Affaire des moines de Tibhirine : Un juge algérien à Paris

Affaire des moines de Tibhirine : Un juge algérien à Paris

par Yazid Alilat, Le Quotidien d’Oran, 21 octobre 2014

Un juge algérien, enquêtant sur la mort des moines de Tibhrine assassinés en 1996 en Algérie, est arrivé dimanche à Paris, dans le cadre d’une commission rogatoire.

Le juge algérien du pôle spécialisé dans les affaires de terrorisme et le crime organisé, était accompagné de deux collaborateurs et doit entamer son travail, aujourd’hui mardi, selon une source proche du dossier, qui n’a pas dévoilé son identité. La mission du juge algérien, qui intervient après celle de son collègue français Marc Trévidic, est simple : entendre deux anciens officiers des services secrets français, Pierre le Doaré, ancien chef d’antenne de la DGSE, à Alger (1994-1996), et Jean-Charles Marchiani, ex-officier du même service et ex-préfet du Var.

M. Marchiani avait été chargé d’une mission auprès du Groupe islamique armé (GIA) qui avait revendiqué le massacre. Il a confirmé à M. Trévidic en 2012 que cette mission avait été décidée par le Président Jacques Chirac pour négocier une rançon, mais que le Premier ministre d’alors, Alain Juppé, qui n’en avait pas été informé, y a mis fin, signant « l’arrêt de mort des moines », selon le témoignage de M. Marchiani.

Quant à Pierre le Doaré, il avait reçu, dans les locaux de l’ambassade de France, à Alger, un émissaire du GIA qui lui avait remis une preuve de vie des religieux, en captivité, selon plusieurs témoignages et documents. Les moines Christian de Cherge, Luc Dochier, Paul Favre Miville, Michel Fleury, Christophe Lebreton, Bruno Lemarchand et Célestin Ringeard, avaient été enlevés, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, et emmenés vers une destination inconnue. Les têtes des moines assassinés ont été retrouvées, au bord d’une route de montagne, le 30 mai, plus de 2 mois après leur assassinat, mais leurs corps ne l’ont jamais été.

Par ailleurs, et après deux années d’attente et plusieurs reports, le juge français Marc Trevidic, chargé par le parquet de Paris de ce dossier, et sa collègue Nathalie Poux, s’étaient rendus, la semaine dernière, au monastère de Tibhirine, dans le cadre d’une commission rogatoire, demandée en 2011, pour élucider l’assassinat des moines trappistes. Dans sa commission rogatoire internationale, adressée en décembre 2011, à l’Algérie, le juge français a demandé à entendre une vingtaine de témoins de l’affaire, considérés comme des témoins-clés, dont Abderezak El Para, alors un des lieutenants de Zitouni, et d’ex-terroristes repentis, et effectuer, avec l’aide d’experts français, des prélèvements ADN, sur les têtes des sept moines. Marc Trévidic veut, en effet, savoir si les têtes présentent ou non des impacts de balles et si les moines ont été décapités «ante ou post mortem». Sur place, un seul crâne a été, en fait, exhumé, mardi dernier, en fin de journée puis examiné par les experts. Ces derniers sont « chargés d’effectuer des prélèvements ADN et des examens radiologiques », selon des sources proches du dossier, qui ont précisé que ces opérations ont été conduites, sous la supervision d’un magistrat algérien et se sont tenues, mardi et mercredi derniers.

Le ministre de la Justice Tayeb Louh avait, en annonçant la venue du juge français, clarifié les choses: « la procédure d’expertise et d’autopsie sera assurée par des experts algériens ». Il avait, également, indiqué que le juge algérien, en charge de ce dossier, doit, quant à lui, se rendre en France, le 21 octobre prochain, pour mener des auditions.

L’assassinat des sept moines trappistes a été revendiqué par le GIA, alors dirigé par Djamel Zitouni.


Après le séjour à Alger de Marc Trévidic

Un juge algérien à Paris

El Watan, 21 octobre 2014

Au lendemain du départ d’Algérie du juge français Marc Trévidic, un juge algérien a pris, dimanche, l’avion à destination de Paris pour enquêter à son tour sur l’affaire de l’assassinat des moines de Tibhirine de l’autre côté de la Méditerranée.

La dépêche de l’AFP qui annonce ce départ souligne, en citant une source proche du dossier, que «le juge algérien du pôle spécialisé dans les affaires de terrorisme et le crime organisé était accompagné de deux collaborateurs et doit entamer son travail aujourd’hui». Le nom du juge reste quant à lui secret, tout comme ce dossier qu’on épluche 18 ans après le déroulement des faits.

Si la venue à Alger de Marc Trévidic a bénéficié d’une large médiatisation, son séjour et son départ ont par contre été entourés de discrétion. L’opinion publique a été informée de sa présence à l’exhumation des têtes des moines durant son séjour, mais sans aucune autre précision. A quelle conclusion les juges et experts français et algériens sont-ils parvenus ? Les sources d’information se tarissent pendant que l’instruction suit son cours.

Si les juges Marc Trévidic et Nathalie Poux étaient accompagnés, durant leur séjour discret en Algérie, par des experts en génétique et en radiologie afin de s’assurer de l’identité des crânes inhumés et déterminer si des impacts de balle ou des indices de décapitation post mortem sont révélés, le séjour parisien du juge algérien sera consacré, quant à lui, à l’audition de deux anciens responsables des services secrets français. Il s’agira d’interroger Pierre Le Doaré, ancien chef d’antenne de la DGSE à Alger au moment des faits, c’est-à-dire en 1996, ainsi que Jean-Charles Marchiani, ancien officier de ce service, qui avait été chargé de négocier une rançon auprès du Groupe islamique armé (GIA). Ce groupe, dirigé par Djamel Zitouni, avait revendiqué le 21 mai 1996 l’assassinat des moines, deux mois après leur enlèvement.

Marchiani, auditionné par le juge français Marc Trévidic en 2002, avait affirmé que le président Jacques Chirac l’avait mandaté «pour négocier une rançon auprès du GIA, avant qu’Alain Juppé, alors Premier ministre, ne mette fin à cette opération». Ce qui, selon Marchiani, avait «signé l’arrêt de mort des moines». Pierre Le Doaré aura aussi à répondre aux questions du juge algérien sur le fait d’avoir reçu l’émissaire du GIA à l’ambassade de France muni d’un enregistrement audio des moines. Le juge antiterroriste français Marc Trévidic avait lui aussi demandé à auditionner des témoins algériens sur cette affaire, mais il a essuyé un refus de la part des autorités algériennes, qui ont proposé de faire-elles mêmes les interrogatoires et de transmettre les procès-verbaux aux juges français. Les témoins concernés par la demande française sont au nombre d’une vingtaine, dont les présumés geôliers des moines trappistes, des repentis, ainsi que Amari Saïfi alias Abderrezak El Para.

Nadjia Bouaricha