«La répudiation représente 49% des divorces, le khol’â 11%»

Nadia Aït Zaï. Directrice du CIDDEF

«La répudiation représente 49% des divorces, le khol’â 11%»

El Watan, 20 février 2018

Directrice du Ciddef (Centre d’information et de documentation sur les droits des femmes et des enfants), la juriste Nadia Aït Zaï revient dans l’entretien qu’elle nous a accordé sur les inégalités contenues dans le code de la famille, notamment en matière de divorce. Elle constate que la répudiation, qui constitue 49% des divorces, est parfaitement acceptée, pendant que le khôl’â, qui ne représente que 11% des divorces, est diabolisé.

– A chaque fois que la question du divorce est soulevée, le débat est tout de suite orienté vers la procédure du khol’â, qui donne le droit à la femme de se libérer d’un mariage douloureux, moyennant une compensation financière. Selon vous, pourquoi une telle digression ?

Vous savez, la loi criminalisant la violence conjugale votée par l’Assemblée populaire nationale en mars 2015 n’a été adoptée que le 10 décembre 2015 par le Sénat, soit huit mois d’attente pour les femmes, la société civile et tous les citoyens soucieux de leur sécurité en raison de la levée de boucliers du courant islamo-conservateur, sous prétexte que cela disloquerait la famille. C’est ce même courant qui depuis quelques années conteste le khôl’â, utilisé par les femmes pour se libérer d’une union conjugale difficile et éprouvante.

Cette agitation semble, encore une fois, avoir atteint les pouvoirs publics puisque le président de la République, dans son discours du 8 mars 2015, a ordonné une révision du code de la famille en ses articles concernant le divorce et particulièrement le khôl’â, une tâche qui devait être confiée à un comité ad hoc.

Pour le Président, ces dispositions «prêtent à interprétation», il faut donc y introduire les clarifications et précisions. A défaut d’un comité ad hoc, vraisemblablement c’est le Haut-Conseil islamique qui va donner un avis. C’est une bonne chose, mais il doit analyser toutes les formes de divorce prévues par le code de la famille pour ne pas diaboliser le khôl’â, qui semble dénoncé parce que les femmes y ont recours.

Nous constatons que la répudiation est parfaitement acceptée, mais on s’émeut lorsque l’épouse utilise le khol’â. Pourtant, cette forme de résiliation du lien du mariage ne représentait, entre 2007 et 2011, que 11% des divorces. Il faut noter que le khol’â, ce droit de l’épouse à divorcer (à répudier) de son mari est une possibilité accordée par le droit musulman à travers le Coran, notamment la sourate 2-229, en contrepartie d’une compensation matérielle.

Le code de la famille a repris cette règle affinée par la Cour suprême, qui a mis fin à un abus d’interprétation de la règle par les juges qui exigeaient l’accord de l’époux. Elle a affirmé que la demande de khôl’â n’était plus subordonnée à l’acceptation de l’époux. De ce fait, l’expression «sans l’accord du mari» a été introduite en 2005, dans l’article 54 du code de la famille.

En cas de désaccord sur la compensation financière, le juge ordonne le versement d’une somme dont le montant ne saurait dépasser la valeur de la dot de parité. Il n’est pas superflu de répéter qu’en droit musulman, la répudiation est un droit qui permet à l’époux de rompre le lien conjugal sans motif. Le corollaire de ce droit est le khôl’â qui est le droit de la femme à demander la rupture du lien conjugal sans l’accord de l’époux.

– Pourquoi ce droit est-il aujourd’hui contesté ?

Nous pensons qu’il faut chercher les raisons dans la liberté de la femme à utiliser son droit de répudier son mari et comment l’époux reçoit cette forme de rupture. L’époux, ou l’ex-époux considère cette liberté de répudier comme une atteinte à sa dignité, à son pouvoir, à son autorité sur la femme. Mais ceux qui s’élèvent contre le khol’â ou ceux qui ont abusé de la répudiation après 20, 30 ou 40 ans de vie commune se sont-ils interrogés sur les sentiments de l’épouse ? N’est-ce pas une atteinte à sa dignité et à sa personne ?

Se sont-ils interrogés sur les dégâts causés par ce mode de rupture qui disloque la structure familiale et met dans une situation de précarité femme et enfants, parce que le domicile conjugal revient à l’époux, et ce, malgré l’obligation faite au père d’assurer un logement au gardien des enfants ? Pourquoi la femme a-t-elle recours à ce procédé ? Elle ne le fait pas de gaieté de cœur.

