François Gèze, un camarade, un ami… un complice

Algeria-Watch, 17 janvier 2024

(Texte lu lors de l’hommage rendu à François Gèze le 28 novembre 2023 à la Bliothèque nationale de France à Paris)

Avec François, nous avons partagé près de 25 ans d’engagement soutenu pour l’Algérie au sein d’Algeria-Watch. Cette association a été créée en Allemagne en 1997 pour informer de la situation politique générale de l’Algérie, notamment les très graves violations commises par les militaires dès le putsch de janvier 1992. François a été contacté par Salima Mellah, une de ses membres, peu après les massacres de masse des années 1997-1998. Cette rencontre fructueuse a abouti à la création en France en 2001 d’une association éponyme dont François a été un pilier jusqu’à sa disparition inattendue. Quelques jours auparavant nous échangions à propos d’un texte qui devait paraître sur notre site…

Des années durant, avec François, nous avons documenté les graves violations commises par les forces de sécurité et les milices, interpelé les Etats et l’ONU et accompagné des demandeurs d’asile et des plaignants algériens. Nous avons produit des analyses sur le rôle de la police politique d’Alger dans la création de faux maquis et dénoncé la complicité de la France qui a permis au régime putschiste d’éviter les conséquences d’un isolement international.

Lorsque « La sale guerre » a été publié en 2001 aux Éditions La Découverte nous avons accompagné son auteur Habib Souaidia dans sa défense contre le général Khaled Nezzar qui avait porté plainte contre lui pour diffamation. En 2002, le procès a permis de confronter la nébuleuse version officielle d’une « tragédie » à celle d’opposants qui la qualifient de « sale guerre » de l’Etat contre les civils. Au final, le tribunal avait bien compris que se jouait là une page d’histoire. Le jugement a été une victoire politique pour les opposants au régime à laquelle François a fortement contribué.

Avec l’élection de Abdelaziz Bouteflika en 1999 et la promulgation d’une loi d’amnistie pour les forces de sécurité et leurs divers supplétifs, François n’a eu de cesse de dénoncer une mascarade dont le but était d’étouffer la vérité. Aucune justice n’était rendue aux dizaines de milliers de victimes qui avaient été torturées, déplacées ou dont les parents avaient disparu. Mais hélas, les attentats du 11 septembre 2001 ont atténué les avancées effectuées dans cette démarche de prise de conscience publique de la nature du régime algérien.

La vague de révoltes dans les pays arabes en 2011 a suscité un espoir de changement politique, mais aussi des appréhensions de certains d’entre nous au regard des interventions militaires occidentales. Ces divergences de vue n’ont toutefois pas altéré notre travail collectif puisque nous avons entrepris de mener des discussions filmées auxquelles François a activement participé. L’Algérie a finalement connu en 2019 son propre « printemps » sous la forme très originale du Hirak qui nous a enthousiasmé par son ampleur, son dynamisme, sa continuité mais également sa maturité politique et son pacifisme. Ainsi avec François, nous avons dirigé en 2020 le livre Hirak en Algérie, L’invention d’un soulèvement qui est une référence sur le sujet.

Nous ne pouvons terminer ce trop court hommage à François sans évoquer les soirées conviviales mémorables passées ensemble souvent en compagnie d’amis d’Algeria-Watch, certains en visite d’Algérie. François était toujours de la partie et appréciait beaucoup ces moments d’intenses discussions dans l’amitié, l’humour et l’optimisme.