Exaction au temps du Hirak algérien : la cas de Djamila Bentouis

A.T , Algeria watch, 7 mai 2024

Née le 8 septembre 1963 à Boukadir, dans la wilaya de Chlef, mariée et mère de trois enfants, Djamila Bentouis exerçait le métier de sage-femme à l’hôpital d’El Sobha (Chlef) avant d’immigrer durant les années 1990. Installée en France, où elle continue d’exercer son métier de sage-femme, Djamila fait ensuite le choix d’exercer à mi-temps le métier d’assistante administrative afin de se consacrer à son foyer.

Djamila garde des souvenirs très douloureux des années 1990 et des atrocités commises par les « groupes armés » et les forces de sécurité. Il est à rappeler que durant la guerre civile, Chlef était parmi les régions les plus touchées par ce conflit. Elle observait impuissante son pays sombrer dans le chaos et la violence, et elle voyait tous les Algériens subir le poids oppressant de cette situation. Confrontée à des militaires détenant tous les pouvoirs, la conviction de Djamila était forgée : cette dictature ne pouvait conduire qu’à la destruction du pays et au blocage de tout développement.

Déconnectée de la politique imposée par le pouvoir et choisie pour les Algériens, Djamila s’investit auprès des sans-papiers, ayant elle-même vécu cette situation à son arrivée en France. Elle ressentait de plus en plus fortement l’absence d’horizon pour son pays, et ses craintes ainsi que sa déception s’amplifiaient à chaque voyage en Algérie.

Comme pour beaucoup d’Algériens, l’avènement du Hirak a procuré à Djamila un souffle d’espoir de voir enfin son pays libéré de la dictature et du sous-développement pour rejoindre les grandes nations. Elle ne manque presque aucun événement lié au mouvement du Hirak, sans faire de distinction de courant ou d’idéologie, que ce soit des marches, des sit-in ou des conférences.

Issue d’une région qui a donné tant de martyrs pendant la guerre de libération, Djamila compte dans sa famille plusieurs moudjahidines et chouhadas. Cela a contribué à forger en elle un sens aiguisé du devoir ; en tant que patriote, elle se sentait investie d’une mission. Son adage était le suivant : « Si je ne fais rien, qui le fera ? »

Elle a ainsi décidé de mettre à contribution son talent de poète-interprète. Elle écrit plusieurs chansons inspirées du patrimoine de la révolution algérienne et du Hirak, mouvement qui a rapidement dissipé toutes les images négatives et les clichés associés au peuple algérien, longtemps véhiculés par le pouvoir en place.

En 2013, Djamila a été touchée par les évènements sanglants en Égypte, notamment le massacre de Rabia-El-Adaouïa. Profondément marquée par le slogan« Yesqot Yasqot Houkem El 3asker (À bas le pouvoir des militaires) » largement répandu en Égypte pendant ces événements et dénonçant la répression brutale exercée par le pouvoir militaire contre le peuple.

Suite à la répression qui s’abat sur les militants du Hirak en Algérie et aux événements dramatiques de l’été 2021 (incendies, fuites et noyades de jeunes Algériens dans la Méditerranée, etc.), Djamila décide d’écrire une chanson intitulée « Yasqot Houkem El 3asker » qu’elle présente pour la première fois lors d’une marche du Hirak de la diaspora. Le texte, exhaustif et sans concession, est poignant, et la voix de Djamila touche les cœurs de milliers d’Algériens. La chanson rencontre un succès retentissant et résonne comme un hymne à la libération. Elle résume à elle seule les slogans les plus forts et les plus clairs adressés au pouvoir de la police politique (Moukabarat). Elle fait écho à la répression féroce qui s’est abattue sur tous les activistes du Hirak. L’anonymat de l’autrice découle de sa volonté de partager cette chanson avec l’ensemble des Algériens et des Algériennes.

Le 25 février 2024, Djamila se rend en Algérie pour assister aux funérailles de sa mère, décédée la veille de son départ suite à un accident domestique. Elle profite ainsi du fait que son passeport était en cours de validité. Djamila est arrêtée à l’aéroport Houari Boumediene et interrogée pendant plusieurs heures par des agents des services de renseignements. Loin de nier son engagement, elle demande simplement aux agents de pouvoir assister à l’enterrement de sa mère avant de faire face à la justice. Elle est relâchée le soir après l’enterrement, en échange de la promesse de se présenter à la Brigade mobile de la Police judiciaire (BMPJ) de Dar el Beida le 28 février 2024. Ce qu’elle fait, mais finalement, les agents lui demandent de revenir le 3 mars. Djamila est alors présentée au procureur de Dar el Beida et placée en détention provisoire. Les charges retenues contre Djamila relèvent de l’article 87bis, dans le cadre desquelles elle est accusée d’appartenance à un groupe terroriste agissant à l’intérieur et à l’extérieur du pays ; atteinte à la sécurité et à l’unité nationale, ainsi que d’incitation à l’attroupement non armé.

L’argumentaire de l’accusation se base exclusivement sur les paroles de la chanson. Suite au refus de sa demande de libération provisoire, Djamila est actuellement incarcérée à la prison de Koléa en attendant son procès. Elle n’a signalé aucun mauvais traitement, mais elle endure des conditions d’hygiène déplorables dans une cellule collective avec une dizaine de détenues, toutes condamnées ou en attente de leur procès pour des chefs d’accusation relevant du sinistre article « 87bis ».

Djamila Bentouis n’est pas une terroriste et n’a commis aucun délit ; elle a écrit une chanson patriotique pour exprimer son soutien au mouvement populaire du Hirak. Le pouvoir algérien, qui a décidé de se venger une fois de plus de son peuple, poursuit sa politique de la terreur en continuant de brandir l’article 87 bis pour faire passer à tout prix des citoyens pacifiques pour des terroristes.