Temps durs pour l’opposition démocratique

Entre menaces de dissolution de partis, poursuite de militants et harcèlement administratif

Liberté, 9 janvier 2022

Les temps sont durs pour les partis, organisations et militants de la mouvance démocratique. Pour avoir mis son siège à la disposition de certains partis et militants voulant créer un front contre la répression et la défense des libertés — une activité politique somme toute banale — le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) a été mis en demeure, il y a deux jours, par le ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales au motif que ses convives sont des organisations non agréées, lui enjoignant de ne pas se commettre dans ce genre d’activités sous peine de subir les foudres de l’administration.

Il faut dire que ce genre de tirs de sommation n’est pas nouveau pour le parti de Mohcine Belabbas qui, fin juin 2020, avait été mis en demeure par le même ministère de l’Intérieur qui l’avait accusé de s’être rendu coupable de violations “récurrentes et flagrantes’’ de la loi organique relative aux partis politiques et de la loi relative aux réunions et manifestations publiques, pour avoir accueilli, en son siège national, la réunion du PAD qualifié par le département de M. Beldjoud d’“organisation illégale tendant à porter atteinte à l’unité nationale et à faire des déclarations tendancieuses”. En 2019 déjà, le RCD avait été destinataire d’une correspondance de la wilaya d’Alger lui demandant de fermer, les vendredis, le siège de son bureau d’Alger au motif que des manifestants du Hirak qui s’y regroupaient à la veille des manifestations causaient des désagréments au voisinage.

Dans la foulée, une campagne médiatique menée par certaines télévisions privées évoquait une prétendue saisie de drogue au siège. Habitué à la diversité, le président du RCD ne paraît pas déstabilisé par cette nouvelle sortie du ministère de l’Intérieur et a répondu du tac au tac, allant jusqu’à accuser les autorités de vouloir interdire à son parti de “faire de la politique”. Le secrétaire national à la coordination du RCD, Ouamar Saoudi, lui, a reproché aux tenants du pouvoir d’avoir “choisi la ligne du pire”, c’est-à-dire “la répression” et “la restriction des libertés”, non sans appeler à la raison. Il faut dire que le RCD n’est pas seul dans cette nouvelle épreuve ; il bénéficie de la solidarité de certains acteurs politiques, notamment ses partenaires politiques au sein du Pacte pour l’alternative démocratique (PAD) comme le Parti socialiste des travailleurs (PST), l’Union pour le changement et le progrès (UCP) ou encore la Ligue algérienne de défense des droits de l’Homme (Laddh). Dans un communiqué rendu public, le PAD a d’ailleurs qualifié l’action du ministère de l’Intérieur de “dérive orchestrée” qui “traduit une volonté d’encamisoler la société”.

“L’affirmation, en ce début d’année, d’une volonté de réduire la démocratie à des élections-maison, dans un contexte politique et social lourd de dangers, augure une dangereuse escalade dans la déstabilisation de l’État et de la société. Il s’agit là d’une nouvelle étape franchie dans le processus de remise en cause brutale du pluralisme politique et d’une descente vers les abîmes du totalitarisme”, estime le PAD, non sans appeler à “la cessation immédiate de toutes les atteintes aux libertés démocratiques” et au “rétablissement d’un climat politique serein et du libre débat afin de sortir le pays de l’impasse dangereuse où il a été entraîné à la faveur du maintien du système, rejeté par la majorité du peuple”.

Il faut dire que “ces pratiques dignes d’un système totalitaire”, selon la terminologie du PAD, ne ciblent pas seulement le RCD. D’autres partis et militants en ont fait les frais. C’est le cas du PST et de l’UCP, qui sont aujourd’hui sous la menace d’une dissolution pure et simple. Pis encore, certains dirigeants politiques font l’objet d’emprisonnement pour avoir exprimé, selon leurs partisans, une simple opinion politique. C’est le cas du coordinateur du Mouvement démocratique et social (MDS), Fathi Ghares, en prison depuis juin 2021 et qui sera fixé sur son sort aujourd’hui, après la tenue de son procès le 26 décembre 2021. Avant lui, la pasionaria du Parti des travailleurs (PT), Louisa Hanoune, avait été jetée en prison en mai 2019 pour avoir pris part à une réunion avec l’ancien patron des Services algériens, le général Toufik, et le frère de l’ancien président Bouteflika, avant qu’elle ne soit élargie en février 2020. Quelques mois plus tard, son parti était ciblé par une tentative de putsch, mais avortée.

Les acteurs de la société civile ne sont pas logés à meilleure enseigne. Après avoir purgé une peine de 6 mois de prison, Abdelouahab Fersaoui a vu son association Rassemblement Actions Jeunesse (RAJ), dissoute en octobre de l’année dernière après avoir été accusée par le ministère de l’Intérieur d’“agir en violation de la loi sur les associations”. Un autre président d’association, Nacer Meghnine de SOS Bab El-Oued, est en prison depuis avril 2021.

Point commun à tous ces acteurs subissant aujourd’hui les foudres de l’administration : ils sont de la mouvance démocratique et avaient été aux premiers rangs du Hirak, en prenant activement part aux fameuses marches du vendredi. Aussi, d’aucuns ne manqueront certainement pas de s’interroger sur le timing de cette nouvelle escalade ciblant le RCD, qui intervient à un peu plus d’un mois du troisième anniversaire de la “révolution du sourire”.

Arab C.