Restauration de la Casbah d’Alger: Une lettre de Jean Nouvel relance la polémique

Liberté, 19 janvier 2019

Le célèbre architecte français, Jean Nouvel, croyait bien faire en envoyant une lettre d’explications aux 400 personnalités qui se sont élevées, il y a quelques semaines, contre sa désignation pour la restauration de La Casbah. Cette missive a été rendue publique, il y a deux jours, sur le site du journal en ligne français Mediapart, par son confrère Léopold Lambert, qui est l’un des initiateurs de la pétition conduite contre lui. Celui-ci s’est principalement servi d’une phrase glissée par Jean Nouvel, à la fin de sa lettre, afin de le charger à nouveau.

Dans cette phrase, l’architecte considère que la France et l’Algérie se sont engagées depuis des années dans une relation d’amitié et qu’il faut tourner la page de la colonisation qui évoque, selon lui, des crimes, mais également des erreurs. “Un demi-siècle après, personne n’est responsable des crimes et des erreurs des générations d’alors”, a écrit Jean Nouvel. Ce qui a conduit Léopold Lambert à lui répondre, critiquant, par la même occasion, le déni qui entoure encore la question coloniale en France. “Je vous rappelle tout d’abord que de nombreuses personnes ayant participé aux ‘erreurs’ (sic) que vous évoquez sont toujours vivantes. Vous-même ne manquiez que de quelques années pour avoir le même âge des plus jeunes des policiers de Paris qui massacrèrent près de 300 manifestants pacifiques algériens le 17 octobre 1961. Il est vrai que les responsabilités à imputer sont moins individuelles que collectives. La France (dont nous formons tous deux une partie, que nous le voulions ou non), n’a jamais demandé pardon au peuple algérien pour 132 ans de meurtres, de pillages, de destructions, de tortures et d’humiliations. Le ‘crime contre l’humanité’ que constitue le colonialisme (que dénonçait il y a peu un candidat désormais président moins vocal à ce sujet) n’a pas de prescription et tout(e) Français(e) partage une certaine responsabilité de ce crime tant que celui-ci ne sera pas reconnu, regretté et réparé. Cela n’est donc pas à nous de dire que la page est tournée et que ‘l’heure est au respect mutuel et à l’amitié’”, a commenté l’architecte. À la place de l’amitié, Léopold Lambert évoque plutôt une sorte de patronage malsain qu’il ne souhaite pas voir son confrère endosser. “Je ne peux donc faire appel qu’à votre conscience pour vous demander à nouveau de ne pas vous rendre complice de ce que vous appelez un ‘mécénat’ de la région île-de-France. Veuillez laisser La Casbah à celles et ceux qui attendent toujours que les marques physiques et symboliques que le colonialisme a laissées sur leurs corps et leurs villes soient reconnues pour qu’elles puissent enfin s’estomper ; celles et ceux qui sont ce que La Casbah a fait d’elles/eux ; celles et ceux qui vivent celle-ci non pas comme un patrimoine d’un Unesco lointain, mais comme un lieu de vie, un lieu de mémoire et un symbole urbain de la lutte contre le colonialisme. Ces personnes ont parmi elles  toutes les compétences, toute la connaissance et toute la légitimité à répondre aux difficultés que La Casbah traverse”, souligne l’architecte.

Le ton ne change pas de celui de la pétition publiée en décembre dernier, dans laquelle architectes, historiens, universitaires et artistes des deux rives de la Méditerranée ont contesté à la France son rôle dans “la revitalisation de La Casbah”, estimant qu’elle a, au cours de sa présence coloniale, mis en œuvre des transformations brutales qui visaient à contrôler ses habitants et à les ghettoïser. Dans sa réponse, Jean Nouvel a rappelé son parcours d’architecte engagé. Il a aussi mis en valeur sa capacité à adapter ses projets aux quatre coins du monde en tenant compte des spécificités environnementales. “Il est donc pour moi étonnant de lire que tant de professionnels de la profession soient contrariés du choix d’un architecte comme moi pour réfléchir sur une thématique de même ordre pour la ville d’Alger”, a-t-il déploré, confirmant son intention de prendre en charge la restauration de La Casbah. Il a annoncé, à cet égard, que l’étude a commencé.
Le projet implique outre la wilaya d’Alger et la Région Île-de-France, l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Île-de-France, l’Agence nationale algérienne des secteurs sauvegardés, l’Agence nationale algérienne de gestion des réalisations des grands projets de la culture, l’Association des Amis d’Alger “Sauvons La Casbah”, ainsi que des architectes et urbanistes algériens.

S. L.-K.