« La loi ne protège pas la femme »

VIVANT DANS DES CONDITIONS EXTRÊMES

« La loi ne protège pas la femme »

Par Ilhem TERKI, L’Expression, 02 Octobre 2014

«Toi tu peux revenir, mais les gosses vont chez leur père», la fameuse phrase qui pousse les femmes à la rue.

L’Etat ne prend pas en charge les femmes vivant à la rue, sans abri. La loi ne les protége pas. Pis encore, ni les parents ni les centres d’accueil n’acceptent les enfants. Contacté par nos soins, le réseau Wassila qui lutte pour l’éradication des violences et des discriminations faites aux femmes tire la sonnette d’alarme sur la situation vulnérable de certaines femmes SDF.
«Des femmes sont à la rue, seules ou avec leurs enfants, quelques-unes sont dans des centres d’accueil, très peu, car le nombre de places est réduit et la plupart n’acceptent pas les enfants», regrette Mme Dalila Imarene Djerbal, sociologue au sein du réseau Wassila en expliquant que malheureusement, certaines femmes squattent avec leurs enfants des immeubles vides ou non terminés, d’autres louent une baraque dans des bidonvilles. A présent, le nombre de ces femmes est ignoré. La sociologue estime que «seul le ministère de la Solidarité qui a un service de collecte d’informations sur les SDF et organise parfois des opérations d’aide à cette population, pourrait dire leur nombre et leur répartition sur le territoire national».
La situation est complexe. Certaines femmes sont à la rue parce qu’elles ont été répudiées et n’ont aucun recours en attendant que la loi veuille bien statuer sur un divorce ou que l’époux assure un toit pour les enfants ou verse la pension des enfants.. «Elles sont à la rue parce que leur propre famille elles n’a pas les moyens de prendre en charge de nouvelles bouches à nourrir, parce que leur famille leur dit toi tu peux revenir, mais les gosses vont chez leur père » mais aucune mère ne peut abandonner facilement ses enfants», souligne Mme Imarene Djerbal.
Notre interlocutrice met l’accent sur le rôle du réseau pour la prise en charge, sensibilisation et protection. Elle explique dans ce sens, que le réseau Wassila n’a pas de centre d’accueil, il n’en a ni les moyens financiers ni les moyens matériels.
«Un centre d’accueil nécessite des fonds très importants et un local pour la prise en charge sur des périodes plus ou moins longues de personnes, à qui il faut assurer l’entretien, les soins, la formation», en poursuivant que «si les associations étaient soutenues par l’Etat, elles peuvent assurer avec du personnel compétent et former les femmes, nous pourrions aider à s’autonomiser et repartir dans la vie», ajoute la sociologue qui étale que le rôle du réseau consiste à écouter et informer les victimes de violences. «Nous les accompagnons à la justice, car c’est l’instance qui doit les reconnaître comme victimes et assurer leur protection. L’Etat est garant de l’intégrité physique et morale de toutes les citoyennes et les citoyens», précise encore une fois la même source.
Sur un autre chapitre, le réseau Wassila qui plaide depuis des années pour les droits de la femme indique qu’un pas vient d’être fait sur le plan juridique. Mais, l’avant-projet qui vient d’être proposé par le gouvernement risque malheureusement d’être vidé de son sens par un article de cette loi qui dit que le pardon de la victime annule toutes les poursuites.
«C’est un pas en avant et deux pas en arrière», selon la même source, notamment que la menace de représailles, les pressions familiales, sociales, l’inexistence de l’hébergement, de revenus, le chantage sur les enfants, soutirent le pardon à une victime. «L’Etat ne peut pas se décharger sur la victime de sa responsabilité d’assurer la sécurité des citoyens. Le pardon sans justice c’est assurer l’impunité à l’agresseur et la poursuite des violences», dévoile Mme Imarene Djerbal.
Par ailleurs, elle rappelle qu’une loi qui sanctionne l’agresseur est absolument nécessaire, mais elle ne peut suffire, elle doit être accompagnée, soutenue par des mesures d’application, des procédures concrètes de protection de la victime et des enfants, d’éloignement de l’agresseur, de prise en charge des enfants.
«La loi actuelle ne protège pas les femmes. Les victimes accumulent les certificats médicaux sans porter plainte, elles ne se décident qu’après avoir atteint un seuil de violence effrayant et sont parfois même déboutées par la justice.» Elle regrette que face à cette situation, les femmes sans aide, sans soutien, ne peuvent que retourner vers leurs bourreaux en attendant la mort lente ou le suicide.


