), qui gère les logements publics. Le journal est poursuivi en justice par l’OPGI pour occupation illégale de ses locaux. Ouest Info, qui est installé dans les lieux depuis août 1995, dénonce l’attitude de l’OPGI en estimant, dans un communiqué, être victime d’une mesure de rétorsion de la part du directeur de l’organisme après la parution d’articles dénonçant sa mauvaise gestion. « Le directeur de l’OPGI ne nous a jamais pardonné de l’avoir dénoncé [pour] avoir outrepassé ses prérogatives et terni l’image de nos institutions », écrit la direction du journal. L’hebdomadaire, qui porte plainte contre le directeur de l’OPGI, obtient gain de cause et conserve le bénéfice de ses locaux. Le 12 février, le directeur de l’OPGI est interpellé puis placé sous mandat de dépôt pour malversation.

Le 31 juillet, Omar Belhouchet, le directeur du quotidien privé El Watan, et Nacéra Benali, journaliste, sont condamnés à six mois de prison avec sursis par le tribunal d’Alger. Quatre autres journalistes d’El Watan sont condamnés à quatre mois de prison avec sursis. Les six journalistes sont poursuivis pour avoir prématurément diffusé, en janvier 1993, une information relative à l’assassinat de cinq gendarmes près de Laghouat (400 km au sud d’Alger) par un groupe islamiste armé. Les six journalistes font appel de ce verdict.

Le 5 novembre, Omar Belhouchet est condamné à un an de prison ferme pour  » outrage à corps constitué  » en raison de déclarations faites en octobre 1995 à la chaîne de télévision française Canal +. Dans cette interview, le directeur d’El Watan déclarait :  » Il y a des journalistes qui gênent le pouvoir. Et je ne serais pas étonné demain si j’apprenais que certains de mes collègues ont été assassinés par des hommes du pouvoir ». Ayant immédiatement fait appel, le journaliste demeure en liberté.

Le 5 novembre, Yassir Benmiloud, chroniqueur du quotidien privé El Watan, et Omar Belhouchet, directeur du journal, sont entendus par les services de la sûreté d’Alger pour un billet, paru le 29 octobre, dans lequel le chroniqueur s’en prenait vivement au président de la République, Liamine Zeroual, à son conseiller, le général Mohamed Betchine, et au chef des services de renseignements algériens, le général Mohamed Mediene. Le colonel de la  » sécurité militaire  » algérienne chargé de la presse ordonne à Yassir Benmiloud de rédiger une lettre d’excuses aux trois dirigeants du pays. Au sortir de l’interrogatoire, Yassir Benmiloud est  » enlevé  » par quatre hommes en civil, des agents des services de renseignements algériens. Officiellement, il est porté disparu, mais les services du gouvernement crient à la  » manipulation médiatique « . El Watan publie en effet un bandeau signalant :  » Il ne dira rien, YB est porté disparu depuis hier.  » En réalité, Yassir Benmiloud a été  » mis au vert  » par la  » sécurité militaire  » dans le cadre de négociations entre le chef des services de renseignements et le président de la République, principale cible de la chronique du journaliste. Il réapparaît le 8 novembre, mais refuse de livrer les secrets de sa mystérieuse disparition. A la suite de sa réapparition publique, Yassir Benmiloud et Omar Belhouchet sont entendus à plusieurs reprises par la sûreté d’Alger, mais ces convocations ne donnent lieu à aucune inculpation officielle.

Entraves à la circulation nationale de l’information

Le 15 janvier 1997, l’hebdomadaire arabophone privé Al Mouad est saisi avant parution par les autorités.  » Nous avons appris par la direction de l’imprimerie que le journal était saisi, mais les autorités ne nous ont fourni aucune raison « , déclare un membre de la rédaction. L’édition censurée contenait un commentaire sur de récents massacres de villageois attribués aux groupes islamistes armés ainsi qu’un article sur l’émir Abdelkader, héros de la résistance algérienne face à la colonisation, dont la résidence à Damas aurait été transformée en boîte de nuit, selon le journal. Al Mouad avait déjà été interdit de parution à trois reprises ces trois dernières années. Le journal est dirigé par Abdelkader Talbi, un ancien responsable de la télévision nationale.

Le 27 janvier, le matériel informatique de l’hebdomadaire privé Al-Kilâa, installé à Tébessa, près de la frontière tunisienne, est saisi par un huissier de justice accompagné d’agents des forces de l’ordre. Tous les ordinateurs et les imprimantes de la rédaction sont emportés, empêchant de fait la parution du titre. Aucune raison n’est fournie à la direction du journal pour justifier cette mesure. Le 20 mai 1996, le directeur de l’hebdomadaire avait été incarcéré pendant six jours en raison d’un article évoquant l’absence du wali (préfet) de Tébessa lors d’une cérémonie officielle.

