Enquête sur les partis politiques

Partis politiques

Vive l’article 40 !

Le Jour d’Algérie, 29 juin 2005

En annonçant dans le sillage de l’élection présidentielle de 1999 son intention de créer sa propre formation politique, Sid Ahmed Ghozali, l’ancien chef du gouvernement et candidat à cette présidentielle, avait justifié sa démarche par cette phrase : «Excepté le FFS et le FIS, il n’existe pas de vraix partis politiques». Et pourtant, aux côtés du FLN, considéré par l’homme au papillon comme «un appareil», foisonnait toute une flopée de partis nouvellement créés. Et pour cause l’article 40 de la Constitution du 23 février 1989 en vertu duquel, «le droit de créer des associations à caractère politique est reconnu», a ouvert la voie à l’instauration du multipartisme en Algérie.

Une nouveauté dans les mœurs politiques du pays, d’autant plus que jusqu’à cette date, un seul parti avait le droit d’activer. Il s’agit du FLN né le 1er novembre 1954. Le FFS fondé en 1963 n’a reçu son agrément officiel qu’en novembre 1989. Le Pags, aujourd’hui connu sous l’appellation MDS, a été créé en 1966 mais n’ a été agréé qu’en 1989. Tandis que la naissance du PT, baptisé au début l’OST, remonte aux années 80. Mais aux côtés de ces partis qui ont repris droit de cité en se conformant aux dispositions de la loi, d’autres partis ont vu le jour. La liste officielle, telle que donnée par Mémo Algérie, de Rachid Benyoub, fait état de l’agrément de 28 partis au moins, le FLN, le RND, le MSP, Ennahda, le FFS, le RCD, le PT, le Mouvement démocratique et social (MDS), l’Union pour la démocratie et les libertés (UDL), le Parti républicain progressiste (PRP), l’ANR, le PRA, le Mouvement national de la jeunesse algérienne (MNJA), le Rassemblement algérien (RA), le Mouvement national pour la nature et le développement (MNND), AHD 54, le Front algérien démocratique (FAD), le Rassemblement national républicain (RNR), le Mouvement pour la jeunesse et la démocratie (MJD), le Parti national pour la solidarité et le développement (PNSD), le Parti socialiste des travailleurs (PST), le Mouvement de l’entente nationale (MEN), le Rassemblement pour l’Algérie (RPR), le Rassemblement pour l’union nationale (RUN), le Rassemblement national constitutionnel (RNC), le Mouvement de la réforme nationale (MRN), le Front national algérien (FNA), le Mouvement national de l’espoir (MNE). A ces 28 partis agréés officiellement, il y a lieu d’ajouter le FIS qui a été dissous en 1992, le MDA de Ahmed Ben Bella, le MDRA de Slimane Amirat (auto- dissous), le Front démocratique (FD) de Sid Ahmed Ghozali, le Mouvement de la fidélité et de la justice Wafa de Ahmed Taleb Ibrahimi et l’UDR de Amara Benyounès. Ces trois dernières formations n’ont pas encore obtenu leur agrément. Reste que si le FD et Wafa ont cessé d’attendre, d’autant que s’agissant de la formation de Taleb Ibrahimi, le ministère de l’Intérieur a formellement annoncé qu’il ne lui sera pas délivré, le parti de Amara Benyounès ; ce dernier né de la scène politique active normalement. En effet, il tient des rencontres avec ses militants de manière régulière.

Mais si la Constitution amendée en novembre 1996 réaffirme dans son article 42 que «le droit de créer des partis politiques est reconnu et garanti», il reste qu’elle le conditionne. Ainsi est-il stipulé que «ce droit ne peut toutefois être invoqué pour attenter (…) au caractère démocratique et républicain de l’Etat». De plus, est-il ajouté, «les partis politiques ne peuvent être fondés sur», entre autres, «une base religieuse». Ce qui est reproché au parti que voulait lancer Taleb Ibrahimi qualifié du reste par Zerhouni de «FIS bis».

Reste qu’on ne peut que rester ébahi devant l’imagination des fondateurs de ces partis qui, le moins qu’on puisse dire, ont suivi à la lettre la disposition de l’article 9 de l’ordonnance n° 97-09 du 6 mars 1997 portant loi organique relative aux partis politiques et qui stipule qu’«aucun parti politique ne peut se doter des mêmes nom, sigle et autres signes distinctifs appartenant à un parti ou organisation préexistants ou ayant appartenu à un mouvement de quelque nature que ce soit, dont l’attitude ou l’action ont été contraires aux intérêts de la Nation et aux principes et idéaux de la Révolution du 1er Novembre 1954». On ne saura pas le nombre de dossiers de demandes de constitution de parti refusé par le département de l’Intérieur.

