Me Boudjemaâ Ghechir*: «Les brutalités policières nous renvoient à la nature violente et liberticide du système»

Salima Tlemcani, El Watan, 17 mai 2021

Pour l’ancien président de la LADH (Ligue algérienne des droits de l’homme), Me Boudjemaâ Ghechir, les arrestations et interpellations policières durant la marche de vendredi dernier à travers de nombreuses villes du pays ont été «ciblées» et «avaient pour but d’éteindre la flamme de la contestation». Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il affirme que les policiers ont sommé les personnes arrêtées de «signer un engagement de ne plus manifester» et, surtout, plaide pour la continuité de la contestation, étant donné qu’elle reste «le seul moyen à même de pousser le système au changement».

Les manifestations populaires de vendredi dernier ont été empêchées de manière violente à travers de nombreuses villes du pays, par des rafles, arrestations et interpellations policières brutales. Quelle lecture en faites-vous ?

Il faut revenir à l’instruction du ministre de l’Intérieur quelques jours auparavant et comprendre qu’on voulait d’abord identifier les leaders et meneurs de ce mouvement de contestation populaire. Comme les gens n’ont pas répondu à cette instruction, les autorités ont procédé à des arrestations ciblées, dont des retraités, journalistes, universitaires, professeurs… Bon nombre de ces derniers ont été sommés par des policiers de signer un engagement écrit de ne plus participer aux marches. Le but est d’éteindre la flamme de la contestation. La démarche n’a pas réussi. Le régime pense que tous ces citoyens interpellés ou arrêtés sont les instigateurs de la protestation. Or, celle-ci est un mouvement de masse qui n’a ni représentant ni responsable. Raison pour laquelle ces derniers temps, il y a eu, certes, des slogans condamnables, mais cela n’enlève rien au caractère populaire des marches et la nécessité de sa poursuite pour exiger les changements.

Une telle gestion ne comporte-t-elle pas des risques de violence ?

La violence engendre toujours la violence. Le gouvernement risque de payer très cher cette posture aussi bien à l’interne qu’au niveau international. Il y aura des réactions d’ONG internationales des droits de l’homme, mais aussi de certains pays démocratiques.

Jusqu’à maintenant, le silence est pesant aussi bien à l’interne où les médias publics et privés ont fait l’impasse sur les brutalités policières, mais aussi à l’étranger où l’actualité reste figée sur la guerre que mène Israël. Comment expliquer de telles positions ?

Je reste convaincu que les réactions vont venir. Nous sommes en contact avec les ONG internationales des droits de l’homme, mais aussi avec les organismes onusiens. Tous sont attentifs à ce qui se passe chez nous et à la situation des droits de l’homme. Il est certain que des réactions vont tomber les jours à venir.

Pensez-vous que ces réactions puissent changer la donne, sachant que les autorités ont décidé d’agir par la violence pour mettre fin à la contestation populaire, quelques semaines après le sévère communiqué du représentant du Haut Commissariat des droits de l’homme onusien ?

C’est vrai que le gouvernement ne donne pas trop d’importance aux réactions des ONG internationales, mais il sera vraiment gêné lorsque celles-ci émaneront des Etats. Il veut juste gagner du temps, surtout qu’actuellement, de nombreux pays usent de la violence pour réprimer les manifestations contre le soutien au peuple palestinien.

Sommes-nous à un tournant gravissime ou dans la logique répressive adoptée depuis longtemps par le régime ?

Les brutalités exercées vendredi dernier pour empêcher la marche nous renvoient à la nature violente et liberticide du système politique algérien. Le pouvoir fait l’effort de parler de démocratie, lâche un peu de lest, mais finit toujours par revenir à ses pratiques violentes antidémocratiques.

Cela ne renvoie-t-il pas à la nature du régime ?

Le vrai problème du pays c’est ce système réfractaire au changement. Lorsque le président de la République a chargé la commission de la réforme de la Constitution, il a donné instruction pour que le système ne change pas. Ce qui veut dire qu’il restera tel quel, parce qu’il arrange l’ensemble des acteurs qui en font partie. Jusqu’aux élections législatives, nous allons vivre des situations très difficiles, marquées par des rafles, des arrestations, avec violences et brutalités policières, mais après, il y aura un peu de répit avec probablement la libération de détenus, la relaxe d’autres, etc. A chaque rendez-vous électoral, le système use de la force pour imposer son agenda, puis recule pour lâcher du lest, le temps de reprendre après.

Faudra-t-il s’attendre à un recul de la contestation populaire ou bien au contraire à son renforcement ?

Il ne faut surtout pas baisser les bras. La contestation pacifique doit continuer. C’est le seul moyen de pousser le système au changement. Les Algériens doivent maintenir la pression. Il faut peut- être faire en sorte d’isoler les porteurs de slogans idéologiques qui veulent solder leurs comptes avec le régime, mais il ne faut surtout pas déserter la rue ; il y va de l’avenir de notre pays. Toute la classe politique doit resserrer les rangs et poursuivre le combat pour la démocratie.

Entretien réalisé par Salima Tlemçani

*  Ancien président de la Ligue algérienne des droits de l’homme