Abdelhamid Mehri: « Le pouvoir a encore besoin du FLN »
EXCLUSIF
ABDELHAMID MEHRI À L’EXPRESSION
« Le pouvoir a encore besoin du FLN »
L’Expression, 08 janvier 2005
L’Expression: M.Mehri, depuis que vous avez été la victime du fameux «coup d’Etat scientifique» début 1996, vous ne vous manifestez que rarement sur le devant de la scène. Seriez-vous donc aigri par la politique à l’algérienne?
Abdelhamid Mehri: Après la fameuse session du comité central qui a eu lieu au début de 1996, et qui avait coïncidé pour moi avec une période de certaines difficultés d’ordre strictement personnel, je me suis en effet fait plus discret. Ce sont donc des raisons principalement personnelles qui m’ont accaparé et qui m’ont quelque peu éloigné du devant de la scène politique et médiatique.
Cela explique aussi pourquoi je n’interviens que rarement dans le débat politique. Mais mon jugement sur la politique algérienne est que nous vivons une situation générée par un long processus fait d’une accumulation d’expériences malheureuses et d’erreurs.
Des sphères situées principalement au sommet du pouvoir continuent de refuser l’avènement d’une véritable ouverture démocratique et d’un changement effectif. Donc, je ne suis pas aigri. J’observe l’évolution de la situation politique en prenant compte des réalités politiques.
Cela semble fait avec une relative passivité…
Je tiens à ajouter que mon action politique a toujours été inscrite dans le cadre d’un appareil ou d’une organisation. Il est difficile de faire cavalier seul, de jouer au Don Quichotte.
Précisément, en abordant l’appareil dans lequel vous avez toujours évolué, le FLN en l’occurrence, il faut dire que les militants, les observateurs et les cadres de ce parti souhaiteraient bien connaître quels commentaires vous inspire la crise qui secoue cette formation politique depuis bientôt deux années?
Ce qui se passe actuellement au FLN constitue la résultante de beaucoup de crises passées. Elles marquent les différentes étapes de la vie du FLN, mais aussi la tendance qui ne s’est jamais démentie, visant à en faire un puissant instrument électoral au service des dirigeants du moment.
Ainsi donc, la crise actuelle est la résultante de ce qui s’est passé au 8es congrès, mais aussi au 7e congrès, ainsi que ce qui a précédé ce congrès, notamment le coup d’Etat prétendument scientifique. C’est tout cela qui constitue la crise du FLN. Si on y ajoute un vieillissement naturel dû aux mutations vécues par la société, on pourra plus ou moins appréhender avec sérieux et objectivité ce qui se passe aujourd’hui véritablement au FLN.
Les dirigeants actuels n’arrivent pas à s’entendre pour maintenir le Fln dans le sillage du pouvoir. Maintenir ce parti dans le carcan imposé par le pouvoir, cette fois-ci, ne s’est pas fait sans que la crise n’éclate au grand jour.
Or, le véritable problème, pour ne pas dire le débat, c’est celui de s’interroger sur les véritables missions du FLN.
Quelles conséquences et quels enseignements devrait-on tirer de cette crise qui perdure, mais aussi comment faire justement pour que ce parti ne soit plus un simple instrument entre les mains du pouvoir?
Il y a différentes façons d’aborder cette question. On peut supposer que le FLN n’a été que l’instrument de l’indépendance du pays. Une fois cet acquis obtenu, nous n’aurions plus besoin de ce parti. Or, il s’agit d’une vision quelque peu simpliste d’une question qui l’est beaucoup moins. Ce parti est porteur d’un projet autrement plus vaste. Ce parti s’était fixé pour autres objectifs importants d’instaurer en Algérie une véritable démocratie sociale, mais aussi de réaliser la grande union arabe. Or, force est d’admettre que ces deux buts ne sont toujours pas atteints. La question qui se pose est de savoir si le FLN a les moyens et la volonté nécessaires de poursuivre ces objectifs jusqu’à les concrétiser sur le terrain.
Si la réponse est hélas négative, il faudra se résigner à décréter que le FLN devra être remisé au musée…
Oui, mais avant d’en arriver à cette question cruciale, permettez-moi quand même de revenir une fois de plus sur cette crise. Abdelaziz Belkhadem, connu quand même pour être proche de vous politiquement, a annoncé enfin la date du congrès. La question, en outre, a été posée à beaucoup de dirigeants en vue de ce parti, qui se sont tous accordés à dire que l’histoire a réhabilité les dirigeants de ce parti entre 92 et 96, dont vous-même. S’agit-il du grand come-back pour vous, d’autant plus que nous croyons savoir que vous ferez partie des invités de marque lors de ces assises qui s’annoncent historiques à plus d’un titre?
Pour que le FLN retrouve sa véritable place au sein de la société, mais aussi dans les contextes maghrébin et arabe, il faut plus qu’un rassemblement de personnes.