Mais comment expliquer cet engouement constaté pour la chose politique et son exercice sur le terrain». Il est vrai que d’aucuns ont voulu être dans l’air du temps, démocratisation du pays oblige, et du coup, ils se sont lancés, à l’instar des journalistes qui eux ont opté pour «l’aventure intellectuelle», dans l’aventure politique, confortés en cela par le fait de jouir et d’exercer un droit constitutionnel affirmé par l’article 40 de la loi fondamentale de 1989 et réaffirmé par l’article 42 de celle adoptée en 1996. D’autant que les dispositions réglementaires contenues dans la loi organique relative aux partis politiques adoptée en 1997 frisaient le laxisme. Voire, elles étaient d’une facilitation hors entendement. On peut, en effet, expliquer cette façon de laisser faire par la volonté des pouvoirs publics d’encourager l’instauration du multipartisme en Algérie quitte pour cela à se retrouver avec une nuée de partis qualifiés de «minuscules» en comparaison à d’autres. Un souci qui transparaît dans des dispositions relatives à la Constitution et à l’action des futurs partis, consignées dans la loi organique relative aux partis politiques du 6 mars 1997. C’est ainsi que, selon l’article 13 de la dite loi, s’il est exigé du membre fondateur d’un parti politique de remplir les conditions de base, à savoir «d’être de nationalité algérienne, âgé de 25 au moins, de jouir de ses droits civils et civiques et de ne pas être condamné pour crime, délit ou une peine infamante, de n’avoir pas eu une conduite contraire aux principes et aux idéaux de la Révolution du 1er Novembre 1954», il reste que l’article qui suit, c’est-à-dire le14, stipule que le dossier d’agrément «doit comprendre une demande de constitution d’un parti signée par trois membres fondateurs, un engagement écrit et signé par au moins 25 membres fondateurs résidant effectivement dans un tiers du nombre des wilayas du pays portant sur, entre autres, l’engagement de la tenue du congrès constitutif du parti dans un délai d’une année au plus, à compter de la date de publication du récépissé de déclaration au Journal officiel». Il n’en fallait pas plus, d’autant que nombre de ces fondateurs ont vu dans la création d’un parti politique, la reconversion logique de leur statut de membre du Conseil national transitoire (CNT) créé en 1992 en vertu d’un décret présidentiel promulgué par feu Boudiaf. Ce même article fait obligation aux fondateurs d’une formation, dans son point 9, de fournir un «avant-projet du programme politique». Une lacune qui sera relevée par la suite. Reste qu’il y a lieu de rappeler que le ministère de l’Intérieur, à qui l’article 16 de cette loi donne la possibilité de «vérifier» le dossier, aura fait preuve d’une certaine permissivité. Et pour cause, la presse avait fait état à l’époque de l’inexistence, ne serait-ce qu’un semblant, de programme politique que les partis entendaient appliquer sur le terrain. Pis, pour honorer la disposition de l’article 18 qui stipule que «le congrès constitutif pour être valablement réuni doit être représentatif de 25 wilayas, doit réunir entre 400 et 500 congressistes élus par 2 500 adhérents au moins résidant dans 25 wilayas sans que le nombre de congressistes ne soit inférieur à16 par wilaya et celui des adhérents inférieur à 100 par wilaya», les fondateurs de nombre de ces partis ont eu recours à la «location» de personnes. En contre partie d’une prise en charge dans un hôtel à Alger, des personnes n’ayant aucun lien organique avec le parti, ont été conviées à assister aux travaux du congrès constitutif. On a fait semblant de n’y avoir vu que du feu. La loi a été respectée et les fondateurs pouvaient prétendre à un agrément. Mais si la naissance de quelques partis a été entachée par ce vice de forme, il reste que ce n’est pas le cas de tous. Du reste les années à venir ont permis de démontrer qui avait un réel ancrage dans la société et ceux qui ne faisaient que dans la figuration, le temps d’une consultation électorale.

Enquête réalisée par Nadia Kerraz


Financement

Le puits et son couvercle

Bien que le sujet ne soit pas tabou en théorie, il reste que la question du financement des partis est rarement évoquée par la presse. La seule fois où le sujet a été traité avec la régularité d’un métronome, c’était du temps du FIS dissous. Et pour cause, l’ancien parti islamiste bénéficiait de la part de l’Internationale islamiste de montants assez importants aux fins de financer toutes les opérations qu’il a initiées D’autant qu’une telle générosité était loin d’être purement philanthropique. Certes, le parti a toujours nié l’existence de cette manne, mais il reste que c’était un secret de Polichinelle. Les Saoudiens, Iraniens et autres Soudanais n’ont pas hésité à mettre la main dans la poche pour aider leurs frères d’Algérie. Une contribution qui s’inscrivait dans la logique de ce que préparait le FIS.