Elle en use après mûre réflexion, car son souci principal est la préservation de la cellule familiale et l’intérêt des enfants. Elle utilise cette forme de rupture du lien conjugal parce qu’il est difficile de demander le divorce dans les 10 cas prévus par l’article 53, assujettis à une preuve ou à la production d’un jugement pénal pour quelques-uns des cas. Pour preuve, seulement 8% des divorces ont été obtenus par les femmes sous la forme de «Tatlik» suivant l’article 53 du code de la famille.

Comment une femme peut-elle, par exemple, prouver le délaissement de la couche par le mari ou prouver une aversion pour le mari ? Les épouses ont de plus en plus recours au khôl’â, car cette forme de divorce est plus facile à obtenir pour une raison simple : elle ne nécessite pas de preuves. Des arguments allégués suffisent, tout comme cela est admis pour la répudiation.

Bien que le taux de demandes de divorce par khol’â est bien plus faible que celui de la répudiation, il serait plus judicieux, pour rétablir un équilibre ou une égalité entre les époux, que le législateur modifie les dispositions de l’article 48 relatives au divorce en introduisant la combinaison des deux droits des époux et en affirmant que le divorce peut être demandé par l’une ou l’autre partie sans motifs justifiés moyennant réparation à la partie lésée par cette demande.

– Pourquoi le droit à la répudiation unilatérale de l’épouse dont usent et abusent les hommes n’a pas été dénoncé comme l’a été le khol’â ?

Il y a une inégalité flagrante dans la demande de rupture du lien conjugal. Autant pour le mari la demande est simplifiée, rapide, sans obstacle lorsqu’il exerce sa volonté unilatérale (répudiation), autant pour la femme c’est le parcours du combattant, car il lui faut apporter des preuves, difficiles à trouver, telles que prévues par l’article 53 du code de la famille. Effectivement, des clarifications et précisons doivent être faites à ce niveau.

Par contre, le khôl’â, demande faite par la femme, ne souffre aucune ambiguïté puisque la Cour suprême a reconnu que c’est un droit de la femme tout en précisant que l’accord du mari n’était pas nécessaire, sauf pour la fixation du montant de la compensation financière. Un simple examen des formes de divorce prévues par le code de la famille fait ressortir les articles qui nécessitent une clarification. C’est à travers les chiffres du divorce que nous pouvons dire si le khôl’â est la forme de divorce qui déstructurerait la famille.

La répudiation n’a jamais embarrassé ceux qui l’utilisent et pourtant, comme nous allons le voir, le nombre est trois fois plus élevé que le khôl’â. Le plus important pour la société est de voir quelles sont les formes de divorce qui mettent en péril la structure familiale et déstabilisent sur le plan psychologique les enfants.

Les statistiques de l’Ons montrent que le nombre des mariages est passé de 331 190 (en 2008) à 387 947 (en 2013), et les divorces ont augmenté de 39 190 (en 2008), à 57 461 (en 2013). La moyenne du nombre des divorces est donc passée de 12 à 15% et est restée stable depuis 2011. En Tunisie, ce taux est de 13% pour 91 590 mariages, alors qu’au Maroc il est de 15,4% pour 364 367 mariages, et reste en hausse par rapport à celui de 2010.

Il faut rappeler qu’hormis le code du statut personnel tunisien modernisé par Bourguiba sans se détacher de l’islam, les codes marocain et algérien, revisités respectivement en 2004 et 2005, ont permis à ces deux pays de retrouver leur identité religieuse et culturelle aux indépendances et à réintégrer des valeurs propres dans les rapports familiaux en tant que domaine privé par excellence.

D’ailleurs, la particularité du droit maghrébin de la famille, c’est qu’il est puisé dans des sources sacrées et parfois sacralisées. Le droit musulman se présente comme la référence centrale autour de laquelle d’autres sources sont susceptibles de se greffer.

– Mais c’est dans le chapitre consacré à la dissolution du mariage qu’apparaissent les inégalités les plus frappantes entre les époux…

Effectivement. Dommage que les chiffres de l’Ons ne donnent pas les catégories de divorces. Pour cerner les différentes formes et mesurer l’ampleur de chacune d’elles, il faut revenir au code de la famille et aux chiffres du ministère de la Justice. L’article 48 du code de la famille prévoit : le divorce par volonté unilatérale qui est de fait la répudiation déguisée, Talaq, le divorce par consentement mutuel, le divorce pour raisons graves, à la demande de l’épouse, Tatliq et le divorce par khol’â, à la demande de l’épouse moyennant le «rachat».