REJETÉES DU DOMICILE FAMILIAL ET LIVRÉES À ELLES-MÊMES

Confidences de femmes SDF

Par Wahida BAHRI

Elles n’ont trouvé d’autre alternative que de compter sur la compassion des autres. Ces femmes ont ouvert leur coeur à L’Expression.

«Je suis restée trois ans à errer dans les rues. J’ai trimbalé mes deux filles de maison en maison à la recherche d’un endroit où dormir», raconte Rahima. Chassée du domicile conjugal depuis un an, cette femme de 31 ans n’a pu obtenir son divorce que depuis sept mois.
Du jour au lendemain, elle s’est retrouvée dans la rue, sans un sou ni même un métier pour subvenir aux besoins de ses deux filles Sara et Ismahane. «Je broyais du noir, en cette période ma fille aînée avait 14 ans, elle était en pleine adolescence et cela me torturait de la voir traîner dans la rue», poursuit-elle. Pour Rahima, chaque jour apportait son lot d’humiliations car pour subsister, il lui fallait vivre de la compassion des gens. «Profiter de la générosité de mes voisins, avoir un espace où dormir et remercier Dieu de cet abri provisoire», dit-elle.
Un véritable calvaire pour cette jeune femme dont les parents de conditions modestes habitent dans un taudis, dans le fameux bidonville de Sidi Harb. «Personne ne peut supporter longtemps les enfants des autres», confie-t-elle, en ajoutant qu’elle a rompu avec une amie d’enfance dont le mari n’a pas supporté les quatre jours qu’elle a passés chez-elle, avec ses deux filles. Une autre amie a même refusé de la dépanner de 1000 DA pour emmener la petite, malade, à l’hôpital.
«La petite Ismahane a toujours été malade et a souvent de la fièvre. Elle passe des journées à errer dans les rues polluées et les gîtes suintant l’humidité ou dépourvus de toute aération ont mis la santé de la petite à rude épreuve.
«La maladie de ma fille n’est que la conséquence de l’inexistence d’un domicile fixe», explique-t-elle. Rahima ajoute que les désaccords avec son mari ont commencé à cause de l’argent. Il en gaspille beaucoup dans la boisson, oubliant qu’il avait des bouches à nourrir. Mais la situation s’est aggravée lorsqu’elle a découvert qu’il avait une maîtresse. «Il m’a battue, m’a tirée par les cheveux et m’a jetée à la rue, répétant qu’il ne voulait plus de moi et qu’il ne voulait plus me voir ni moi ni mes filles», raconte-t-elle. Mais la jeune femme regrette d’avoir quitté son domicile conjugal. Elle pense qu’elle aurait pu épargner bien des tracas à ses deux filles. «En restant chez soi, on préserve sa dignité et celle de ses enfants, car errer dans les rues est la plus grande des humiliations», poursuit Rahima, qui partage maintenant une pièce chez ses parents, avec ses cinq frères et deux soeurs. Elle n’est pas la seule à avoir à supporter les comportements irresponsables d’un mari, d’un frère ou d’un fils ingrat.
Une situation qui, jusqu’à preuve du contraire demeure une vérité banalisée par tout un chacun.

