Abassi Madani découvre les «lignes rouges»

SON INITIATIVE A ETE IGNOREE PAR LE POUVOIR ET LA CLASSE POLITIQUE

Abassi Madani découvre les «lignes rouges»

Le Quotidien d’Oran, 8 février 2004

Abassi Madani semble avoir définitivement désespéré d’une réponse positive du pouvoir algérien à son initiative de paix pour une « deuxième république » fondée sur un report de l’élection présidentielle, une amnistie générale et l’élection d’une assemblée constituante. La protestation officielle algérienne contre sa présence à la traditionnelle réception offerte par le Roi Fahd aux personnalités à l’issue du pèlerinage, le convainc définitivement que Abdelaziz Bouteflika n’a pas un son de cloche différent des militaires au sujet de l’initiative en question, mais aussi du rôle éventuel que les dirigeants de l’ex-Fis peuvent jouer dans la scène politique. Contrairement à sa démarche depuis sa sortie du pays, Abassi Madani n’a pas cherché à arrondir les angles dans l’entretien qu’il a accordé à l’agence AFP à partir de la Mecque. Il a au contraire durci le ton, en estimant que l’échéance présidentielle du 8 avril prochain allait « attiser » la violence. Pour lui, ces élections «sous état d’urgence» sont un piège pour les personnalités qui souhaitent se présenter et « elles vont le regretter». En clair, Abassi Madani ne croit pas à la neutralité de l’institution militaire et considère que « celui qui sera élu en avril aura la caution de l’armée », avec pour « mission d’enfoncer davantage le pays dans la violence ». Les déclarations de Abassi Madani viennent définitivement démentir ses précédents propos, selon lesquels son initiative avait reçu des échos favorables y compris au sein de l’institution militaire. Le président de l’ex-FIS dont l’initiative annoncée à Doha a paru décalée par rapport à l’état de la scène politique algérienne, a du prendre note du fait que même les partis islamistes légaux, comme le MSP et le MRN ont totalement ignoré la «moubadara». Même les candidats potentiels à la présidence qui traditionnellement louchent sur l’électorat du FIS ne l’ont pas commentée. Un signe que les interdits politiques signifiés lors de l’élargissement de Ali Benhadj et de Abassi Madani ont été pris en compte par les acteurs politiques. La chose est entendue du coté du MSP, mais il est significatif que même Abdallah Djaballah et Ahmed Taleb Ibrahimi en tiennent compte.

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L’exil pour continuer à parler

La « ligne rouge » que Bouteflika n’a pu dépasser s’impose aux autres acteurs. « Les autorités n’ont pas répondu à notre appel à une cessation de la violence, car elles trouvent leur compte dans l’effusion du sang et dans la tragédie » a déclaré Abassi Madani, pour prendre acte du fait que son initiative est rejetée par le pouvoir et que ce rejet s’impose même aux opposants. Du coup, c’est un Abassi Madani « nouveau » qui se montre. Il n’a plus aucune trace d’aménité à l’égard d’un régime « pourri » qui n’est « plus valable », « a perdu les raisons de son maintien », ne fonde son autorité que sur la «force» et qui, accuse-t-il, « est responsable de plus de 95% des actes de violence». La tonalité du discours se rapproche du communiqué au vitriol publié le 28 janvier dernier par Mourad Dhina au nom du « bureau exécutif » du FIS, qui s’en prend à la volonté du pouvoir de faire dans « la prolongation de la crise ». « Le pouvoir qui gouverne l’Algérie, au delà des clans qui le composent, persiste dans sa politique despotique, constituant ainsi la principale partie qui s’oppose à toute tentative sérieuse et saine pour résoudre la crise », soulignait le communiqué. Mourad Dhina épinglait au passage les « 10+1 » en s’en prenant à la «frange de la classe politique qui continue son mercenariat et qui aspire à des hautes fonctions dans l’Etat, en faisant « les yeux doux » aux militaires.. ». S’agissant de l’échéance présidentielle, la cause est entendue aux yeux de Abassi Madani et des dirigeants de l’ex-Fis. Cette attitude de rejet des présidentielles – et donc de soutien à un candidat – devrait donc pousser l’électorat fidèle au FIS – l’Algérie étant un pays peu sondé, nul n’est en mesure de dire ce qu’il représente aujourd’hui – à bouder les urnes. L’abstention étant devenue une donnée lourde en Algérie, ce choix du FIS a l’avantage – ou le désavantage – de laisser dans l’indétermination son poids réel au sein de la société algérienne.

Ce qui est sûr est que Abassi Madani s’installe en exil pour préserver la seule marge qui lui reste pour l’instant : parler aux médias. « Je n’ai pris aucun engagement à l’égard d’aucun régime (…). Je vis dans des pays arabes, où je ne subis aucune pression ou restriction à ma liberté ». Bref, même s’il n’est pas entendu, Abassi Madani promet qu’il continuera de parler.

K. Selim