Si l’on se réfère aux chiffres du ministère de la Justice, nous constatons que le khôl’â vient en troisième position des cas de divorces, après la répudiation et le divorce par consentement mutuel. En effet, sur les 216 434 divorces enregistrés entre 2007 et 2011, 106 614 par répudiation, soit 49% et 69 513 par consentement mutuel, soit 32%. Les cas de khôl’â ont atteint le 23 316, soit 11% des divorces et on a enregistré 16 991 cas de Tatlik, soit 8% de la totalité des divorces.

Vous voyez donc que c’est la répudiation déguisée qui se taille la part du lion avec près de la moitié des divorces et non pas le khôl’â. Le code de la famille la présente dans l’article 48 sous forme de divorce exprimé selon la volonté unilatérale du mari et dans les articles 51 et 56 comme «un divorce par répudiation». Le ministre de la Justice avait rendu publics les chiffres du divorce pour l’année 2017 sans les catégoriser.

Selon lui, sur les 349 544 mariages, il y aurait eu 68 000 divorces, soit 19,54%. Il a précisé qu’entre 2012 et 2017, la moyenne annuelle des divorces s’est établie à 60 602 cas, un taux, avait-il souligné, «faible» par rapport aux pays arabes et européens. Il faut savoir que la répudiation est un procédé qui remonte à l’époque pré-islamique. Elle était pratiquée avec une facilité extrême sans formalités ni conditions. Avec l’avènement de l’islam, cette institution qui n’a pas été abrogée a toutefois été réglementée afin d’en atténuer les conséquences fâcheuses et d’en réduire l’usage.

Les versets du Coran imposent une ligne de conduite et des règles morales aux hommes qui répudient leurs femmes. Les auteurs musulmans ont édifié toute la réglementation minutieuse de l’institution sur la base des quelques versets coraniques qui s’adressent aux hommes au sujet de la répudiation. Dans leur effort propre d’interprétation, les juristes musulmans ont déduit que la répudiation ne peut être qu’un droit exclusif qui appartient à l’époux et à lui seul, selon son bon gré, sans besoin de justifier du bien-fondé de sa décision.

Certains auteurs disent que ce droit est confié à l’époux parce que, selon eux, son esprit est supposé être plus pondéré par rapport à celui de la femme. De ce fait, celle-ci est totalement exclue du processus de décision lors de la rupture du lien matrimonial, tandis que l’homme détient tout ce pouvoir. Le divorce étant judiciaire en Algérie, le juge ne demandera pas les raisons de la rupture selon la volonté unilatérale.

Il est vrai qu’il procédera aux trois tentatives de conciliation obligatoires entre les parties, mais en dernier ressort il ne fera qu’entériner la volonté de l’époux. La particularité de notre législation, c’est d’avoir décidé que le jugement de divorce n’est pas susceptible d’appel.

Il est définitif dès son prononcé en première instance. La fragilité du lien conjugal trouve sa source principale dans l’institution de la répudiation sans appel. La stabilité familiale est touchée par cette forme de plus en plus usitée depuis 1984. Le législateur considère ce mode de rupture du lien conjugal comme étant un divorce abusif nécessitant réparation.

Mais, pour éviter que le tribunal ne considère le divorce comme abusif, l’époux fait souvent état de l’insubordination de sa femme, c’est-à-dire «fi halat el nouchouz». Pour comprendre cette notion d’insubordination, il faut aller vers le texte religieux sur lequel s’appuient les défenseurs de cet argument. «Pour celles dont vous craignez l’inconduite, vous pourrez les blâmer, les éloigner de votre couche, les corriger même si besoin est.

Si elles se font soumises, vous ne tenterez rien contre elles». Ce verset ne concerne que les cas d’inconduite et d’infidélité de la femme, parce que «les femmes vertueuses restent à leur époux absent et maintiennent intact ce que Dieu a prescrit de conserver». Qu’entend-on alors par inconduite ?

Selon le chercheur tunisien Tahar Haddad, la correction dont il est question dans le verset ne vient qu’en troisième position. Elle n’intervient que pour redresser les défauts de la femme et la rendre plus consciente de ses devoirs afin de préserver les relations conjugales de la lassitude qui aboutit généralement, dit-il, à la rupture.