Jusqu’à maintenant, nous avons échoué à construire un Etat véritablement démocratique. Est-ce que le FLN est prêt à livrer le combat pour l’instauration d’un véritable Etat démocratique? Deuxième question, les indépendances des pays du Maghreb n’ont pas permis de déblayer le chemin vers une véritable unité, une vision qui, de l’avis de tous, est plus que nécessaire.
Une fois de plus, je reviens à la charge pour demander est-ce que le FLN a assez de ressources et de volonté pour livrer une véritable bataille, cette grande bataille pour la réalisation de cette unité.
Mais, vous êtes quand même bien placé pour apporter ne serait-ce qu’une ébauche de réponse à cette lancinante question…
Je me contente de dire qu’il faut se poser les bonnes questions. Si nous arrivons à mettre noir sur blanc un projet d’avenir, définir une mission nouvelle pour le FLN, à ce moment-là tout deviendra plus simple. Mais, en attendant, il n’est pas possible de dire qu’en prenant X, Y et Z pour les mettre ensemble cela va générer le FLN nouveau dont le pays a véritablement besoin.
Si certains avaient vu clair et juste à une certaine période, ces mêmes personnes n’y peuvent rien pour le moment tant que le FLN continue d’être un appendice de tout pouvoir installé sans jamais apporter la contribution que l’on attend de lui.
Il est vrai que le fait de décréter que le FLN doit être remisé au musée est une idée pour le moins simpliste. Or, il y a quand même beaucoup d’éléments qui tendent à conforter ce scénario, à commencer par la persistance de la crise en dépit des propos rassurants de Belkhadem, mais aussi les déclarations récemment faites par le président Bouteflika à propos de la fin de la légitimité historique ainsi que la nécessaire reconfiguration de la scène politique nationale. Ne pensez-vous pas quand même que cette crise peut être préfabriquée?
Je ne crois pas qu’il soit possible de mettre le FLN au musée. Ce parti reste un puissant outil électoral entre les mains du pouvoir, mais aussi un important appareil de gestion administrative des affaires de la cité. Le pouvoir a encore besoin du FLN. Ce qu’il faut craindre, en revanche, c’est que le projet réel du FLN soit définitivement mis au musée afin de n’en garder que le sigle. Autrement dit, ce qui fait véritablement peur c’est que le FLN soit empêché d’être le continuateur des principes du 1er Novembre 1954. Ça, malheureusement, risque bel et bien d’advenir puisqu’il me semble que certains acteurs centraux de cette crise donnent l’air de ne pas être conscients des enjeux auxquels ils sont confrontés.
Vous ne dites pas si vous avez été invité au congrès, et si tel est le cas, si vous irez ou non?
Je ne sais pas. Je n’ai rien reçu pour le moment. Je n’ai aucune idée de ce qui va être fait lors de ce congrès. J’avais émis une proposition consistant à aller vers une conférence des cadres, sans la moindre décision organique, comme préalable à la préparation matérielle de ce congrès.
Il m’a été répondu immédiatement que la priorité était donnée aux élections présidentielles. A mon sens, ce congrès va servir en quelque sorte à raccommoder le FLN, mais les questions véritables demeureront posées. Une solution aussi superficielle ne saurait résoudre une crise aussi profonde que celle que vit le FLN. Encore une fois, je me pose la question si ce congrès aura le courage, oui ou non, d’aborder la question de savoir si le FLN devra rester éternellement un simple appendice du pouvoir.
Le juste retour de l’histoire a fait triompher les idées réconciliatrices. Or, ne trouvez-vous pas qu’il serait justement plus logique que le président Bouteflika s’entoure des anciens signataires du contrat national afin de mener à bien son projet?
Abstraction faite des personnes, il faut bien dire que c’est la société, et elle seule, qui donne naissance et force aux courants politiques. C’est, précisément, au pouvoir de permettre l’organisation pacifique de l’ensemble de ces forces. Cela étant, je ne comprendrais jamais comment il est possible d’interdire administrativement la création de partis politiques s’ils sont parfaitement bien ancrés dans la société. Je ne peux d’autant pas croire à cela, que la chose est menée, nous dit-on, parallèlement à une politique de démocratisation de l’Algérie. C’est pour le moins antinomique.
Comment appréhendez-vous le concept nouveau de l’amnistie générale et de la réconciliation nationale?
Voilà. L’amnistie revêt un sens strictement juridique. La réconciliation, elle, demeure un acte éminemment politique. J’ai pour ma part l’impression que l’amnistie se fait appeler réconciliation. Et on fait croire donc que la réconciliation tient du concept d’amnistie générale. Ce n’est pas ma façon de voir les choses. La réconciliation nationale véritable ne doit en aucune façon émaner d’un élan émotif qui ferait que les ennemis d’hier se donnent enfin l’accolade. C’est plutôt de se pencher sur les problèmes réels du pays avant d’essayer de déboucher sur un consensus là-dessus, aussi bien sur les plans interne qu’externe.
