Erdogan aujourd’hui à Alger

Erdogan aujourd’hui à Alger

L’enjeu du leadership diplomatique

El Watan, 19 novembre 2014

La Turquie tente de jouer un rôle de leadership dans la région arabo-musulmane, en activant de plus en plus sa diplomatie sur le dossier palestinien, mais aussi en cherchant à s’impliquer dans le règlement d’autres crises, comme celle de la Libye.

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, arrivera aujourd’hui à Alger pour une visite d’Etat de deux jours. Venu déjà en Algérie en tant que Premier ministre, M. Erdogan sera accompagné d’une forte délégation d’hommes d’affaires turcs composée de plus de 300 chefs d’entreprise activant dans divers domaines.Le président turc s’entretiendra avec son homologue Abdelaziz Bouteflika, avant de rencontrer le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, et ceux de l’Industrie, du Commerce et du Travail. Cette visite, ainsi que l’a déclaré l’ambassadeur turc à Alger, vise à renforcer «l’excellence» des relations liant les deux pays. Historiquement, l’Algérie a toujours eu de bonnes relations avec la Turquie (ancien empire ottoman).

Des relations qui ne cessent de se développer pour atteindre des niveaux jamais enregistrés ces dernières années. Ce rapprochement à la fois politique mais aussi économique se traduit par une nette augmentation du volume global des échanges commerciaux, qui se rapprochent des 10 milliards de dollars. Pays émergent, qui fait partie des 20 plus grandes puissances du monde, la Turquie tente de jouer un rôle de leadership dans la région arabo-musulmane, en s’impliquant de plus en plus et d’une manière claire dans le dossier palestinien mais aussi en cherchant à participer au règlement d’autres crises, comme celle de la Libye, plongée dans un chaos inscriptible qui impacte fortement la situation sécuritaire en Afrique du Nord et dans la sous-région sahélo-sahélienne.

La visite d’Erdogan revêt ainsi un cachet particulier, en ce sens qu’elle intervient dans un contexte géopolitique tendu, avec de graves menaces émanant de l’exaspération de la situation politico-sécuritaire en Libye et ses conséquences directes sur la région. Ce dossier, délicat et urgent, sera fortement abordé lors de cette visite, notamment avec Abdelmalek Sellal et Ramtane Lamamra. L’Algérie, porteuse d’une initiative visant à désamorcer cette crise et à rassembler les différentes parties belligérantes autour d’une même table pour un dialogue inclusif, aura assurément besoin de l’apport de la Turquie qui, faut-il le souligner, a une certaine emprise et une influence sur quelques groupes islamistes libyens. En contrepartie, la Turquie va écouter attentivement l’analyse de l’Algérie sur la situation dramatique en Syrie, un pays déstabilisé dont le Nord, proche de la frontière turque, est infesté par les groupes terroristes affiliés à l’Etat islamique (Daech).

Contexte géopolitique tendu

Le gouvernement d’Erdogan, issu de l’AKP (parti islamiste modéré) qui a fortement soutenu la rébellion syrienne contre le régime de Bachar Al Assad, est pointé du doigt pour avoir aidé des groupes armés qui se sont ralliés à Daech qui sème la mort, non seulement en Syrie et en Irak mais aussi ailleurs dans le monde. De par sa position géographique et sa puissance militaire (membre de l’OTAN), la Turquie pourra être d’un grand appui à l’Algérie décidée à combattre Daech par tous les moyens. Cela en plus de constituer un bon modèle pour l’islamisme politique en Algérie, qui a payé un lourd tribut à cause de l’islamisme radical. Les deux pays vont ainsi examiner les possibilités de renforcer leur coopération sécuritaire mais aussi coordonner un peu plus leurs efforts sur des dossiers comme la Palestine et la Libye.