L’époux éduque sa femme en prodiguant des conseils, puis montrer une certaine froideur en faisant lit à part et non pour une longue durée, enfin en la corrigeant. Seulement, ajoute Tahar Haddad, la correction n’avait dans l’esprit de tous les législateurs aucun sens de brutalité ou de violence. L’inconduite est donc considérée comme l’incapacité pour la femme de rectifier ses défauts qui peuvent déplaire au mari. Si elles se font soumises, vous ne tenterez plus rien contre elles.

La soumission doit-elle être le fondement des relations entre les hommes et les femmes ? L’article 55 du code de la famille emploie ce terme en arabe lorsqu’il s’agit d’un abandon de famille par l’un des époux, le juge accorde alors le divorce et le droit aux dommages et intérêts. Dans cet article, le «nouchouz» est traduit en français par l’abandon du domicile conjugal. Il a vite été transformé en insubordination par les demandeurs de divorce.

– Pourquoi les femmes sont-elles peu nombreuses à recourir à la procédure de «Tatlik» prévue par le code de la famille ?

Le Tatlik est le divorce demandé par l’épouse dans la limite des cas prévus par les articles 53 et 53 bis du code de la famille, qui fixent les dix cas où cette demande est accordée à l’épouse. Généralement, il est difficile pour les femmes d’atteindre la séparation avec cette forme de divorce parce qu’elles doivent apporter la preuve du cas invoqué pour justifier la demande. En cinq années, seulement 16 991 femmes ont pu obtenir le divorce suivant l’un des 10 cas, soit à peine 8% du nombre des divorces, alors que pour la même période, il y a eu 106 604 répudiations, divorces obtenu sans motifs ni justifications.

Avec l’amendement du code de la famille de 2005, de nouveaux cas de divorces ont été introduits, comme celui qui intervient en cas de «tout désaccord persistant entre les époux et de la violation des clauses stipulées dans le contrat de mariage, notamment celles qui concernent la protection du droit au travail et l’interdiction de la polygamie». L’épouse pourra se défaire de la relation conjugale en invoquant l’un ou l’autre de ces motifs. Ces deux nouveaux cas ont été rajoutés aux cas déjà prévus pour faciliter la démarche à l’épouse.

Il a toujours été considéré que les cas posés par l’article 53 étaient restrictifs et aggravés par la difficulté de rapporter le manquement invoqué, et comme le précise le professeur Mohamed Salah Bey dans une de ses publications consacrées à la législation, c’est à dessein que le prononcé du divorce dépend parfois d’un autre jugement, celui du paiement de la pension alimentaire ou de la condamnation pénale, et parfois il est subordonné à une faute immorale préalablement établie.

La Cour suprême semble dans certains cas se passer de la production du jugement pénal ; dans un arrêt rendu le 15 juillet 2010, les juges de cette instance ont décidé que dans une affaire de divorce demandée par la femme suivant l’article 53 dernier alinéa, il n’était pas nécessaire de prouver les coups et blessures par la production d’un jugement pénal. Le rajout de ces deux cas de demande de divorce facilitera la démarche de l’épouse si un contrat de mariage a été préalablement établi. Mais, généralement, les époux refusent d’établir un contrat de mariage de peur d’altérer la confiance qu’ils ont l’un envers l’autre.

Par ailleurs, il est reconnu à l’épouse qui demande le divorce en se basant sur les causes prévues à l’article 53 la possibilité d’obtenir réparation pour le préjudice qu’elle aura subi du fait d’abandon, du défaut de paiement de la pension alimentaire prononcé par jugement, pour refus de l’époux de partager la couche de l’épouse pendant plus de quatre mois, pour absence du mari de plus d’un an.

– Le divorce par consentement mutuel vient en deuxième position après la répudiation. Comment l’interprétez-vous ?

La rupture du lien du mariage par consentement mutuel des deux époux est une forme gracieuse de divorce. Elle consacre la liberté des conjoints de pouvoir mettre fin à leur lien conjugal. Elle est le type de divorce idéal lorsque les époux constatent l’échec de leur vie maritale et décident de se séparer dans l’entente et le compromis sans avoir à dévoiler au juge les motifs de leur séparation qui demeurent secrets.

Cette conception du divorce consacre l’autonomie de la volonté des conjoints. Elle renforce la définition même du mariage qui est considéré comme un pacte ou un contrat entre les époux.

