Me Benissad: «Nous allons réinvestir le terrain»

NOUREDDINE BENISSAD, NOUVEAU PRÉSIDENT DE LA LADDH, À L’EXPRESSION

«Nous allons réinvestir le terrain»

Par Kamel LAKHDAR-CHAOUCHE, L’Expression, 28 avril 2012

Vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme depuis novembre 2007, M.Benissad est avocat de profession. Il débute sa carrière comme cadre supérieur dans le secteur public avant de s’inscrire, en 1989, au barreau d’Alger. M.Benissad est devenu, depuis le mois d’avril, nouveau président de la Laddh, succédant ainsi à Mostefa Bouchachi.
Dans cette interview, il revient sur quelques aspects des droits de l’homme en Algérie.

L’Expression: Quel est le nouveau programme d’action que la Laddh compte mettre en oeuvre?
Noureddine Benissad: Le seul programme de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme que j’ai l’honneur de présider et comme l’ont fait tous mes prédécesseurs, est celui de continuer à défendre les droits de l’homme, tous les droits de l’homme ainsi qu’à les protéger et les promouvoir. Cependant, nous comptons, aujourd’hui, lancer avec d’autres partenaires de la société civile des campagnes thématiques sur les violences à l’égard des femmes, sur les conditions de détention dans les prisons, sur la peine de mort, le travail des enfants, la corruption, les harraga, le droit à la reconnaissance de tamazight comme langue officielle. Nous comptons aussi lancer l’idée de la convocation des états généraux sur la justice pour débattre des vrais problèmes du fonctionnement de la justice(du principe de la présomption d’innocence qui est battu en brèche, du recours abusif à la détention provisoire, de la suppression dans la pratique de la mise en liberté des prévenus en instance d’être jugés alors qu’elle est prévue par la loi, des droits de la défense et du procès équitable), le droit des migrants et axer aussi sur la formation de nos militants concernant les concepts et les différentes conventions internationales relatives aux droits de l’homme.

Comment qualifiez-vous l’absence de la société civile dans l’observation du déroulement des élections législatives prochaines?
Les préoccupations de la Laddh ne sont pas dans ce type de question. Par contre, le pouvoir politique n’arrive pas à changer son logiciel et le regard qu’il a vis-à-vis de la société civile et empêche la société à s’organiser de manière autonome. La société civile doit être perçue comme un contre-pouvoir pour contrecarrer tous abus, un espace de médiation aux conflits sociaux, qui peut être une vraie force d’intermédiation, de propositions et de construction. Les Algériens sont exclus du débat public parce qu’il n’y a pas de débat du tout sur les questions qui les intéressent, comme la justice, l’école, la hogra et l’arbitraire, la santé, l’exercice des libertés, etc. Parmi les médias lourds, l’audiovisuel est complètement fermé au débat contradictoire et à toute voie discordante.

Qu’en est-il de l’état des droits de l’homme en Algérie?
Il faut dire que la problématique des droits de l’homme est liée au degré de démocratisation d’un pays. On pourrait même dire qu’un régime véritablement démocratique est une condition d’existence des droits de l’homme.
Pour répondre à votre question, on a l’impression qu’il y a deux Algériens: l’Algérien d’en haut et l’Algérien d’en bas, ceux qui s’enrichissent de plus en plus et ceux qui s’appauvrissent de plus en plus.
La question de la répartition inéquitable de la richesse nationale doit être posée, les échecs successifs des politiques de développement, l’école qui est délabrée, un système de santé décrié, une partie des citoyens qui est privée de sa langue maternelle, les droits des catégories sociales les plus vulnérables qu’il faut faire respecter:les droits des chômeurs, les droits des malades, les droits des retraités, les droits des femmes, les droits des sans-logis, les droits des migrants, les droits des enfants. Il faut transformer les droits de l’homme en cause civique. On ne saurait se reposer uniquement sur le pouvoir ou sur les juges pour garantir les libertés et les droits. Le respect des droits de l’homme dépend aussi de la capacité des citoyens à se mobiliser pour les défendre, à les transformer en «cause» civique. Les droits de l’homme suscitent, de fait, de larges mouvements d’opinion et de nouvelles formes d’engagement, distinctes du militantisme politique et social traditionnel.

Comment qualifiez-vous l’absence de débat durant cette campagne électorale sur la future Constitution?
Je ne sais pas ce que sera la future Constitution mais le Parlement prochain et en vertu de la Constitution en vigueur et de la loi organique portant régime électoral, sera d’une mandature de 5 ans et ne sera pas par conséquent une Assemblée constituante.
Car la Constituante doit remplir deux conditions sine qua non:primo, une instance transitoire et secundo, une instance qui est en même temps l’exécutif et le législatif. Le futur Parlement doit rassembler en son sein trois quarts de ses membres pour initier un projet de Constitution. Avec le mode de scrutin et l’émiettement des partis, je ne vois pas comment arriver à remplir cette condition.
La ligue et les militants des droits de l’homme, là ou ils se trouvent continueront à dire que l’oubli, l’ignorance ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et des tempêtes qui soufflent dans le Monde arabe et même ailleurs avec le mouvement des indignés. Il faut rappeler sans cesse à tous les membres du corps social leurs droits, leurs pouvoirs et leurs limites respectives.