Le 11 février, le quotidien privé La Tribune, suspendu pour une durée de six mois depuis le 4 juillet 1996, est de nouveau disponible dans les kiosques. Le 4 janvier 1997, les scellés placés sur les locaux du journal avaient été enlevés, autorisant la reparution du titre. Le journal avait été suspendu début juillet 1996 pour avoir publié une caricature jugée  » offensante  » pour le drapeau algérien. L’auteur du dessin, Chawki Amari, avait été placé sous mandat de dépôt et détenu pendant un mois. Le siège du journal était mis sous scellés et le directeur de la publication, Khaireddine Ameyar, ainsi que la directrice de la rédaction, Baya Gacemi, placés sous contrôle judiciaire. Lors du procès en appel, le 3 septembre, le caricaturiste avait été condamné à trois ans de prison avec sursis, et Khaireddine Ameyar ainsi que Baya Gacemi à un an de prison avec sursis. Malgré l’ordre du juge autorisantla reparution du titre, les scellés étaient demeurés en place.

Le 12 février, les forces de l’ordre empêchent les journalistes de commémorer le premier anniversaire de l’attentat contre la Maison de la presse. Cet attentat avait fait plus de vingt morts, dont trois journalistes du quotidien privé Le Soir d’Algérie.

 

Entraves à la circulation internationale de l’information

Le 19 avril 1997, Arezki Aït-Larbi, correspondant en Algérie des quotidiens français Le Figaro et Ouest France et de l’hebdomadaire Le Point, voit le renouvellement de son accréditation refusé par le ministère algérien des Affaires étrangères. En 1995, son accréditation comme correspondant du quotidien La Libre Belgique n’avait pas été renouvelée au motif que  » M. Arezki Aït-Larbi est membre d’une organisation extrémiste clandestine « , selon le ministre conseiller de l’ambassade d’Algérie à Bruxelles. La demande de renouvellement de l’accréditation pour Le Figaro, Ouest France et Le Point avait été déposée en décembre 1996. Pour seule réponse, et malgré les courriers transmis au ministre algérien des Affaires étrangères, un fonctionnaire de ce ministère répond qu' » après enquête appronfondie, [la] demande a été rejetée ».

Le 27 août, le gouvernement algérien décide de  » geler  » l’importation des revues spécialisées et des livres. Le ministre de la Culture et de la Communication, Habib Chawki Hamraoui, justifie cette mesure par  » l’anarchie qui règne dans ce secteur « , en attendant l’élaboration de textes appropriés. La décision de  » gel  » de l’importation de la presse étrangère avait été prise en septembre 1996.

Le 29 septembre, l’accréditation de l’un des journaliste au bureau d’Alger de l’Agence France Presse est retirée par le ministère des Affaires étrangères. Lors de sa convocation, un responsable de ce ministère informe le journaliste que son accréditation de correspondant étranger, délivrée au titre de l’année 1997, lui est retirée, sans préciser la durée ou les motifs de cette décision. A la suite d’une protestation de la direction de l’agence, le ministère des Affaires étrangères indique que l’AFP a déjà été  » avertie  » quant à sa couverture des violences en Algérie, et qu’il y a  » récidive « . Le journaliste est donc désormais dans l’incapacité d’exercer son métier.

Le 23 octobre, plusieurs journalistes étrangers sont empêchés de se rendre en Algérie pour couvrir les élections municipales et communales qui se déroulent dans le pays. Les envoyés spéciaux du quotidien français Libération, des hebdomadaires français Le Nouvel Observateur et L’Express, de la chaîne de télévision franco-allemande Arte et de l’AFP-photo notamment ne parviennent pas à obtenir leur visas pour se rendre sur place. Ces refus de visas ne sont pas motivés par l’ambassade d’Algérie à Paris. Ils interviennent quelques jours après le retrait de l’accréditation d’un journaliste du bureau de l’AFP et du correspondant de Reuters à Alger.

Le 4 novembre, les députés algériens ne peuvent plus suivre les bulletins d’informations d’Euronews sur les téléviseurs installés dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. La chaîne de télévision européenne avait diffusé les images des manifestations de l’opposition organisées contre la fraude lors des élections locales du 23 octobre. Le président de l’Assemblée est également le chef du Rassemblement national démocratique (RND), grand vainqueur du scrutin.