L’arrivée d’Erdogan en Algérie va coïncider avec le début des travaux préparatoires à Malabo, en Guinée équatoriale, du deuxième sommet Afrique-Turquie prévu vendredi. La Turquie s’appuie ainsi sur l’Algérie en tant que membre fondateur du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) pour la réussite de ce sommet par lequel Erdogan cherche à «ressusciter» l’ancien empire ottoman. Outre le volet économique et géopolitique, les relations algéro-turques ont une forte dimension humaine, qui se traduit par l’important mouvement des personnes dans les deux sens.

En effet, il y a beaucoup d’Algériens qui partent, pour des raisons commerciales notamment, en Turquie qui délivre annuellement plus de 50 000 visas. Et dans l’autre sens, de plus en plus de Turcs viennent travailler en Algérie. Il faut savoir qu’il n’y a pas seulement que des salariés dans les entreprises turques détentrices de marchés et de projets d’infrastructures, il y a aussi des Turcs qui créent de petites sociétés dans divers domaines.

Mokrane Ait Ouarabi


Du commerce et… de l’investissement

Les relations économiques entre la Turquie et l’Algérie ont pris un véritable essor ces dernières années, particulièrement après la signature, en 2006, d’un accord d’amitié et de coopération en guise d’axe de partenariat stratégique.

L’investissement turc en Algérie est illustré notamment par le complexe sidérurgique Tosyali inauguré, en juin 2013 à Oran, par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et Recep Tayyip Erdogan alors Premier ministre de Turquie.
L’usine sidérurgique Tosyali Iron and Steel, érigée dans la zone industrielle de Bethioua à Oran, a nécessité un investissement de 750 millions de dollars, pour une capacité de production annuelle initiale de près de 1,3 million de tonnes. En plus de la sidérurgie, le secteur du textile turc est bien représenté, notamment à travers des accords de partenariat devant permettre de relancer l’activité d’usines algériennes en mal de modernisation et de marché.

C’est le cas pour le partenariat conclu entre le groupe public national Confection et habillement (C&H) et des entreprises turques pour la mise en place de deux manufactures à Relizane et Béjaïa. Il s’agit d’un projet de réalisation d’un grand pôle industriel des textiles sous la dénomination «L’Algérienne du sportswear» (Tayal), qui coûtera 155 milliards de dinars et devrait générer près de 25 000 emplois, selon le PDG du groupe C&H. Interviewé par l’APS, Ahmed Benayad a rappelé hier que le grand pôle industriel des textiles Tayal a été créé en décembre 2013, à hauteur de 51% pour la partie algérienne, à travers le groupe C&H (30%), et l’entreprise publique algérienne de textiles,Texalg, (21%), et à 49% pour la société turque Intertay, filiale du groupe Taypa.

Le futur complexe sera réalisé sur le site du nouveau parc industriel de Sidi Khettab à Relizane ; sur une superficie de 250 hectares, selon le PDG du groupe C&H. Il table sur la création de 10 000 postes de travail durant les trois premières années d’activité ; dont 500 seront attribués à des spécialistes étrangers afin d’assurer le transfert du savoir-faire. Il est à noter qu’en dehors de la sidérurgie et du textile, les 200 entreprises turques présentes en Algérie activent surtout dans le domaine du commerce, la construction ou encore les produits d’hygiène corporelle et les détergents, à l’image de la société Hayat.

Selon une note de l’ambassadeur de Turquie en Algérie, Adnan Keçeci, publiée sur le site internet de l’ambassade, les échanges commerciaux entre les deux pays ont atteint plus de 5 milliards de dollars. «Nous vendons (pour une valeur de 2 milliards de dollars) des matériaux et des produits finis, comme les matériaux de construction, les équipements de voitures et le textile et quelques produits de pétrochimie. Par contre, nous importons de l’Algérie, pour une valeur d’environ 3 milliards de dollars, des hydrocarbures, notamment du gaz liquéfié. Ce qui représente plus de 90% de nos importations. Nous avons renouvelé récemment le contrat d’achat de gaz, datant de 1995, pour 10 ans», rappelle encore l’ambassadeur turc en Algérie.
Zhor Hadjam