La suite est connue. Il y a lieu de relever que la même suspicion pèse sur l’origine des ressources du MSP dont l’appartenance à l’organisation des Frères musulmans n’est plus à prouver. C’est de l’avis des observateurs, ce qui explique l’aisance financière de ces partis, et pour contourner la loi, de l’argent aurait été viré dans des comptes particuliers, avant d’être remis aux responsables du parti en liquidités sonnantes et trébuchantes. Et pour cause, dans le chapitre des dispositions financières contenues dans l’ordonnance n° 97-09 du 06 mars 1997 portant loi organique relative aux partis politiques, il est stipulé dans l’article 31 qu’«il est interdit aux partis politiques de recevoir, directement ou indirectement, un soutien financier ou matériel d’une quelconque partie étrangère, à quelque titre ou forme que ce soit». Mais du côté des Abassi et Benhadj, ce n’est pas un article de loi qui allait leur couper les vivres. Pourtant, ce parti n’avait aucune raison particulière d’entrer dans l’illégalité dans la mesure où conformément à l’article 27 qui précise les ressources financières légales d’u parti politique, il pouvait parfaitement financer ses activités en comptant sur la générosité des nationaux.

Le nombre était du côté de ce parti. Et pour cause, la loi stipule que les ressources sont «constituées par les cotisations de ses membres, les dons, legs et libéralités, les revenus liés à ses activités» sans parler des «aides éventuelles de l’Etat»

Mais assurément, ces ressources ne pouvaient suffire dans la perspective retenue dans le cas d’un arrêt du processus électoral, d’autant que l’article 28 est bien clair sur la question :

«Les cotisations ne doivent excéder au plus 10% du salaire national minimum garanti, pour chaque membre et par mois».

Mais si le FIS a été dissous, les autres partis sont toujours là ! Comment font-ils pour continuer à exercer leurs activités partisanes ? C’est la question qui a taraudé notre esprit et à laquelle nous avons tenté d’apporter une réponse. Pour ce faire, nous avons, dans un premier temps, tenté de joindre le ministère de l’Intérieur. C’est à ce département que revient la charge d’attribuer «les aides» et «les subventions éventuelles» dont le montant est «inscrit au budget de l’Etat» (article 33) et de recueillir conformément à l’article 29 de la loi organique relative aux partis politiques les déclarations faites par les partis sur «les dons, legs et libéralités d’origine nationale» récoltés. De même que les partis doivent dans le cadre de cette déclaration au ministère de l’Intérieur mentionner «leur source, leurs auteurs, leur nature et leur valeur». Cela nous aurait permis d’avoir une première estimation de ce que les partis coûtent au Trésor public d’une part et d’évaluer la générosité matérielle des Algériens à l’égard des formations politiques. Mais, il semblerait que ce genre d’information n’est pas encore apte à être livrée au lecteur. Heureusement que les partis politiques contactés ont été plus prolixes. Ainsi, nous avons pu connaître le montant d’une partie de l’aide financière accordée par l’Etat, conformément à l’article 33 qui souligne que «le parti politique légalement agréé peut bénéficier d’une aide financière de l’Etat, selon le nombre de sièges obtenus au Parlement». Elle est de l’ordre de 20 millions de centimes par an pour chaque député élu.

C’est dire qu’un parti comme le FLN qui siège au niveau de l’APN avec 200 députés se voit verser dans son compte chaque année pas moins de quatre milliards de centimes.

Un montant qu’il y a lieu de multiplier par cinq, qui correspond à la durée d’un mandat. Sans oublier les sénateurs du Conseil de la nation. Conséquence arithmétique : le FLN engrange une cagnotte supplémentaire de 20 milliards de centimes.

De plus, chaque député est tenu de reverser à la trésorerie de son parti entre 20 et 30% de son salaire de parlementaire, qui est estimé à 20 millions de centimes. Le RND prélève le même taux. Le FFS, du temps où il était représenté au Parlement, ses élus versaient 33% de leur salaire. Ce taux est le même pour tous les partis socialistes de par le monde. Le FNA de Touati demande à ses élus de verser uniquement 10 000 DA ; une somme dérisoire. Certains députés du PT ont préféré quitter leur formation que de reverser la totalité de leur salaire à leur parti politique qui se chargera d’attribuer un salaire mensuel de 57 000 DA au député, considéré comme un salarié du parti.

C’est, affirme-t-on du côté de cette formation, et de toutes celles que nous avons contactées, avec ces ressources auxquelles s’ajoutent les cotisations des militants qui ne peuvent dépasser 10% du salaire minimum garanti que les partis subsistent. Le chargé de communication du FFS nous a déclaré que «les ressources» dont le parti dispose sont «limitées et maigres». Elles proviennent des «dons et legs des sympathisants plus les cotisations des militants fixées selon un barème de l0 DA par mois et 50 DA pour la carte. Ce qui fait 170 DA par an pour les étudiants et les chômeurs. Tandis que les travailleurs cotisent avec 30 DA par mois, et 50 DA pour la carte ce qui fait 410 DA par an»

Selon notre interlocuteur, ce «montant a été décidé à l’occasion de la tenue du congrès du parti en 2000».

