Algérie: les ratés du candidat officiel

Algérie: les ratés du candidat officiel
A quinze jours de la présidentielle, Bouteflika peine à s’imposer.

José Garçon, Libération, 29 mars 1999

«On y croit, mais on n’espère pas»: trois semaines tout juste avant l’élection présidentielle anticipée du 15 avril, la journaliste Salima Ghezali résume bien la complexité d’une situation quelque peu inédite en Algérie. Depuis le coup d’envoi, jeudi, de la campagne officielle pour ce scrutin, sept candidats représentant à peu près l’éventail politique algérien et ayant des parcours et des projets souvent aux antipodes sillonnent le pays. Cette diversité – même si tous ont fait du «retour à la paix» un thème majeur de leur campagne – suffit sans doute à garantir un scrutin pluraliste. Mais celui-ci sera-t-il ouvert ou fermé? C’est toute la question dans un pays où la succession présidentielle a toujours été réglée par consensus entre les chefs militaires. Mais où ces derniers ont, cette fois, visiblement du mal à imposer le candidat d’un compromis déjà obtenu laborieusement.

«Favori de l’armée». Il y a quelques semaines, les urnes de ce scrutin – le cinquième en trois ans – paraissaient pourtant bien ficelées. La candidature d’Abdelaziz Bouteflika, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Boumediene, était tellement mise en avant par les institutions qu’il était évident qu’il les dirigerait. Plusieurs éléments ont rapidement conforté son image de «candidat du pouvoir»: d’une part, le soutien inconditionnel du FLN, l’ancien parti unique, celui du RND, le parti du Président démissionnaire, puis de l’UGTA, la puissante centrale syndicale dont la direction s’est toujours montrée proche du régime. D’autre part, l’appui actif de hauts gradés, peu habitués à s’engager publiquement, tels les généraux Larbi Belkheir ou Smaïn Lamari. Et, enfin, les confidences de son entourage le présentant comme le «favori de l’armée». Celles-ci ont d’ailleurs fait si mauvais effet que l’organe de l’institution militaire, El Djeich, a dû réaffirmer solennellement sa «neutralité».
Mais cette élection, trop ostensiblement jouée d’avance, a mis le feu aux poudres au sein du sérail et de la classe politique. Cette victoire annoncée rappelait trop les pratiques du parti unique et contrariait aussi d’autres ambitions. Le malaise n’a pas épargné l’armée. Nombre de ses cadres supérieurs exigent désormais d’être associés aux décisions importantes, et la présidentielle en est évidemment une.

Double résistance. Ces remous ont d’autant plus compliqué le scénario de la candidature Bouteflika que celle-ci a créé des divisions au sein même des appareils proches du pouvoir et suscité une double résistance. Celle du chef de l’Etat, qui ne perd pas une occasion de se porter garant des «conditions d’équité entre tous les candidats». Rien n’indique qu’il en ait vraiment les moyens. Mais Liamine Zeroual cherche à sortir la tête haute après un bilan plutôt négatif. L’autre résistance est venue de plusieurs partis politiques et des principaux candidats – Hocine Aït-Ahmed, Mouloud Hamrouche et Taleb Ibrahimi -, qui ont signé une «charte électorale» réclamant notamment la présence d’observateurs internationaux, refusée jusqu’ici par les autorités. Pour Alger, il revient en effet à la Commission indépendante de surveillance des élections (Cnisep) de superviser la régularité de la présidentielle. La Cnisep jouera-t-elle son rôle plus efficacement que les organismes créés lors des précédents scrutins? Le prestige de son président, Mohamed Bedjaoui, juge à la Cour internationale de La Haye, se veut un gage de crédibilité. Mais le limogeage de son porte-parole, Sassi Mabrouk, qui avait dénoncé de très nombreux «dépassements» au cours de la précampagne, suscite quelques inquiétudes. Surtout quand le pouvoir s’est donné une sorte de «volet de sécurité» en gonflant le fichier électoral d’au moins… trois millions et demi de voix, un chiffre dénoncé par plusieurs candidats car susceptible, à lui seul, de faire basculer les résultats.

Elan populaire. En réalité, si les militaires ont laissé – et même poussé – tous les candidats se présenter pour crédibiliser l’élection, la tournure des événements semble les avoir pris de court. Soit qu’ils n’aient pas forcément prévu certaine candidature: celle de Hocine Aït-Ahmed, un opposant de toujours qui semble susciter un élan populaire et risque, du coup, de s’imposer. Soit que la campagne d’un autre postulant, Taleb Ibrahimi – qui vise les voix islamistes -, puisse aboutir à une réorganisation du FIS et lancer une dynamique incontrôlable. Dans ce contexte, «le coup de pouce» que des généraux de premier plan admettaient pouvoir donner «en temps voulu» pour favoriser l’un ou contrer l’autre risquerait d’être trop visible. La personnalité même des trois principaux postulants, qui peuvent prétendre mobiliser des pans importants de la société, rend difficile, en effet, une élection totalement verrouillée en faveur de Bouteflika, qui compte avant tout sur la nostalgie boumedieniste que nourriraient les Algériens à l’égard d’un Etat fort et d’un régime d’ordre. Car la participation de ces personnalités impose presque mécaniquement un second tour. Sauf à imaginer une fraude massive, analogue à celle qui a entaché les municipales de 1977, mais que le régime ne peut assumer comme naguère auprès de ses partenaires étrangers. «La crédibilité du pouvoir en place dépend de celle des élections», insistait récemment Ronald Neuman, le secrétaire d’Etat adjoint américain pour le Proche-Orient.

«Pas de joker». Jusqu’à présent, pourtant, l’ancien ministre des Affaires étrangères de Boumediene paraît demeurer le favori de la haute hiérarchie militaire, même si celle-ci peut, à la dernière minute, changer de vainqueur. Cette hypothèse est toutefois peu probable: un général important assurait encore récemment qu’«il n’y aurait pas de joker». Reste donc à savoir quelle sera la configuration du second tour, étant entendu que Bouteflika en sera. Tout indique que le haut commandement de l’armée est tenté par un scénario où celui-ci affrontera Taleb Ibrahimi. En effet, seul un candidat proche des thèses islamistes permettra, en apparaissant comme un épouvantail, de fédérer autour de Bouteflika ceux qui redoutent «le danger islamiste» (certains mettent d’ailleurs en avant ce «péril» pour réclamer le report du scrutin). Une situation qui fait dire à un ancien ministre: «L’élection n’est peut-être pas fermée, mais elle risque d’être jouée.» Ultime motif d’inquiétude: le regain de violence, qui, dans un pays où elle est souvent utilisée pour bouleverser la donne, demeure une épée de Damoclès aux mains de tous les jusqu’au-boutistes.

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