– Qu’en est-il du principe de médiation entre les époux pour éviter le divorce ?

L’article 56 du code de la famille prévoit qu’en cas de mésentente entre les deux époux et si le tort n’est pas établi, la désignation par le juge de deux arbitres, l’un choisi parmi les proches de l’époux et l’autre parmi ceux de l’épouse pour les réconcilier, et à charge pour lesdits arbitres de présenter un rapport sur leurs offices dans un délai de deux mois. Ce mécanisme est repris du verset du Coran : «Si vous craignez une rupture entre les deux conjoints, vous dépêcheriez auprès du couple deux arbitres, l’un pris dans la famille de l’homme, et l’autre dans celle de la femme…».

Si l’un et l’autre arbitres envisagent sincèrement une réconciliation, l’entente pourra être rétablie dans le ménage. Aujourd’hui, les rapports de genre ont connu de profonds changements grâce à l’affirmation de la femme sur le plan social et économique. Le législateur a pris acte de l’évolution de la société et de la famille et a introduit des changements sensibles dans la loi. L’idéologie du couple conjugal gagne du terrain et se substitue à l’idéologie patriarcale où seul le mari est le chef.

L’égalité des époux dans la gestion du ménage et dans l’éducation des enfants a été consacrée dans le code de la famille. Le devoir d’obéissance et la notion de chef de famille ont été également abrogés, mais il demeure encore, dans l’esprit des juges, la notion du pouvoir marital qu’ils continuent à invoquer s’agissant des relations entre époux malgré l’article 36 du code de la famille qui impose aux époux les mêmes droits et obligations.

Le législateur met les deux époux dans l’obligation de sauvegarder les liens conjugaux, les devoirs de la vie commune, la cohabitation en harmonie et le respect mutuel et dans la mansuétude, il les engage à contribuer conjointement à la sauvegarde des intérêts de la famille, à la protection des enfants et à leur saine éducation. Cette égalité entre les époux dans l’exercice de leurs obligations et devoirs n’a pas été étendue au divorce. Cela se comprend, car le législateur continue à avoir la volonté de légiférer dans le respect des règles posées par le droit musulman.

Cette hésitation sauvegarde les acquis enracinés dans la loi, dans les esprits et dans la coutume. Mais, comment instaurer la paix dans le ménage et éviter si possible la rupture du lien conjugal ou parler d’un vivre-ensemble harmonieux quand les rapports entre époux sont construits sur le pouvoir de l’homme sur la femme, sur la soumission de celle-ci, sur la dépendance de la femme à l’homme comme nous l’avons vu à travers l’analyse des différents modes de divorce ? On parle souvent de complémentarité dans les rapports homme/femme notamment dans le couple.

Cette notion, bien que séduisante, est pernicieuse. Elle apparaît comme une évidence au plan physique et sexuel, et aussi comme un idéal amoureux. Mari et femme sont comme deux moitiés de la pomme qui s’ajustent parfaitement ! Ceci introduit déjà un enfermement à deux ; mais là où la notion devient vraiment pernicieuse, c’est quand elle en vient à déterminer les rôles sociaux de chacun.

Elle sert alors à justifier une forme de subordination des femmes. Elle s’oppose alors à l’égalité qui est un droit essentiel. Etre égaux, ce n’est pas être semblables. De fait, nous sommes tous différents. C’est dans cette altérité que peut se construire la relation, n’importe quelle relation, mais aussi la relation conjugale, dans le respect de l’égalité et de la liberté de chacun des conjoints.

Une telle attitude n’est pas naturelle. Elle contredit la volonté de pouvoir que chacun de nous, homme et femme, possède. Elle doit s’éduquer. Le premier niveau de ce vivre-ensemble, c’est la connaissance mutuelle. Aujourd’hui, nos éducations nous séparent, et chacun a peur de l’autre sexe. La mixité instaurée dans nos écoles et nos universités n’est pas une vraie mixité : tout rapport entre les enfants des deux sexes est suspect, déjà en maternelle. Le voile est une des marques de cette suspicion, mais elle existe même sans le voile.

Les rapports entre familles des deux conjoints sont, le plus souvent, eux aussi, des rapports de force. La cérémonie du mariage est, elle-même, le lieu de démonstration de ces rapports de force et non l’occasion de créer des liens entre deux familles qui s’unissent. Ces rapports n’aident pas le jeune couple à bâtir ses liens dans l’harmonie.

Salima Tlemçani