Ainsi donc, le fait de renouer avec les grandes et historiques positions du FLN, revient à affronter les grands défis qui se posent à la nation afin de rassembler le maximum de personnes afin de comparer les positions des uns et des autres avant de déboucher sur un véritable consensus. C’est ainsi que se conçoit la réconciliation à mes yeux.
Or, si on continue de donner à ce concept politique un sens presque administratif, avant d’être décrété par un acte sublime, cela reviendrait à passer à côté de ce qui devrait être véritablement recherché. La réconciliation nationale n’est pas du tout cela. C’est avant tout, une démocratie réelle, mais aussi la mise en place de solutions de compromis autour des grands problèmes qui se posent au pays.
Comment voyez-vous l’avenir de l’opposition politique dans le pays, sans parler des crises qui secouent la plupart des partis représentant ce courant?
J’avoue mon ignorance quant aux tenants et aboutissants de ce qui se passe au sein de certains partis sujets à des crises. Ce qui reste sûr, c’est que l’opposition politique en Algérie a une grande mission à accomplir en ayant le courage nécessaire d’exprimer haut et fort ses revendications. Si, en revanche, elle essaye de biaiser sur son rôle, elle ne fera absolument rien. Cette mission, certes, n’est pas du tout facile parce que ceux qui sont au pouvoir, principalement depuis les années 90, croient qu’en réduisant les forces de l’opposition politique, ils se renforcent eux-mêmes. C’est carrément faux. Bien au contraire. Un pays démocratique ne peut pas vivre sans une opposition bien ancrée dans la société.
Ce cas de figure, hélas, peut advenir en Algérie. Le spectacle que nous offrent actuellement les pays arabes est assez édifiant. Les oppositions sont partout muselées. Les régimes sont complètement coupés de leurs peuples et sujets à toutes les formes de pression de la part de l’extérieur. Je ne souhaite pas un destin pareil pour mon pays.
Enchaînons sur l’économie. Le FLN a toujours ancré sa position sur celle du contre-gauche ou de la sociale-démocratie. Là, on se dirige au pas de charge vers une libéralisation tous azimuts. Quelle devrait être la position présente de ce parti, à votre sens, sachant que, selon vous, l’une de ses trois missions historiques, non encore accomplie, est d’instaurer en Algérie une véritable démocratie sociale?
J’hésite à me hasarder sur ce sujet parce que j’avoue ne pas être un économiste. Je dis tout simplement que la politique économique ne saurait être conçue, bâtie, sans le concours de la classe politique saine. Cela veut dire que si le pouvoir est politiquement faible, il ne peut pas avoir des positions de principe fortes et défendables face aux réformes imposées par les institutions financières internationales. Pour qu’une politique économique ait toutes les chances de réussir, il faut qu’elle soit prônée et défendue par des forces politiques réellement ancrées dans la société. Bien sûr, on peut continuer de biaiser. Mais jusqu’à quand?
Il faudrait arriver un jour à soumettre les grandes réformes politiques et économique à un débat politique qui soit le plus large possible, afin de déboucher sur une démarche consensuelle et véritablement acceptée et défendue par la société. Or, pour ce qui est de la situation actuelle, il me semble que l’on patauge. Nous cherchons à réformer sans le recours incontournable aux forces politiques réelles dans ce pays. Nous ne pouvons pas faire face convenablement à la mondialisation si nous ne sommes pas assez forts en étant unis afin de faire face convenablement à cette donne somme toute incontournable.
Ce que je vois sur la scène réelle c’est que les aspects administratifs des réformes sont pris en charge alors que les aspects réels, que ce soit les réformes du système éducatif, des finances, de l’école ou les privatisations, sont biaisés parce qu’ils souffrent d’un grave déficit de relais véritables au sein de la société.
Vous serait-il possible d’affiner votre position concernant certaines de ces grandes réformes, telles que la justice, le code de la famille, l’école…
Il est certain que je ne suis pas expert dans tous les domaines et que, partant de cela, je ne saurais avoir de positions affinées concernant chacun de ces grands dossiers. Dans le meilleur des cas, on fait appel à des cadres et des commis pour élaborer ces réformes.
Alors, à quoi servent les partis? A quoi servent les assemblées élues? Pourquoi avoir des universités, des cadres, des intellectuels? Il faut que tous ces gens soient associés, et de manière active et importante, au développement de leur pays. Ici, à mon avis, réside un grand point d’interrogation. Par exemple, dans le domaine de l’éducation, le moins que l’on puisse dire, c’est que les réformes introduites sont superficielles. Beaucoup d’aspects sont même erronés. Il ne s’agit pas de réformer sur le papier.
Interview réalisée par Mohamed ABDOUN