Il y a 49 ans, le pouvoir met fin à la maigre autonomie de l’UGTA
Boubekeur Ait Benali, 13 janvier 2012
Le premier congrès de l’UGTA (Union générale des travailleurs algériens) se tient dans un climat de règlement de compte. Dans les luttes fratricides de l’été 1962, opposant les légalistes aux partisans du coup de force, l’UGTA a fait un mauvais choix en ne se rangeant pas derrière la coalition Ben Bella-Boumediene. Et lorsque la situation s’est décantée, les syndicalistes vont payer le prix de leur soutien au GPRA. Par ailleurs, comme les autres mouvements, Ben Bella et Boumediene comptent caporaliser tout bonnement l’union des travailleurs. Le but bien entendu est de faire de l’UGTA une simple courroie de transmission. Bien que l’UGTA n’ait pas soutenu la coalition Ben Bella-Boumediene, ces animateurs pensent jouer, une fois la situation est revenue à la normale, un rôle syndical à la mesure des sacrifices consentis pendant la guerre. D’ailleurs, ne fallait-il pas la participation de tous les Algériens à la révolution pour que le régime colonial soit jugulé ? Hélas, pour Ben Bella, les Algériens doivent rester des éternels sujets.
Toutefois, à l’approche de la date fatidique, les travailleurs sont méfiants, mais déterminés à mener le combat pour le respect des libertés syndicales. Pour ce faire, ils battent un travail énorme en vue de préparer leur congrès prévu pour le 17 janvier 1963. « Des réunions avaient été organisées à la Maison du peuple et une plate-forme avait été rédigé, qui devait être discutée par les congressistes », écrit Catherine Simon, dans « Algérie, les années pieds-rouges ». En revanche, les deux hommes forts du moment, Ben Bella et Boumediene, n’entendent pas laisser un tel mouvement leur échapper. En plus, le positionnement de l’UGTA en faveur du GPRA n’a pas été oublié par les vainqueurs. Ainsi, avant même que les travaux du congrès soient commencés, un plan machiavélique a été concocté par la présidence en vue de déstabiliser l’UGTA. Ainsi, dès l’ouverture des travaux du congrès, des baltaguias font irruption dans la salle. Selon le témoin oculaire, Tiennot Grumbach : « Les portes se sont soudain ouvertes et des dizaines de types, arrivés par camions, se sont rués vers la tribune, certains armés de gourdins. » Ces nervis à la solde des nouveaux chefs stoppent net le déroulement du congrès. Et les membres du bureau sont sommés de quitter les lieux sous peine d’être tabassés. Les syndicalistes solidaires sont, par la même occasion, contraints de suivre les responsables de l’UGTA.
Toutefois, une fois les authentiques syndicalistes ne sont plus là, les travaux peuvent reprendre derechef. Selon Catherine Simon : « Plus tard, tandis que les gros bras s’assurent le contrôle de la salle et que la police entoure le bâtiment, on fait voter à main levée le nouveau bureau du congrès. » Tout compte fait, après deux jours de palabre, le syndicat national des travailleurs se dote enfin d’une nouvelle direction. Celle-ci sera d’un soutien indéfectible au régime. En revanche, bien que le congrès soit faussé par l’intervention musclée du régime, les congressistes désignent, de la façon démocratique –version algérienne –le nouveau patron de l’UGTA en la personne de Rabah Djermane. Ce dernier est l’un des rescapés de l’ancienne équipe. Lui, il s’est rallié au dernier moment au régime. Car celui qui incarne le régime, Ahmed Ben Bella, ne pouvait pas tolérer une expression libre des autres Algériens. Et les récalcitrants peuvent le payer chèrement comme le signale le reporter de France-Soir, Edmond Bergheaud : « C’est le chef de l’État en personne, soucieux de briser un mouvement syndical en quête d’autonomie, qui aurait mis au point, avec Mohammed Khider, encore numéro un du FLN, ce scénario quasi maffieux. Avec, à la clé, un commando de trois cents benbellistes », spécialement amenés sur les lieux. »
Cependant, ce coup de force ne s’arrête pas là. Il va se généraliser à toutes les localités. En effet, au niveau de chaque localité, les dirigeants du FLN s’accaparent les structures du syndicat. Dans un rapport critique, les chefs évincés de l’UGTA, Boualem Bourouiba et Mustapha Lassel, dénoncent les exactions des barbouzes en vue de prendre le contrôle des sièges locaux de l’UGTA. « C’est ainsi que les bureaux syndicaux élus ont été remplacés par des délégués désignés », s’indignent-ils. Pour conclure, il parait aller de soi que le rouleau compresseur a engrangé une victoire décisive sur le monde syndical. Cette victoire va en appeler d’autres. C’est ainsi que toutes les organisations de masse sont phagocytées. Soutenus par une armée obéissante, Ben Bella et Boumediene ont fait des Algériens des sujets proches du statut de l’« indigène ».
Par Ait Benali Boubekeur