Palestine, la pierre angulaire

Abderrezak Merad, El Watan, 1 novembre 2022

C’est dans la soirée d’hier, mardi 1er novembre, dans le somptueux Centre international des conférences Abdelatif Rahal que le 31e Sommet arabe, réuni sous l’égide de la Ligue arabe, organisé et présidé par l’Algérie, s’est ouvert en présence de nombreux chefs d’Etat et souverains arabes, des personnalités de haut rang ayant fonction de vice-Présidents et de Premiers ministres, ainsi que d’illustres observateurs, invités d’honneur, parmi lesquels le secrétaire général des Nations unies et le président de l’Union africaine. Côté participation, c’est le ministre algérien des Affaires étrangères qui paraissait être le mieux placé pour donner un avis autorisé en qualifiant le taux de cette participation de «respectable et très important» dans la mesure, précise-t-il, «où certains pays n’ont pas de chefs d’Etat, mais un chef de gouvernement ou faisant fonction de chef d’Etat». Derrière cette déclaration qui devait à ses yeux couper court aux spéculations tournant davantage autour des absents que des présents, il y a comme une volonté d’apporter une mise au point pour dire que l’adhésion générale à ce Sommet est suffisamment large et représentative pour lui apporter l’audience qui lui convient. Allusion faite, dans la catégorie des VIP, sûrement au désistement à la dernière minute du roi du Maroc qui a préféré renoncer après avoir longtemps entretenu le suspense sur sa participation, alors que l’absence du roi d’Arabie Saoudite était déjà actée pour une raison médicale bien avant la tenue officielle du Sommet. Allusion aussi au forfait de pratiquement tous les dirigeants des pays du Golfe (Koweït, Bahreïn, Emirats arabes unis, Oman) qui avaient pourtant été invités avec les honneurs qui leur sont dus, excepté celui du Qatar qui a tenu à se faire représenter par son Emir, traduisant ainsi une relation encore plus scellée avec l’Algérie à l’occasion de cette opportunité historique. Et si on ajoute la défection du roi de Jordanie, qui ne semblait pas particulièrement enthousiaste à prendre part à cette concertation, on pensera que le nombre des manquants dans le cercle des «grosses pointures» est certes non négligeable, mais n’avait pas, selon des observateurs avertis, une influence charismatique telle à pouvoir réduire l’importance du Sommet. D’autant que même si leurs leaders n’étaient pas au rendez-vous, tous les pays cités ne se sont pas abstenus pour autant d’envoyer de fortes délégations pour montrer que l’Evénement d’Alger comptait énormément dans leurs agendas.

C’est donc à partir d’hier soir que les participants au Sommet sont entrés dans le vif du sujet avec au menu la «Déclaration d’Alger», document préparé par les ministres des Affaires étrangères dans lequel figurent tous les points de débats sur les questions cruciales posées au monde arabe, dont celle relative à la cause palestinienne qui est au centre des préoccupations. Ces questions sont nombreuses et diverses. Elles sont d’ordre politique, sécuritaire, économique et social. Sans oublier la réforme de la Ligue arabe, projet porté par l’Algérie, qui doit aboutir à une transformation radicale de cette instance considérée, par plusieurs pays, comme dépassée et n’ayant plus les capacités structurelles, organiques ni politique pour prendre en charge les revendications arabes de plus en plus complexes à résoudre. A ce sujet, M. Lamamra a tenu à dire, au cours de sa conférence de presse, que c’est l’Algérie, par la voix de son Président, qui a pris l’initiative de soumettre plusieurs idées visant à réformer la Ligue arabe qui est d’une extrême importance, affirmant dans cette optique que «c’est le rôle de la société civile qui fera avancer l’action arabe». «L’action des sociétés civiles arabes procède d’une grande force à la faveur de la participation des élites arabes, de la jeunesse et de l’élément féminin, d’autant plus qu’elle ouvre des perspectives à la modernisation de l’action arabe commune», a-t-il notamment souligné pour expliquer en filigrane que la Ligue arabe a besoin d’être dépoussiérée pour retrouver un semblant d’efficacité et d’autorité avec, cependant, l’indispensable appui et l’implication des pays arabes. Concernant la Déclaration d’Alger qui doit être au centre des discussions, le ministre des Affaires étrangères a indiqué que ce document aura «une place importante dans le développement de l’action arabe commune», une façon de dire qu’il servira de référence aux pays arabes pour unifier leurs points de vue et leurs efforts face aux grands défis internationaux auxquels ils sont confrontés et qui nécessitent plus que jamais l’unification des rangs et des programmes d’action. Unifier les rangs, c’est le leitmotiv qui est lancé au moment où le monde arabe connaît les pires divisions de son existence. Pour cela, tout en insistant sur la volonté de l’Algérie de faire de ce Sommet «un moment charnière» pour répondre aux nombreux défis, le chef de la diplomatie algérienne a déclaré que «ce rendez-vous interpelle les pays arabes à faire preuve d’un véritable courage et d’être animés d’un souci à faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts individuels». Décodé, le message stipule que les pays arabes, quelles que soient leur grandeur, leur puissance, leurs influences, doivent surmonter leur chauvinisme primaire, leurs calculs étroits pour faire bloc devant ces mêmes défis. La consolidation des rangs, mais action concertée sans laquelle rien n’est possible. Saura-t-on être à la hauteur d’une telle exigence ? L’avenir nous le dira. Tout ce qu’on peut dire, c’est que les pays arabes qui ont tout entre les mains, puissance financière, technologie, richesses du sous-sol, élites intellectuelles, ont vraiment les moyens pour s’imposer sur l’échiquier mondial comme force de proposition et de réalisation. Les Européens ont réussi à construire un ensemble qui compte, pourquoi pas celui des Arabes. Le Sommet sera peut-être un point de départ pour atteindre cet objectif que beaucoup de pays arabes veulent concrétiser. Il faudrait pour cela que la volonté politique soit libre et sincère et surtout convaincue de cet idéal. Le test est en tout cas donné par la question palestinienne. Là encore, M. Lamamra a été percutant dans ses propos en disant que «l’approche arabe courageuse et créative adoptée à Beyrouth en 2002 figurera certainement parmi les principales conclusions relatives à la Palestine et au Moyen-Orient, sachant que ces conclusions reposent sur le sentiment de responsabilité qui nous anime envers l’Etat de Palestine, en vue de permettre au peuple palestinien d’accéder à ses droits inaliénables et d’établir son Etat indépendant avec El Qods pour capitale». La Palestine, la pierre angulaire qui détermine l’action arabe, ses motivations, ses réticences, ses velléités… Le Sommet a dû terminer tard sa première journée.