Abassi Madani prépare une initiative pour arrêter le terrorisme

Le FIS se décide à assumer les maquis

Abassi Madani prépare une initiative pour arrêter le terrorisme

Le Quotidien d’Oran, 11 septembre 2003

Le séjour médical de Abassi Madani à Kuala Lumpur semble être devenu éminemment politique. L’ancien numéro un du FIS-dissous a annoncé une initiative pour «arrêter le bain de sang» à l’adresse des maquis islamistes restants.

Dans un français approximatif et avec une voix irritée, Abassi Madani a indiqué à Radio RFI, depuis la Malaisie, qu’il est en train de «se préparer à présenter une initiative pour arrêter le bain de sang» en Algérie, sans dévoiler les contours de ce plan. Madani ajoutera que ce n’est «pas maintenant que je peux vous dire exactement ce que je dois faire», mais a souligné qu’on «doit arrêter les attentats». Depuis son départ d’Alger vers la Malaisie, via le Qatar, c’est la troisième intervention de Abassi Madani sur un média étranger. Les deux premiers enregistrements ont été accordés à la chaîne de Doha, Al-Djazeera, mais c’est la première fois qu’il annonce, explicitement, un projet en préparation qui vise à arrêter le terrorisme.

Tout en étant prudent et éludant plusieurs questions, Abassi Madani a indiqué que les autorités algériennes n’ont pas «le droit» de m’interdire de m’exprimer: «Où est la légitimité ici, monsieur, c’est une action illégitime et inhumaine», en évoquant les interdictions dont il fait l’objet et dont il a signé les modalités, avant d’interroger à son tour: «Que ce que vous pensez, je n’ai pas le droit de m’activer ?». Le tout en ne voulant pas assumer un rôle politique.

Concernant la réhabilitation du Front islamique du salut dissous, Abassi Madani s’est montré catégorique en soulignant que «le problème d’un parti est dépassé, c’est la question algérienne» qui importe dorénavant, coupant court aux initiatives secrètes de certains membres de l’ancienne direction du FIS qui militent pour un retour légal de la formation islamiste. Le «rouquin de Sidi Okba» voulant se dissocier d’Ali Benhadj, arrêté la veille par la police algérienne, a refusé de parler au nom de l’ancien imam de Kouba dont on ignore l’implication dans cette nouvelle initiative.

Evoquant le contexte politique actuel, Abassi Madani a rejeté tout soutien à n’importe quel candidat lors des prochaines élections présidentielles de 2004: «Ce n’est pas mon rôle, mon idée, ni mon affaire», s’est-il contenté de dire. Il se gardera, également, de juger le bilan du président Bouteflika, qui l’a autorisé à quitter le territoire algérien, en déclarant que «je ne suis en droit de le juger, je ne suis pas dans une position qui me permette de juger le frère président Bouteflika».

S’agissant des questions internationales, Abassi Madani a paru complètement déphasé. Sur le rôle de la France et de Jacques Chirac, le dirigeant islamiste dira: «Je respecte Chirac qui est un homme de principe, un gaulliste fidèle à la méthode et qui peut jouer un rôle constructif entre les deux peuples», tout en rejetant toute haine à l’égard de «la France libératrice» et non «la France coloniale». Mais il restera quasiment aphone lorsqu’il s’est agi de condamner les attentats du 11 septembre 2001 ou la politique américaine en Irak et au Proche-Orient, se contentant de dire: «Je ne peux pas parler sur des sujets que j’ignore. Je ne suis pas un juge».

Reste à savoir quels sont les contours de cette initiative qui ne peut être indissociable des différents appels à la reddition. Car après la loi de la Rahma (1994), celle de la concorde civile (1999), entérinant les accords avec l’AIS (1997), il reste peu de place à un dialogue avec les groupes terroristes. L’appel à l’arrêt de l’effusion de sang assumé par Abassi Madani est, en soi, un vieux projet qui a germé dans les geôles de la prison militaire de Blida. En contrepartie de la mise en liberté provisoire du duo Madani-Benhadj en 1994, ces dirigeants devaient s’engager à lancer un appel aux GIA de Djamel Zitouni pour une reddition totale. L’inverse s’étant produit avec la découverte de la lettre-instruction de Benhadj sur le cadavre de Chérif Gousmi, autre émir national du GIA, et qui allait aboutir au congrès de la réunification à Lakhdaria, une alliance militaro-politique entre le FIS et les groupes terroristes. Même durant la concorde civile, Abassi Madani a refusé de mettre son poids, ou ce qu’il en restait, dans la balance pour convaincre les derniers irréductibles à déposer les armes.

De ce fait, on imagine mal un appel qui ne serait pas soutenu par Ali Benhadj dont l’autorité sur les groupes terroristes a également décliné. Sur ce point, Abassi Madani s’est entretenu avec Benhadj durant deux heures la veille de son départ en Malaisie et l’imam de Kouba avait écrit une lettre dans laquelle il appelle, à demi-mot, à l’arrêt des violences. Benhadj croyant, même lors de sa sortie de prison le 2 juillet dernier, qu’il était autorisé à parler à la télévision où il allait lancer un appel en direction des salafistes et de leur émir national, Hassan Hattab, qui sont majoritaires dans les maquis.

Resteront alors trois interrogations majeures. D’abord, le président Bouteflika va-t-il donner un cadre légal à cet appel et dans quelles conditions pourra-t-il assumer une initiative qui risque de brouiller ses relations déjà tendues avec l’armée ? Ensuite, quel effet aura cette initiative sur les terroristes du GSPC ou du GIA dans la mesure où les éléments restants sont considérés «irrécupérables» ? Enfin, quelles concessions majeures est-on disposé à accorder aux islamistes, vaincus militairement, sans que l’on remette sur le tapis un retour du FIS-dissous ? A toutes ces questions, seul Abassi Madani semble détenir les réponses.

Mounir B.