« Laisser crever comme un chien »

« Laisser crever comme un chien »*

Arezki Tedjeddine, Travailleur du Paramédical

Témoignage fait le 24.10.1988, in Comité national contre la torture , Cahier noir d’octobre , Entreprise nationale des arts graphiques, Alger, 1989, publié par Algeria-Watch, 5 octobre 2008

Je travaille et réside a BOUSAADA. Le mercredi 05.10.1988, au soir en regardant TV, j’ai pris connaissance des graves évènements qui se déroulaient. Inquiet pour ma famille qui réside à Alger, j’ai rejoint dès jeudi matin la capitale. A la maison tout allait bien. Afin de changer les idées et pour éviter les endroits « chauds », je décidai avec un ami, d’aller me promener, hors d’Alger, au bord de la mer. Dans l’après-midi, n’ayant pas trouvé de taxi pour rejoindre le quartier ou réside ma famille (Clairval), nous sommes allés à pied vers Staoueli. A l’entrée du village, nous fûmes arrêtés par un commando de militaire. C’était aux environs de 19h. Sans qu’on ait eu le temps de souffler ou de présenter nos papiers, une pluie de coups s’abattit sur nous, coups de poings. de pieds, et de casques. Nous avons été agenouillés, les mains derrière la nuque devant la porte de la Banque de Développement de Staoueli.

Nous fumes ensuite dirigés vers la caserne située au milieu de la forêt de Sidi Fredj. Dès l’entrée nous vîmes un groupe de jeunes vêtus uniquement de slips. On nous força nous aussi à nous déshabiller et à rejoindre le groupe.

LE CAUCHEMAR COMMENCA.

Pour commencer, nous fûmes douchés avec des eaux usées. Dans le groupe de commandos, un civil dirigeait les opérations. II exigea de nous de ramper sur un terrain caillouteux. Pendant que nous rampions, on nous rouait de coups de crosse, de bâton, de coups de pieds, c’était infernal!

La cadence et l’intensité des coups augmentait. A un moment, je sentis un coup si douloureux dans mon cerveau que mon corps se souleva sans que je m’en rende compte. Cette réaction redoubla la colère du civil. C’est incroyable ! Il m’enfonça la baïonnette dans le corps et la retira. Je me suis brutalement affalé sur le sol pendant que mon sang coulait a flot.

Un militaire est intervenu auprès de ce civil pour que l’on m’évacue à l’hôpital. II opposa un refus, affirmant sa détermination à me « laisser crever comme un chien ». Pendant un bon moment, mon sang continuait à couler à flot. Finalement, le civil accepta de me livre au militaire. Ce dernier, probablement un infirmier, m’aida a m’habiller et m’évacua sur l’hôpital de Zeralda ou l’on me fit subir une opération chirurgicale. Ce militaire m’a sauvé la vie.

Après l’opération chirurgicale, les militaires voulaient me récupérer, mais l’équipe médicale et paramédicale du service de chirurgie de l’hôpital s’y opposa, ce qui probablement me sauva la vie une seconde fois. Cela n’empêcha pas les interrogatoires de se poursuivre pendant mon hospitalisation, du 6.10.1988 au 16.10.1988, aussi bien par des civils que par des militaires, de jour comme de nuit.
Le bilan médical porte les indications suivantes: plusieurs points de suture à l’intestin grêle, 7 points de suture sur le flanc gauche, 15 points de suture au ventre. A cela s’ajoute un ulcère du stress découvert par les médecins pendant mon hospitalisation.

J’ai été torturé physiquement et moralement. Ma santé et ma dignité ont été brisées. Pourquoi ? Au nom de quelle loi humaine ? Dans quels intérêts ?

* Titre d’Algeria-Watch