M. Tazibt du PT nous a dit en substance : «On a toujours été clairs et transparents sur cette question». Et pour cause, l’argent de l’Etat est refusé. Car de l’avis du PT, «un parti qui veut avoir son indépendance et dans le but d’agir en toute autonomie doit avoir son indépendance financière». «C’est pourquoi, ajoutera-t- il, qu’on a toujours refusé les subventions de l’Etat.» Le parti subvient à ses besoins grâce aux cotisations des militants fixées par le congrès du parti et du versement par chaque militant de1% de son revenu au parti. Les députés, quant à eux, sont sommés de reverser l’intégralité de leur salaire au parti. Mais devant le maigre pactole récolté, on a décidé de changer d’avis puisque selon notre interlocuteur «dernièrement le parti a décidé d’accepter les 20 millions de centimes versés au titre de chaque député par l’Etat. Mais cet argent n’est pas reversé dans les caisses du parti. Il a servi à la création d’un Fonds d’aide international qui a permis de financer le combat des Palestiniens».

Le FNA de Moussa Touati déclare également vivre des seules cotisations de ses militants. Le montant unitaire fixé actuellement à 100 DA sera revu à la hausse. C’est ainsi que les élus locaux doivent contribuer par 1000 DA par mois tandis que les députés verseront 10 000 DA mois.

Les caisses du parti sont renflouées par la subvention de l’Etat versée pour chaque député élu, d’un montant de 160 millions de centimes par an. L’UDR n’a pas fait exception à la règle. Il vit essentiellement, a affirmé son attaché de presse, des cotisations de ses militants. Mais contrairement aux autres partis, il refusera de dévoiler le montant dont doit s’acquitter chaque militant.

Il se contentera de préciser qu’il est proportionnel aux revenus, «puisqu’un chômeur ne peut pas contribuer par la même somme qu’un industriel»

Reste qu’aucune formation ne dévoilera le montant des dons et legs collectés.

Ce montant est-il si important au point où il est permet à ces partis, dont certaines, à l’image du FFS, ne bénéficient d’aucune forme d’aide de l’Etat d’auto-financer leurs activités ? Encore que dans le cas de cette formation, ses responsables peuvent se targuer d’avoir une base militante relativement importante. Ce qui n’est pas le cas de tous. Certes, de l’avis du chargé de communication du FFS, «le système obscur favorise le maintien des partis marionnettes», laissant entendre l’existence de voies obscures de financement, mais il reste que des questions s’imposent. A titre d’exemple, de quel compte, le FLN a-t-il retiré les fonds qui ont servi au financement de la campagne électorale de Ali Benflis à la présidentielle 2004, sachant que la justice avait procédé au gel de tous les avoirs du parti qui traversait à l’époque une crise ? La question est d’autant plus légitime que le staff électoral de l’ancien candidat à la présidentielle n’a pas lésiné sur les moyens. Les journalistes devant couvrir les meetings étaient transportés par avion ! Une aisance qui pourtant n’a surpris personne et n’a intrigué aucun responsable. Du reste, on affirme qu’aucune formation n’a reçu une visite de l’IGF. Pourtant, on aime à dire dans les milieux initiés, que les inspecteurs ne risquent pas de chômer. Le chargé de la communication du FFS en voudra pour preuve l’affaire relative au dépôt de fonds d’un parti politique dans les comptes de la banque Khalifa et de leur retrait à quelques jours de sa fermeture.

C’est dire que certains partis brassent de l’argent. Même beaucoup d’argent. Et c’est dans la logique des choses de s’interroger sur l’origine de ces sommes colossales.

Les dissidents d’El Islah ont levé, pour ainsi dire, un pan du voile qui entoure cette question. Ainsi, soutiennent-ils, depuis l’existence d’El Islah, né en 1999 suite à la scission d’Ennahda, «le parti a engrangé plus de 10 milliards de centimes provenant des subventions de l’Etat et des dons et legs». Ils affirment aussi que son président a détourné 13 milliards de centimes.

Faut-il pour autant croire que cette situation est propre à cette formation ? Assurément non. Une réalité qui, à ne pas en douter, a motivé la nouvelle démarche des pouvoirs publics. En effet, dans le cadre de la nouvelle loi contre la corruption adoptée par le Parlement, le financement des partis politiques y est inclus. Selon le ministre de la Justice, ce volet «sera dorénavant contrôlé, invitant les élus du peuple à user de leurs prérogatives de contrôle». C’est dire que l’opacité entretenue autour de la question du financement des partis est loin d’être innocente.

N. K.