Toutes les classes sociales concernées

Depuis des lustres, ce fait social est enraciné dans le comportement d’Adan. D’après M. CH. T. sociologue, le phénomène des femmes rejetées est devenu courant. «Il m’est difficile de préciser le nombre de femmes forcées à quitter le domicile conjugal pour cause de mauvais traitement», dira le sociologue. «Il n’existe pas de chiffres précis, mais tous les indices montrent que le nombre de femmes sans abri a augmenté ces dernières années», devait préciser notre interlocuteur. D’après ce dernier, les cas recensés prouvent aussi que le phénomène ne se limite pas aux femmes issues de couches modestes, mais touche tous les rangs sociaux. Naïma est fonctionnaire dans une administration publique, rejetée par son mari, elle s’est retrouvée à la rue avec ses trois enfants «l’avenir et la réputation de mes enfants ont toujours été ma seule préoccupation», nous dit-elle en ajoutant que sa vie a basculé du jour au lendemain.
«Actuellement je vis chez mes parents. Ils s’immiscent dans la vie de mes enfants», raconte-t-elle en regrettant d’avoir fait des concessions à un époux qui ne les méritait pas. Car cette femme a quitté l’université où elle était étudiante en langue française, tout simplement pour ne pas complexer son mari qui n’a pas fait d’études supérieures et travaille comme agent de sécurité chez un opérateur de téléphonie mobile au centre de la ville de Annaba. Depuis son mariage, Naïma n’a pas cessé de faire des sacrifices. Aujourd’hui et avec ses trois enfants, elle ne sait plus où donner de la tête. Le visage fripé et les yeux cernés, on lui donnerait le double de son âge, alors qu’elle n’a que 39 ans. «Tu as voulu te marier avec cet homme, c’est à toi d’assumer les conséquences de ton choix», lui répète à chaque fois sa mère. Au départ, Naïma a dû louer un appartement à 20.000 DA/ mois, alors que son salaire n’était que de 25.000 DA.
«Je n’arrivais pas à joindre les fins de mois. Il a fallu supplier mes parents pour qu’ils consentent à m’accueillir avec mes enfants et ainsi pourvoir utiliser mon salaire pour leur éducation», nous révèle-t-elle avec un regard sombrant dans l’amertume.
Naïma est donc revenue chez ses parents, a intenté une action en justice pour intégrer le domicile conjugal et obtenu gain de cause. Mais son mari, qui refuse de subvenir à ses besoins et ceux de ses enfants, a disparu. «Après deux mois de vie tranquille, seule avec mes enfants, il est revenu, non pas pour assumer ses obligations familiales, mais pour nous terroriser», dit-elle. Chassée de nouveau de son domicile, Naïma retourne chez ses parents.
Cette fois, sa mère lui signifie clairement que sa présence et celle de ses enfants l’importune. En racontant cela, Naïma éclate en sanglots.
De l’avis de notre sociologue, les femmes sans abri, lorsqu’elles se marient aspirent à une vie meilleure. Mais le destin leur réserve bien des surprises. «Il est difficile pour ces femmes de retourner vivre chez leurs parents. Pour elles, c’est un pas en arrière qu’elles ne supportent pas.»

L’ingratitude sous toutes ses formes

Mais ce ne sont pas uniquement les maris qui sont pointés du doigt. Des fils ingrats peuvent pousser leurs parents à bout. Adra a subi ce sort à l’âge de 68 ans.
Lorsque son mari est mort, son fils Radouane n’avait que 11 ans. Aujourd’hui, il est fonctionnaire dans une importante société multinationale.
«Quand mon fils s’est marié, j’ai offert mon alliance en diamant à ma belle-fille pour le décharger des frais supplémentaires», dit-elle. Et d’ajouter: «Quelques mois après le mariage, ma belle-fille a commencé à créer des problèmes car elle ne supportait pas que l’on vive sous le même toit», explique la femme. Et pour mieux le lui faire sentir, elle ne lui laissait rien à manger. Ce qui l’a poussée à quitter le domicile pour rechercher une maison de vieillards.
La surcharge que connaissaient ces dernières dans la wilaya de Annaba, ont fait en sorte que Adra se retrouve la rue. Après quelques jours, une parente a finalement accepté de l’héberger. Mais avec le temps, elle s’est sentie comme de trop. «Je devais régler mon réveil à des heures fixes pour ne pas oublier de prendre mes médicaments. Je sentais que cela dérangeait. Même si personne n’osait me faire de remarque, je le lisais dans leurs regards», se rappelle-t-elle.
Un matin, Khalti Adra ramasse ses affaires et part sans donner d’explication. «Je me suis dirigée sans réfléchir vers la mosquée Errahman où je passe mes journées depuis plus de quatre ans.
La nuit tombée, je me rends au centre de Sidi Bélaïd au Front de mer pour y fuir la jungle de la nuit et manger de ce que les bénévoles de l’association El Islah oual Irched nous préparent. D’ailleurs, c’est grâce à cette association que les SDF de Annaba survivent», raconte la vieille dame. «Ce que je regrette le plus, c’est d’avoir sacrifié ma vie pour mon fils», affirme-t-elle avec un sourire gêné.
Malika, 42 ans, a pour sa part, subi les agissements de son jeune frère. Une fois marié, il lui a fait sentir qu’elle était devenue encombrante. «Je n’ai pas pu supporter les remarques qu’il faisait à propos de mon âge», confie-t-elle en soulignant qu’on ne choisit pas son destin. Randa, quant à elle, a dû quitter l’appartement hérité de son père pour s’installer chez son oncle maternel. Elle qui appartient à une famille très traditionnelle a toujours été dépendante des autres.
Aujourd’hui, elle sait qu’on ne peut compter que sur soi-même. Le fait d’avoir été mise à la porte par son frère l’a traumatisée.

Repartir sur des bases fragiles

Selon des chiffres révélés par CH.T. sociologue, sur 444 femmes sans domicile fixe, 94% d’entre elles sont victimes de mauvais traitement, qu’il soit corporel, psychologique ou sexuel. Poussées à bout, elles quittent le domicile conjugal. Mais la plupart d’entre elles, ne disposent pas d’alternative de logement et la situation est plus complexe quand elles sont accompagnées de leurs enfants.
En dépit de la création de Dar Errahma, la femme dans la wilaya de Annaba n’y trouve pas un grand soutien.
Elle fait ce qu’elle peut pour repartir sur un bon pied, loin de cette maison conçue initialement pour accueillir les femmes sans domicile fixe. Nous avons tenté moult fois d’entrer en contact avec les responsables de ce foyer pour les femmes en détresse, mais tous nos efforts ont été infructueux.
La situation a été la même avec d’autres institutions censées prendre en charge les femmes en difficulté.
Cette fuite en avant des sphères sociales, voire même l’absence totale de considération à ce phénomène de plus en plus présent au sein de nos wilayas, Annaba, entre autres, où la femme tente tant bien que mal de se prendre en charge par ses propres moyens.
Qui, intellectuelle de son état, se prend en charge par elle-même, en louant un abri et se reconstruit une nouvelle vie de famille avec ses enfants, alors qu’elle trimbale son analphabétisme alourdi par la charge d’enfants et retourne au foyer familial pour y vivre comme le dernier des soucis parentaux. Entre les unes et les autres, il y a celles qui atterrissent à la rue, épinglées par les loubards.
Prises dans les griffes de la prostitution, la drogue et même la traite des blanches, ces femmes s’adonnent à tous types de métiers pour survivre dans une société indifférente à leur détresse.
Différents horizons s’affichent devant des femmes rassemblées par un même et unique destin, celui d’avoir été rejetées de leurs domiciles respectifs par un mari, un frère ou un fils.